Référence : Milan Kundera, La lenteur, éditions Gallimard, 1995
« Si je devais me définir, je dirais que je suis un hédoniste piégé dans un monde politisé à l'extrême ». Milan Kundera, introduction à sa pièce Jacques et son maître, 1981
Le point de départ : Milan Kundera et sa femme Vera assistent dans un château à un congrès d’entomologistes. Mais ne vous y fiez pas, ce n’est qu’un fil conducteur pour nous faire part de ses réflexions sur le monde moderne xx. Les menus événements du colloque sont autant de prétextes pour porter son regard sur leur signification, pour se projeter vers d’autres situations, où l’on retrouve des gens comme Vivant Denon qui écrivit une nouvelle libertine bien dans le style du XVIIIe siècle.
Il mêle ainsi récit et essai, développant l’idée que dans le monde actuel l’homme délaisse la lenteur au profit de la vitesse, même si c’est au détriment de la préservation de la mémoire et de la lutte contre l’oubli. Selon lui, « le degré de la vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli ».
Premier constat : la lenteur a disparu parce que « la vitesse est la forme d'extase » provenant de révolution technique. Il y a pourtant pour l'écrivain « un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli », car notre époque préfère l’oubli pour "s’oublier" dans la vitesse. Prendre position pour la lenteur est donc loin d’être neutre.
Deuxième constat : Au-delà de son admiration pour Diderot, il a un penchant pour le libertinage version Choderlos de Laclos et ses Liaisons dangereuses, où le plaisir s’efface devant la conquête du plaisir, où ce qui importe est avant tout l’art de la conversation. Kundera le fait par l’intermédiaire d'une nouvelle de Vivant Denon, Point de lendemain, publiée en 1777. Un homme rencontre au théâtre une amie de sa maîtresse, amante d’un marquis, qui néanmoins l’entraîne chez elle, passe la nuit avec lui dans le seul but de jouer le rôle du faux amant (aux yeux du mari) pour mieux cacher le vrai...
Troisième constat : L’époque actuelle fourmille de "m’as-tu vu" qu’il appelle des "danseurs", ceux qui désirent accéder à la gloire, « occuper la scène pour faire rayonner son moi. » C’est le nommé Berck de son récit, essayant toujours d’être plus courageux, honnête, sincère que quiconque.
Ainsi écrit-il, « le danseur se condamne à être irréprochable » comme s’il voyait sa vie comme « une œuvre d'art ».
Quatrième constat : actualité et médias sont les deux mamelles du danseur. Le plus satisfaisant pour le danseur, c’est de meubler la scène en état de souffrance dans un environnement négatif, voire morbide.
Le couple Kundera
Ces éléments sont amenés à travers différentes histoires et différents personnages : son week-end avec sa femme dans un beau château; un congrès d'entomologistes où on rencontre un ancien dissident tchèque déconcerté par l’occident, confronté à des gens qu’il ne comprend pas, un congressiste qui vit une histoire compliquée avec Julie, une jeune inconnue… et pour finir, Kundera lui-même croisant le chevalier du XVIIIe siècle (celui de la nouvelle de Vivant Denon) et le congressiste du XXe au lendemain d'une nuit fort agitée.
Kundera avec les écrivains Dominique Fermandez et Philip Roth
Dans cet essai de moraliste, d’une ironie parfois légère, parfois grinçante, d’un style simple et épuré, Kundera s'est mis en scène lui-même au point que sa femme en a des cauchemars et le met en garde : « Je te préviens », l'avertit-elle, « le sérieux te protégeait. Le manque de sérieux te laissera nu devant les loups. Et tu sais qu'ils t'attendent, les loups.» Les personnages servent surtout à l'écrivain à exprimer ses idées sur des thèmes comme la politique et les media, le désir ou la pornographie…
Il se demande avec un certain pessimisme, si un tel hédonisme est encore possible à notre époque.
