Référence : Sorj Chalandon Le jour d’avant, éditions Grasset, 326 pages, août 2017
Sorj Chalendon délaisse ici le récit teinté d’autobiographie qu’on trouve très souvent dans ses ouvrages précédents : Le Petit Bonzi, l’histoire d’un enfant bègue, Mon traître et Retour à Killybegs sur son amitié trahie avec un héros de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) utilisé également par les anglais, Le Quatrième Mur qui évoque son expérience de la guerre du Liban ou Profession du père
sur un géniteur violent et mythomane. Dans ce roman, c’est différent :
rien ne le relie à la mine ou à cette explosion au fond de la fosse
n° 3, dans le quartier Saint-Amé à Liévin dans le Pas-de-Calais, où moururent 42 mineurs, le 27 décembre 1974.
À l’époque, Sorj Chalendon
avait été bouleversé par cette catastrophe marquée par une fatalité
qu’il refusait. Dix ans plus tard, il est de nouveau confronté à la mine
comme journaliste lors de la longue grève des mineurs anglais. Il
s’installe dans le village de Brampton
(Yorkshire), où les choses avaient commencé. À dix ans d’intervalle,
dans son esprit, les deux événements s’entrechoquent et se font écho.
« En
vieillissant, le porion avait été rattrapé par la poussière de silice.
Il ressemblait aux gars qu'il n'avait pas su protéger. Mais il était
vivant. A bout de souffle, brisé, seul, douloureux mais vivant. »
C’est donc un roman qu’il portait en lui depuis longtemps. Entre temps, un autre événement s’est produit. Un de ses romans, La légende de nos pères,
paru en 2009, portait sur deux histoires qui s’étaient passées au sein
d’une même famille : celle d’un résistant lillois de la guerre du rail
et celle d’un rescapé de la catastrophe de Liévin. S’il a finalement centré le roman sur la première histoire, il s’était promis de se consacrer un jour à ce rescapé de Liévin, celui qu’il a appelé Joseph Flavent.
Michel Flavent, frère cadet de Joseph,
un mineur du Nord, ne pense qu’à rejoindre, le moment venu, ce frère
qu’il admire, au fond de la mine pour faire partie de cette communauté
des gueules noires au courage exemplaire.
Mais le 27 décembre 1974, son frère meurt dans la catastrophe de Liévin,
avec une quarantaine de mineurs, victimes d’un coup de grisou. Des
hommes disparus parce que l’appât du gain l’avait emporté sur la
sécurité, « morts pour des raisons d’économie, morts parce que ce
quartier de mine allait fermer et qu’il n’avait pas été "dégrisouté", ni
contrôlé » dit l’auteur dans une interview.
Après ce traumatisme, son frère Michel Flavent n’ira jamais à la mine, après ça, il n’a plus été vraiment le même.
A la sortie de la chapelle ardente
Il décide alors de fuir le Nord, son coron et ses terrils, d’aller vivre et travailler à Paris. Il y rencontre Cécile, fonde une famille et semble heureux. Une vie simple et paisible en apparence. Mais à la mort de Cécile,
après toutes ces années passées dans la région parisienne, il repart
vers le Nord avec une idée bien arrêtée : venger son frère en punissant
ceux qu’il en juge responsables.
Ceux qui étaient à l’origine de l’humiliation et de la mort de ces mineurs.
« Venge-nous de la mine »,
avait écrit son père avant de mourir. Et il avait promis, les poings
levés. Il allait payer sa dette à son père, à son frère, à sa mère
aussi, triste et esseulée à jamais… même si son acte allait lui coûter
cher. Après toutes ces années, il ne restait qu’un vieux contremaître
chargé à l’époque de la sécurité des hommes. C’est désormais un vieil
homme mais le symbole d’une tragédie qui aurait pu être évitée.
Son
idée, c'est de faire payer ce survivant, comme ultime exemple de
l’injustice subie, puis de transformer son procès en réquisitoire
contre tous ceux qui n’avaient jamais été poursuivis par la justice. Mais tout ne se passera pas comme il l'aurait voulu.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, précise Sorj Chalandon, ce n’est pas un livre sur la vengeance mais sur la culpabilité ! « J’aime Michel. Il me touche profondément car je lui ai légué ma colère. Mais c’est une âme noire, pas une gueule noire. »
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