Comme souvent, nous faisions quelques courses avec Anaïs dans la supérette du quartier. Arrivés à la caisse, madame Poissonnard la patronne s’extase : « oh mais je ne savais pas qu’Anaïs était enceinte ! Ah, félicitations, au futur papa, je pense. »
Là, elle ne se mouillait pas trop, me voyant souvent dans le magasin en compagnie d’Anaïs. Mais on ne sait jamais, n’est-ce pas ?
Je lui répondis un rien ironique : « Vous savez; à vrai dire, je ne sais pas trop comment ça s’est produit, un faux mouvement sans doute. Je suis assez maladroit. »
Un blanc suivit ma répartie. Plutôt amusée, la patronne ne savait que dire tandis que les autres clients derrière nous piquaient un bon fou rire. Quant à Anaïs, comme elle se tenait derrière moi, je ne voyais pas la tête qu’elle faisait… mais je me doutais bien de sa réaction. Elle qui n’aimait pas se mettre en avant, avec moi, elle était servie.
- Quand même, me dit-elle, une fois revenue à la maison, tu exagères, tu as plutôt mis madame Poissonnard mal à l’aise, même si elle a paru en sourire.
Un peu plus tard, quelque temps après l’accouchement, nous revoilà dans le magasin, madame Poissonnard m’apostrophe aussitôt : « Ah, Monsieur le maladroit est de retour… et on voit le résultat ! » se penchant derechef sur le berceau avec le sourire angevin de qui vient de découvrir une des sept merveilles du monde.
- Que voulez-vous chère madame, quand on casse un vase on peut le recoller mais moi, je n’avais pas de colle pour réparer les dégâts, et Anaïs n’aurait pas voulu d’ailleurs… Ah, c’est bien mon cauchemar cette maladresse congénitale qui me poursuit ainsi… Anaïs me le disait encore ce matin, "Mais qu’est-ce que tu peux faire comme faux mouvements !" »
Nouvelle rigolade des quelques personnes présentes dans la boutique.
Anaïs avait beau me pousser du coude, je tenais à pousser mon avantage.
- Ah, la la, n’en croyez rien, s’exclama-t-elle, ne l’écoutez pas celui-là, il dit n’importe quoi ! Quel culot ! Il ne fut pas le prendre au sérieux.
- Pas du tout, je ne fais que devancer tes désirs, dis-je en me retournant vers Anaïs. N’est-ce pas le désir secret des dames ?
C’était parti sur cette question éminemment philosophique. Et là, je suis très doué pour relancer la discussion.
- On connaît les hommes, dit madame Poissonnard à Anaïs, d’un air entendu.
- Les hommes, les hommes, comme vous y allez… Dites-moi donc, non que je sois d'une curiosité maladive, loin de là, mais entre nous bien sûr, combien en avez-vous connus ? Ah, ah, vous rougissez, oui, oui, comme on dit, "une hirondelle ne fait pas le printemps" et sans vous offenser chère madame, quelques individus ne font pas une statistique.
- Ne l’écoutez pas, dit Anaïs, impatiente de rentrer à la maison, avec lui vous n’aurez jamais le dernier mot, il trouvera toujours le moyen de vous entourlouper avec son bagou.- Ah, répondit madame Poissonnard bien décidée à profiter de la complicité d'Anaïs, c'est à son ramage que vous avez succombé.
- Ciel, je suis dévoilé, percé à jour, m’exclamais-je en me prenant la tête entre les mains. En réalité, murmurais-je à madame Poissonnard, Anaïs est très timide mais je puis vous confier qu’elle est très joueuse….
- Allez, laisse donc travailler madame Poissonnard, avec tes bêtises elle délaisse ses autres clientes.
Et elle me tira vigoureusement par la manche.
<< Ch. Broussas - Chez l’épicière - 23/12/2018 • © cjb © • >>
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