« L’art oblige l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ».
Albert Camus. Discours de Suède. Discours de réception de Prix Nobel de littérature, prononcé à Oslo, le 10 décembre 1957
Après l’exposition-rétrospective "Picasso Sculpture" présentée au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, une nouvelle exposition a pris la suite en cette année 2016 au Musée national Picasso de Paris.
Picasso et Dora Maar
Son objectif est de montrer au public ce qui est rarement mis en valeur dans la sculpture de Picasso : ses aspects multiples à travers son système de variations, des tirages et des agrandissements provenant d’une sélection d’originaux sculptés.
Compte tenu de la variété des styles, de leur inspiration différente, on peut se demander si toutes les sculptures sont vraiment du même artiste.
Picasso avec sa "Femme au jardin" [1]
Picasso, sculpteur méconnu
Si Pablo Picasso (1881-1973) fut reconnu très tôt comme l’un des maîtres de la peinture du XXe siècle, son œuvre sculpturale fut éclipsée par son aura de peintre. Ses sculptures, réalisées il est vrai sans véritable continuité, sont longtemps demeurées dans l’ombre. Ceci explique que, comme le remarquait l’un des commissaires de l’exposition, « Picasso ait gardé ses sculptures toute sa vie. Ce n'est vraiment qu'au moment de sa mort qu'elles ont commencé à quitter son studio, pour des collections publiques et privées. »Le MoMA s'y est intéressé très tôt et possède aujourd'hui la collection de sculptures de Picasso la plus complète, après le musée de Paris.
Femme au chignon, ciment, 1937Le musée Picasso, ex hôtel Sallé
Selon la commissaire à l’exposition, Picasso a été influencé par une visite au musée d'Ethnographie de Paris en 1907, où il avait pu admirer des figures et masques venus d'Océanie et d'Afrique dans lesquels il avait reconnu une espèce de « présence magique » qui l’avait guidé dans ses recherches ultérieures. Finalement, la sculpture semblait mieux convenir à sa nature « agitée et impatiente », un art qui lui permettait de reprendre quand il le désirait une œuvre inachevée, contrairement à la peinture qui réclame plus de continuité.
Le verre d'absinthe, 3 exemples des 6 exemplaires existants, Paris 1914. Bronze peint à l'huile, cuillère à absinthe en métal blanc, 21,6 x 16,4 x 8,5 cm. The Museum of Modern Art de New York.
Le parcours et les œuvres
Le parcours de l’exposition, organisé autour de quelque 160 sculptures, a été conçu à partir d’une démarche chronologique et thématique, agrémenté également de dessins et peintures de Picasso.L’exposition offre une palette exceptionnelle et réunit des ensembles exceptionnels venant du monde entier -au total quelque 70 prêts- dont on peut extraire la série des six Verres d’absinthe [2] datant de 1914 où on peut imaginer le geste de l’artiste posant sur la surface des verres peinture ou couverte de sable ; le bronze Tête de mort datant de 1941 ; les deux versions de la Femme au jardin réunies pour la première fois dans les années trente ; ou également un ensemble de tôles peintes datant des années 1954-1962 posant le problème des modalités des processus créatifs dans le passage des maquettes en papier aux agrandissements en tôle et en béton gravé.
Femme au jardin Les baigneurs, 1956 Tête de guerrier
On peut ajouter parmi les autres œuvres exposées, les sculptures présentées (avec "Guernica") à l'Exposition universelle de Paris en 1937, dont le bronze "Femme au vase" (1933), créé à Boisgeloup, [3] ou "Les baigneurs", six figures en bois créées en 1956.
Il est aussi intéressant de tracer un parallèle entre ses sculptures conservées au MoMA, le musée d’art moderne de New-York et celles du musée Picasso de Paris. Par exemple, avec des pièces (connues) comme la Tête de femme, Fernande, 1909 (plâtres de fonderie et fontes en bronze), Tête de chèvre, bouteille et bougie (variations en bronze peint de 1951-1953), La Guenon et son petit en 1951, une présentation du plâtre composite original en regard de la fonte réalisée par la fonderie de bronze d’art Valsuani.
Guenon et son petit [4] Tête de chèvre
Dans un autre domaine, on peut comparer les sculptures du musée Picasso, avec leurs « doubles » ou leurs « variantes » présentées.
On peut prendre ici comme exemples les éditions Vollard (Fou et Têtes de femme, Fernande, 1906 et 1909), les fontes provenant de sculptures de Boisgeloup [3] comme une Tête de Marie-Thérèse en ciment ou les différentes solutions que proposa Picasso pour le Monument à Guillaume Apollinaire. [5]
1- "Le Monument à Apollinaire", créé à la fin des années 1920 pour un concours visant à embellir la tombe de l'écrivain français, fut finalement abandonné.
2- Tête de femme, Fernande, version 1909, plâtre de fonderie -- 3- Femme au vase
Notes et références
[1] Picasso devant la version en fer peinte en blanc de La femme au jardin lors de l'exposition « Picasso » à la Galerie Georges Petit, Paris 1932. Tirage contrecollé sur carton. Musée national Picasso-Paris. Photo © RMN-Grand Palais
[2] Œuvres réunies pour la première fois, des six "verres d'absinthe" en bronze peint, créés en 1914 par l'artiste, dispersés au début de la Première guerre mondiale.
[3] Le Boisgeloup à Gisors dans l’Eure abrite un château où Picasso avait un atelier où il réalisa des sculptures. Il y résida de 1930 à 1936 avec sa compagne Marie-Thérèse Walter. Un petit musée, L'Atelier du sculpteur, expose des peintures et des sculptures de Picasso.
[4] Pablo Picasso, La Guenon et son petit (Vallauris, octobre 1951) original en plâtre, céramique, Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979. Et La Guenon et son petit (Vallauris, octobre 1951) bronze, fonte à la cire perdue C. Valsuani, 1955. The Museum of Modern Art, New York.
[5] Picasso, projet pour le monument à Apollinaire, 1928
Voir l’article de Philippe Sollers "Apollinaire, le meilleur ami de Picasso"
Voir aussi mes articles :
* Philippe Sollers, L'Eclaircie -- Picasso et les femmes -- Gauguin céramiste --
< • Ch. Broussas, Picasso, Feyzin, 09 juin 2016 - © • cjb • © • >
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