"L’amour est aveugle" : Entre musique et amour : une symphonie romanesque.

 Référence : William Boyd, L’amour est aveugle, Le ravissement de Brodie Moncur, éditions Le Seuil, collection Cadre vert, traduction de Isabelle Perrin, 482 pages, mai 2019

         

Difficile de caractériser William Boyd, tout à tour professeur à Oxford, critique, scénariste et réalisateur de cinéma. Un homme protéiforme qui n’en reste pas moins d’abord un écrivain.

Pour ce livre dont on a pu dire qu’il est une variation entre amour et musique, William Boyd se réfère volontiers à Anton Tchékhov (1860- 1904) disant dans une interview : « J’ai imaginé un roman que Tchekhov aurait pu écrire ». Il y a ajouté une autre référence tirée d’un texte de Robert Louis Stevenson (1850- 1894) : « Tomber amoureux est l’aventure illogique par excellence… »

          

Au village de Liethen Manor, le jeune Brodie Moncur est le seul enfant au teint mat, aux yeux marron et aux cheveux noirs d’une fratrie de six filles et trois garçons. Son père, pasteur, alcoolique et violent ne l’aime pas et sa mère, fatiguée par de nombreuses grossesses, est morte en couches alors qu’il n’avait que quatorze ans. C’est auprès de Lady  Dalcastle, une veuve amie de sa mère que Brodie découvre le goût d’apprendre. Elle se débrouille pour lui obtenir un poste d’apprenti-accordeur chez son cousin Ainsley Channon, fabricant de pianos à Edimbourg.


En 1894, Brodie Moncur, devient un accordeur super doué à l'oreille absolue.. Il se voit ensuite offrir un poste de responsable de la filiale parisienne et parvient à redresser les comptes de la fabrique de pianos qui périclitait depuis la direction du fils Calder Channon. Cette promotion est aussi pour lui une double aubaine lui permettant de quitter une vie assez ennuyeuse et la férule de son pasteur de père.  Il a eu quelques idées heureuses comme cette intuition de payer des concertistes célèbres pour jouer sur un de ses instruments.
Une rencontre va changer sa vie : John Kilbarron qu’on surnomme le « Liszt irlandais », et sa maîtresse, la soprano russe Lika Blum, belle et douée, dont il tombe très vite amoureux.

                   
                                                            Prélude au piano
William Boyd fait de John Kilbarron la figure mythique de l’interprète virtuose,  « Une tornade … On pouvait être un excellent et talentueux pianiste, comme Dimitri, mais des artistes comme Kilbarron atteignaient un niveau inaccessible, presque surhumain. » (page 106) Lui-même ne clame-t-il pas : « Il y a trois choses indispensables pour devenir un pianiste de ma stature, annonça Kilbarron sans trace d’arrogance … Sensibilité, virtuosité, vélocité. » (page 125) Mais c’est aussi un homme à la jalousie maladive, qui a tendance à abuser de l’alcool, aidé par la surveillance ombrageuse de son frère.

         
                                      Boyd avec sa femme Grace Bradley

Devenu indispensable au pianiste, il le suit à Saint-Pétersbourg où sa liaison clandestine avec Lika est dénoncée par Malachi, le frère de Kilbarron. C’est pour lui une catastrophe et dès lors, tout va se déliter, il est atteint d’une grave tuberculose, un duel perdu qui se solde par une fuite éperdue, et une rupture insupportable…

il va errer dans des villes européennes comme Nice, Genève, Trieste ou Vienne - avant de choisir l’exil lointain à Port-Blair dans les îles Andaman, au large des côtes indiennes, où il devient assistant d’une ethnologue et où il rejoindra son destin car, comme l’écrit William Boyd,  « nous sommes faits pour les complications, nous autres êtres humains. »
Un livre exubérant mêlant musique et passion dans une ambiance de fin de siècle qui annonce les transformations socio économiques du XXe siècle.

             
<< Christian Broussas – W Boyd - 3/06/2019 <><> © • cjb • © >>