Référence :
Per Olov Enquist, Le médecin personnel du roi, traduction Marc de
Gouvenain et Léna Grumbach, éditions Actes Sud, septembre 2002, Meilleur
livre étranger 2001
Son but : « défricher l’épaisse forêt des hommes » disait-il, en se basant souvent sur des personnages singuliers.
Technique narrative
On rattache généralement Per Olov Enquist au "mouvement documentariste" qui mélange reportage, rapport, forme juridique avec les formes classiques du roman, technique picturale qui contestait les institutions suédoises. La technique de Per Olov Enquist part d’une histoire réelle et y incorpore des personnages, réels ou inventés, hors normes, qui lui permettent de mieux saisir la réalité d'une époque.
Il part d’une solide documentation pour restituer la réalité d’une époque ou d’une situation pour y inclure des éléments de fiction, ce qui lui permet d’écrire des récits structurés mêlant biographie et roman, la réalité et la fiction.
Par exemple, dans Le Médecin personnel du roi, il raconte le destin singulier du docteur Struensee, conseiller de Christian VII le roi du Danemark, qui devint quasiment vice-roi du Danemark ou dans L'Extradition des Baltes qui mélange interview et fiction pour montrer les ambiguïtés de la neutralité suédoise. Cette part d'invention a l’avantage de mieux saisir dépeindre une époque ou une société.
Sous des formes très variées, Per Olov Enquist traite du déclin inéluctable d’un individu après une rapide ascension, l’ombre après la lumière.
Blanche et Marie [1] L'extradition des baltes [2] Départ des musiciens [3]
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Le médecin personnel du roi
Nous sommes au Danemark en 1770. Et il semble bien qu’il y ait quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark.
Le roi Christian VII est incapable de régner, névrosé et un peu dérangé. Il a peur de sa femme au point qu’il lui préfère une prostituée qu’on se presse de virer mais le roi est têtu et il se met en tête d’aller parcourir l’Europe à sa recherche. Avant son départ, ses conseillers le refilent à Johann Friedrich Struensee, un médecin aussi instruit que tolérant qui aura de plus en plus d’influence sur Christian VII, au grand dam de ceux qui l’ont promu.
Le roi et la reine ont un fils mais vivent chacun de leur côté. La reine Caroline, la « putain anglaise » comme l’appellent les jaloux, apprend à mieux se comporter et à être plus à l'aise dans cette société où elle se sent étrangère. Elle deviendra même pour Struensee une conseillère avisée.
Au retour du périple européen, Struensee qui a gagné la confiance du roi, décide de se rapprocher de la jeune reine et de proposer des réformes progressistes qui ne font pas l’affaire de la noblesse.
Mais Struensee va commettre deux graves erreurs : disciple de Voltaire et de Rousseau, il va entreprendre des réformes certes humanistes mais surtout imprudentes qui mécontentent aussi bien l’élite que le peuple.
En deux ans de "règne", il s’attaque successivement aux inégalités et au servage, supprime beaucoup de privilèges, établit la liberté de la presse et supprime la censure, la torture, la prison pour dettes, réforme l'administration puis lance la création d’orphelinats et d’écoles. Une révolution en douceur qui paradoxalement sera le fait d’un système tyrannique, non démocratique. Il est à la base d’une mutation fondamentale qui finira par s’imposer après un recul due aux acteurs les plus réactionnaires de cette société.
Per Olov Enquist dans son bureau
Il va aussi tomber amoureux de la reine Caroline Mathilde de Hanovre, sœur du roi d'Angleterre George III, amour réciproque d'une joie partagée qui va se concrétiser par la naissance d'une fille.
Dès lors, ses jours sont comptés.
En 1772, un complot va mettre fin à son aventure royale et il sera finalement exécuté. Per Olov Enquist s’est servi de cet épisode historique pour se livrer à une réflexion sur le pouvoir, sur le rôle des Lumières, sur les facéties de l’existence. Face à Stuensee qui incarne une vision d’avenir, se dresse Owe Guldberg, un arriviste sans foi ni loi, qui représente le parti des nobles et réussira à revenir à la situation antérieure en tenant le monarque sous tutelle.
Ce roman est basé sur des témoignages de l'époque comme ceux de Robert Murray Keith représentant anglais à Copenhague, de Reverdill, professeur royal d'allemand et de français qui raconte la jeunesse du jeune roi sous la férule perverse du comte Reventlow, ou le courrier échangé entre Voltaire et Christian VII, disciple des Lumières avant de tomber dans la folie.