Voir aussi mes articles :
*Milan Kundera, Son parcours -- Milan Kundera, De l'amour --
* Milan Kundera, L'art du roman, sa conception de l'écriture
* Milan Kundera, Les testaments trahis, portée et esthétique du roman
* Milan Kundera, Une rencontre, pouvoir et postérité de l'artiste
* Milan Kundera, La fête de l'insignifiance, La valse aux adieux -- La lenteur --
* Milan Kundera et Philip Roth
<< • Christian Broussas – La lenteur - 26/09/2016 < • © cjb © • >>
« Si je devais me définir, je dirais que je suis un hédoniste piégé dans un monde politisé à l'extrême ». Milan Kundera, introduction à sa pièce Jacques et son maître, 1981
Le point de départ : Milan Kundera et sa femme Vera assistent dans un château à un congrès d’entomologistes. Mais ne vous y fiez pas, ce n’est qu’un fil conducteur pour nous faire part de ses réflexions sur le monde moderne xx. Les menus événements du colloque sont autant de prétextes pour porter son regard sur leur signification, pour se projeter vers d’autres situations, où l’on retrouve des gens comme Vivant Denon qui écrivit une nouvelle libertine bien dans le style du XVIIIe siècle.
Il mêle ainsi récit et essai, développant l’idée que dans le monde actuel l’homme délaisse la lenteur au profit de la vitesse, même si c’est au détriment de la préservation de la mémoire et de la lutte contre l’oubli. Selon lui, « le degré de la vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli ».
Premier constat : la lenteur a disparu parce que « la vitesse est la forme d'extase » provenant de révolution technique. Il y a pourtant pour l'écrivain « un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli », car notre époque préfère l’oubli pour "s’oublier" dans la vitesse. Prendre position pour la lenteur est donc loin d’être neutre.
Deuxième constat : Au-delà de son admiration pour Diderot, il a un penchant pour le libertinage version Choderlos de Laclos et ses Liaisons dangereuses, où le plaisir s’efface devant la conquête du plaisir, où ce qui importe est avant tout l’art de la conversation. Kundera le fait par l’intermédiaire d'une nouvelle de Vivant Denon, Point de lendemain, publiée en 1777. Un homme rencontre au théâtre une amie de sa maîtresse, amante d’un marquis, qui néanmoins l’entraîne chez elle, passe la nuit avec lui dans le seul but de jouer le rôle du faux amant (aux yeux du mari) pour mieux cacher le vrai...
Troisième constat : L’époque actuelle fourmille de "m’as-tu vu" qu’il appelle des "danseurs", ceux qui désirent accéder à la gloire, « occuper la scène pour faire rayonner son moi. » C’est le nommé Berck de son récit, essayant toujours d’être plus courageux, honnête, sincère que quiconque.
Ainsi écrit-il, « le danseur se condamne à être irréprochable » comme s’il voyait sa vie comme « une œuvre d'art ».
Quatrième constat : actualité et médias sont les deux mamelles du danseur. Le plus satisfaisant pour le danseur, c’est de meubler la scène en état de souffrance dans un environnement négatif, voire morbide.
Le couple Kundera
Ces éléments sont amenés à travers différentes histoires et différents personnages : son week-end avec sa femme dans un beau château; un congrès d'entomologistes où on rencontre un ancien dissident tchèque déconcerté par l’occident, confronté à des gens qu’il ne comprend pas, un congressiste qui vit une histoire compliquée avec Julie, une jeune inconnue… et pour finir, Kundera lui-même croisant le chevalier du XVIIIe siècle (celui de la nouvelle de Vivant Denon) et le congressiste du XXe au lendemain d'une nuit fort agitée.
Kundera avec les écrivains Dominique Fermandez et Philip Roth
Dans cet essai de moraliste, d’une ironie parfois légère, parfois grinçante, d’un style simple et épuré, Kundera s'est mis en scène lui-même au point que sa femme en a des cauchemars et le met en garde : « Je te préviens », l'avertit-elle, « le sérieux te protégeait. Le manque de sérieux te laissera nu devant les loups. Et tu sais qu'ils t'attendent, les loups.» Les personnages servent surtout à l'écrivain à exprimer ses idées sur des thèmes comme la politique et les media, le désir ou la pornographie…
Il se demande avec un certain pessimisme, si un tel hédonisme est encore possible à notre époque.
Voir aussi mes articles :
*Milan Kundera, Son parcours -- Milan Kundera, De l'amour --
* Milan Kundera, L'art du roman, sa conception de l'écriture
* Milan Kundera, Les testaments trahis, portée et esthétique du roman
* Milan Kundera, Une rencontre, pouvoir et postérité de l'artiste
* Milan Kundera, La fête de l'insignifiance, La valse aux adieux -- La lenteur --
* Milan Kundera et Philip Roth
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