Référence : Robert Badinter, "Idiss", éditions Fayard, 2018

Une famille juive au XXème siècle
 

Robert Badinter retrace le destin de sa grand-mère, Idiss, qui fuit l’empire tsariste  pour se réfugier à Paris en 1912. Elle y vit les plus belles années de sa vie avant d’être rattrapée par les affres de la guerre et le nazisme.

                   

Extraits d’un entretien avec l’Express : « J’emporte avec moi un monde mort. »

Ni projet de Mémoires, ni biographie sur une vie à la fois romanesque et tragique, ni étude sur la condition des immigrés juifs de l'Empire russe venus à Paris avant 1914,
 il s’agit d’un geste, « un geste vers mon enfance d'abord, et un geste vers mes parents ensuite. »

               
 

Son destin, lui demande-t-on ? « Un destin juif, européen et cruel. Son parcours relève des grandes migrations de cette période. Elle fuit une Bessarabie russe dominée par le régime tsariste, avec tout ce que cela implique de violences antisémites, pour gagner Paris avant la Première Guerre mondiale. Après le dénuement des débuts, à force de travail et grâce à la prospérité des années 1920, Idiss et les siens connaîtront une aisance quasi bourgeoise, jusqu'à ce que survienne le désastre de la défaite de 1940 et de l’Occupation allemande. »

Ce fut d’abord ses deux fils Avroum et Naftoul qui, fatigués des terribles pogroms qui sévissaient dans cette région, vinrent en France. Il est vrai qu’ils auraient pu tout aussi bien choisir une vile d’Europe centrale, Londres ou même les États-Unis. La France donc pour son aura culturelle de l’époque, son système démocratique, une langue qui rayonnait dans toute la Bessarabie et bien au-delà.


La famille Badinter avant la Seconde guerre mondiale


« Après tout, dit Robert Badinter, au XIXe siècle, elle était le seul pays d'Europe où un juif pouvait être titulaire de tous les droits civils et civiques. Il avait le choix de devenir, comme les autres, juge, officier ou professeur. C'était quelque chose d'inouï pour des sujets de l'empire tsariste. D'où l'expression : "Heureux comme un juif en France." Ce propos fleurissait dans toute l'Europe. Son appel résonnait dans les profondeurs de la Russie tsariste. »
L’école joua un rôle central dans le processus d’intégration, « L'école française, jusque dans les années 1930, était une prodigieuse machine assimilatrice, précise-t-il. »


          

Comme toutes les familles juives, la guerre et l’Occupation furent une époque d’une violence inouïe, pire que les pogroms qu’elles avaient fuis. Robert Badinter, à son modeste niveau, se souvient de l’ambiance délétère qui régnait à Lyon en 1942, mentalité pétrie de pétainisme : « Au lycée, les adolescents étaient rassemblés pour le salut aux couleurs et le chant en chœur de "Maréchal, nous voilà" ! C'était une époque d'une grande bassesse. »

À cette époque, les juifs étrangers marquaient bien la différence entre la République protectrice et la France fille aînée de l’Église, réactionnaire, dont ils se méfiaient. Heureusement, tout ceci appartient au passé car « L'Occupation et le génocide ont profondément modifié la conscience catholique. »
Robert Badinter pense que ce changement est dû à la nature même du nazisme qui visait pêle-mêle tous les juifs, qu’ils soient riches ou pauvres, français ou étrangers.


Avec sa femme Élisabeth                                   Avec sa fille et sa petite-fille


Pour lui, écrire sur sa grand-mère c’est évoquer un monde disparu, « une Atlantide culturelle. » La  monstruosité même de la "solution finale" a tué aussi le dynamisme du judaïsme d’Europe orientale. Ce témoignage qu’il s’est décidé à faire, c’est avant tout parce qu’il se sent « pris de vertige devant les crimes commis, notamment à l'égard des enfants. […]. J'ai l'impression d'emporter avec moi un monde mort, aux synagogues détruites et aux tombes éventrées. »

Sa grand-mère Idiss avait fini elle aussi par rejoindre Paris mais en 1942, le jour de Kippour, elle fut arrêtée dans son appartement situé dans un immeuble du faubourg Montmartre.  Robert Badinter raconte ainsi son arrestation : « Des gendarmes français sont montés la chercher. Ils l'ont couchée sur une civière. Terrorisée, elle poussait des hurlements dans l'escalier. Ses cris ont suscité la pitié des voisins qui ont réclamé des gendarmes qu'ils la laissent chez elle. » Mais un gestapiste intervint, sortant son arme et menaçant les voisins.  Elle fut transférée au camp de Drancy puis immédiatement transférée à Auschwitz. Mais « elle est morte dans le wagon de déportation. »

       
  Avec le chancelier Helmut Schmidt              Avec François Mitterrand


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