Il tient ainsi à la fois du documentaire et de la fiction.Sous une thématique historique, se profile pour Per Olov Enquist la question du pouvoir et des conditions d'exercice de la liberté individuelle.
Pour développer sa narration, il utilise les flash-back et des incises pour annoncer la suite en soulignant les moments importants, laissant souvent s'exprimer le point de vue de tel ou tel personnage.
« Gouverner, c’est déchirer le rideau des apparences » écrit l'historien Patrick Boucheron et derrière les apparences, l'Histoire continue donnant parfois raison à ceux qui ont eu raison trop tôt : en 1784, 12 ans après l’exécution de Struensee, le servage est aboli. La fille de la reine Caroline et de Struensee aura une fille dont le mari deviendra roi du Danemark.
Son autobiographie : Une autre vie [4]
Notes et références
[1] Le livre est basé sur une biographie fictive de Blanche Wittmann, qui est censée être devenue assistante au service de Marie Curie, à l'Institut du radium et qui va mourir des suites de radiations. Il aborde aussi la condition féminine au début du XXe siècle, à travers ces deux portraits de femmes liées à la la psychiatrie et à la science moderne.
[2] Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement suédois renvoie en Union soviétique des réfugiés militaires baltes, ce qui déclenche un énorme tollé dans le pays, c'est une affaire Dreyfus à l'échelle du pays.
[3] La vie misérable de petites gens en Suède au début du XXe siècle, sous la coupe d'une religion qui condamne l'art et le plaisir. Certains s'orientent vers la lutte et la grève ou au contraire désespèrent, d'autres se tournent vers le socialisme.
[4] Vers la fin des années 1970, il est victime d'une grave dépression qui l'empêche d'écrire. Il s'installe à Paris avec sa femme, membre de l'ambassade du Danemark. IL vivra ce séjour de plus de 3 ans en sortant rarement de son appartement. De retour au Danemark, il est hospitalisé pour éthylisme : c'est le sujet de "Une autre vie".
En complément
* A propos de ses pièces Marie Stuart et Pour Phèdre, de son autobiographie Une autre vie --
* Sur Le 5e hiver du magnétiseur --
* Voir aussi ma fiche Les prix Nobel de littérature --
* Petite Présentation vidéo (Olivier Barrot) --
<< Christian Broussas – Enquist - 13/04/2019 < • © cjb © • >>
Son but : « défricher l’épaisse forêt des hommes » disait-il, en se basant souvent sur des personnages singuliers.
Technique narrative
On rattache généralement Per Olov Enquist au "mouvement documentariste" qui mélange reportage, rapport, forme juridique avec les formes classiques du roman, technique picturale qui contestait les institutions suédoises. La technique de Per Olov Enquist part d’une histoire réelle et y incorpore des personnages, réels ou inventés, hors normes, qui lui permettent de mieux saisir la réalité d'une époque.
Il part d’une solide documentation pour restituer la réalité d’une époque ou d’une situation pour y inclure des éléments de fiction, ce qui lui permet d’écrire des récits structurés mêlant biographie et roman, la réalité et la fiction.
Par exemple, dans Le Médecin personnel du roi, il raconte le destin singulier du docteur Struensee, conseiller de Christian VII le roi du Danemark, qui devint quasiment vice-roi du Danemark ou dans L'Extradition des Baltes qui mélange interview et fiction pour montrer les ambiguïtés de la neutralité suédoise. Cette part d'invention a l’avantage de mieux saisir dépeindre une époque ou une société.
Sous des formes très variées, Per Olov Enquist traite du déclin inéluctable d’un individu après une rapide ascension, l’ombre après la lumière.
Blanche et Marie [1] L'extradition des baltes [2] Départ des musiciens [3]
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Le médecin personnel du roi
Nous sommes au Danemark en 1770. Et il semble bien qu’il y ait quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark.
Le roi Christian VII est incapable de régner, névrosé et un peu dérangé. Il a peur de sa femme au point qu’il lui préfère une prostituée qu’on se presse de virer mais le roi est têtu et il se met en tête d’aller parcourir l’Europe à sa recherche. Avant son départ, ses conseillers le refilent à Johann Friedrich Struensee, un médecin aussi instruit que tolérant qui aura de plus en plus d’influence sur Christian VII, au grand dam de ceux qui l’ont promu.
Le roi et la reine ont un fils mais vivent chacun de leur côté. La reine Caroline, la « putain anglaise » comme l’appellent les jaloux, apprend à mieux se comporter et à être plus à l'aise dans cette société où elle se sent étrangère. Elle deviendra même pour Struensee une conseillère avisée.
Au retour du périple européen, Struensee qui a gagné la confiance du roi, décide de se rapprocher de la jeune reine et de proposer des réformes progressistes qui ne font pas l’affaire de la noblesse.
Mais Struensee va commettre deux graves erreurs : disciple de Voltaire et de Rousseau, il va entreprendre des réformes certes humanistes mais surtout imprudentes qui mécontentent aussi bien l’élite que le peuple.
En deux ans de "règne", il s’attaque successivement aux inégalités et au servage, supprime beaucoup de privilèges, établit la liberté de la presse et supprime la censure, la torture, la prison pour dettes, réforme l'administration puis lance la création d’orphelinats et d’écoles. Une révolution en douceur qui paradoxalement sera le fait d’un système tyrannique, non démocratique. Il est à la base d’une mutation fondamentale qui finira par s’imposer après un recul due aux acteurs les plus réactionnaires de cette société.
Per Olov Enquist dans son bureau
Il va aussi tomber amoureux de la reine Caroline Mathilde de Hanovre, sœur du roi d'Angleterre George III, amour réciproque d'une joie partagée qui va se concrétiser par la naissance d'une fille.
Dès lors, ses jours sont comptés.
En 1772, un complot va mettre fin à son aventure royale et il sera finalement exécuté. Per Olov Enquist s’est servi de cet épisode historique pour se livrer à une réflexion sur le pouvoir, sur le rôle des Lumières, sur les facéties de l’existence. Face à Stuensee qui incarne une vision d’avenir, se dresse Owe Guldberg, un arriviste sans foi ni loi, qui représente le parti des nobles et réussira à revenir à la situation antérieure en tenant le monarque sous tutelle.
Ce roman est basé sur des témoignages de l'époque comme ceux de Robert Murray Keith représentant anglais à Copenhague, de Reverdill, professeur royal d'allemand et de français qui raconte la jeunesse du jeune roi sous la férule perverse du comte Reventlow, ou le courrier échangé entre Voltaire et Christian VII, disciple des Lumières avant de tomber dans la folie.
Il tient ainsi à la fois du documentaire et de la fiction.Sous une thématique historique, se profile pour Per Olov Enquist la question du pouvoir et des conditions d'exercice de la liberté individuelle.
Pour développer sa narration, il utilise les flash-back et des incises pour annoncer la suite en soulignant les moments importants, laissant souvent s'exprimer le point de vue de tel ou tel personnage.
« Gouverner, c’est déchirer le rideau des apparences » écrit l'historien Patrick Boucheron et derrière les apparences, l'Histoire continue donnant parfois raison à ceux qui ont eu raison trop tôt : en 1784, 12 ans après l’exécution de Struensee, le servage est aboli. La fille de la reine Caroline et de Struensee aura une fille dont le mari deviendra roi du Danemark.
Son autobiographie : Une autre vie [4]
Notes et références
[1] Le livre est basé sur une biographie fictive de Blanche Wittmann, qui est censée être devenue assistante au service de Marie Curie, à l'Institut du radium et qui va mourir des suites de radiations. Il aborde aussi la condition féminine au début du XXe siècle, à travers ces deux portraits de femmes liées à la la psychiatrie et à la science moderne.
[2] Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement suédois renvoie en Union soviétique des réfugiés militaires baltes, ce qui déclenche un énorme tollé dans le pays, c'est une affaire Dreyfus à l'échelle du pays.
[3] La vie misérable de petites gens en Suède au début du XXe siècle, sous la coupe d'une religion qui condamne l'art et le plaisir. Certains s'orientent vers la lutte et la grève ou au contraire désespèrent, d'autres se tournent vers le socialisme.
[4] Vers la fin des années 1970, il est victime d'une grave dépression qui l'empêche d'écrire. Il s'installe à Paris avec sa femme, membre de l'ambassade du Danemark. IL vivra ce séjour de plus de 3 ans en sortant rarement de son appartement. De retour au Danemark, il est hospitalisé pour éthylisme : c'est le sujet de "Une autre vie".
En complément
* A propos de ses pièces Marie Stuart et Pour Phèdre, de son autobiographie Une autre vie --
* Sur Le 5e hiver du magnétiseur --
* Voir aussi ma fiche Les prix Nobel de littérature --
* Petite Présentation vidéo (Olivier Barrot) --
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