jeudi 7 novembre 2019

JMG Le Clézio, Haï

Référence : JMG Le Clézio, Haï, éditions Albert Skira, Collection Sentiers de la création, juin 1971.

      

  Au début des années soixante-dix, JMG Le Clézio est au Panama dans la région du Darién, quelque part dans la forêt tropicale. Il vit en symbiose avec les Indiens Emberas et Waunanas, à l’écart de toute civilisation et nous livre son expérience dans un ouvrage qui tient autant du Journal que du témoignage ethnologique. [1] Haï comprend, en alternance avec le texte, des photos d’objets lui appartenant : statuettes, calebasse, panier tissé, accompagnés de clichés de paysages, juxtaposant art indien et photos publicitaires de la société de consommation.

     

Pour les Indiens le monde se divise en deux forces : « Haï », le titre, signifie « L’activité, l’énergie » et l’autre force « wandra », « la soumission, la domination, la possession ». Le Clézio aime ce peuple primitif et le fait revivre à travers son œil d’occidental mais avec toute l’empathie dont il est capable. Ce monde indien dont il nous présente le quotidien semble si loin de l’univers occidental que le témoignage dans ce qu’il a de brut et d’authentique  est bien mieux adapté pour rendre compte de leur réalité, que la fiction.


Avec sa femme à Stockholm

On se retrouve ainsi transporté hors de l’histoire et hors du temps. Quasi naturellement selon Le Clézio, son livre se présente comme le « déroulement du cérémonial de guérison magique », selon trois temps forts : Initiation « Tahu sa, l’œil qui voit tout », Chant « Beka, la fête chantée » et Exorcisme « Kakwahaï, Corps exorcisé ».



Les pratiques de ces peuplades reposent sur des rituels d’altération de conscience, des chants, et l’art en tant que traitement mental ou du corps. Le Clézio revient sur ce rituel et son apprentissage avec des chamans dans La Fête chantée.


Le silence de la forêt et du fleuve s’oppose au vacarme des villes et aux bavardages des hommes. La société indienne respecte la liberté de chacun, refuse la censure et reconnaît à la femme des droits étendus comme « la liberté de fuir l’homme qu’elle a cessé d’aimer, de chercher un homme qui lui plaît, de boire les décoctions de plantes abortives ou d’empoisonner son enfant à la naissance si elle n’en veut pas. » Liberté que Le Clézio oppose aux règles morales des sociétés occidentales.



Dans sa plongée dans cette culture, il se sent devenir indien comme dans Onitsha il devient africain et appelle son père « L’Africain » dans le livre du même nom. Il s’en imprègne profondément au point de s’identifier à ce peuple et ses manières de vivre. Pas d’exotisme dans sa démarche mais la reconnaissance, la découverte d’une autre façon de vivre  et de sentir, de s’ouvrir au monde. 
Même s’il reconnaît des limites à son expérience, « naturellement, après être parvenu à un certain niveau d’entendement, il m’est devenu clair que je ne pouvais aller plus loin », il dira qu’elle l’a profondément bouleversé, a modifié les idées qu’il pouvait se faire de la religion, la médecine et sur « cet autre concept du temps et de la réalité qu’on appelle l’art ».

           

Il note avec intérêt que la perception et l’appréhension du monde de l’art est différent chez les Indiens : « Pas besoin de livres assurément, ni de tableaux : tout homme est un livre, est un tableau. » Chez eux, la musique permet la communion suprême entre les êtres, avec les forces occultes et se perd ensuite dans les cieux. Ainsi, l’art n’a pas de permanence et chacun peut devenir artiste, contrairement à l’Occident où les artistes sont des aventuriers « ne voulant vivre que pour la gloire, dans l’espoir de la survie de leur nom ».  

Confronter monde indien et monde moderne, c’est éclairer ce dernier, c’est même « une nécessité pour qui veut comprendre le monde moderne. » Le Clézio oppose ces deux mondes, la nature et l’univers de l’un au progrès technologique de l’autre.
L’indien est vraiment intégré à l’univers alors que l’occidental est diffère par son langage et son système de production. 

      

Pour les indiens Emberas, trois éléments comptent particulièrement, les gestes, les regards et le silence. Des gestes sereins, des regards bienveillants, un silence apaisant. Autant d’attitudes en contradiction avec ce qu’il déteste le plus : la pollution sonore et les mots inutiles, tous les attraits du monde actuel auxquels on peut difficilement échapper, contrairement à l’indien qui lui, « n’est pas agi, [...] n’est pas soumis. »

        

Le Clézio a pu constater que pour les indiens, la vie et l’art sont inséparables, l’art de vivre ne s’enferme pas dans un musée.
Dans ce domaine, Le Clézio avait participé en 2012 avec Le Louvre à l’exposition « Le Musée Monde » différentes œuvres incluant arts éphémères, art vivant et objets d’art ou d’artisanat avec des réunions d’artistes issus de cultures éloignées, venus par exemple d’Haïti ou du Vanuatu pour dépasser les clivages culturels.


Isabelle Roussel-Gillet : JMG Le Clézio, L’œuvre féconde

De Haï jusqu’à l’exposition du Louvre, le chemin de Le Clézio suit son cours dans la dénonciation des méfaits de la mondialisation et la protection des plus défavorisés du monde entier.  

Notes et références
[1] Haï est une commande de Gaétan Picon pour sa collection « Les sentiers de la création » aux éditions Skira. 

 
Voir aussi
* Le Clézio,
L'homme du secret -- * Le Clézio et la bretagne --
* Ma Catégorie Le Clézio -- Présentation de Ritournelle de la faim --
* Le Clézio et
son œuvre -Présentation : Le procès-verbal, Révolutions,Onitsha, Ritournelle de la faim, Le Mexique, La trilogie mauricienne --
* Le Clézio Nobel 2008 : Désert et Ritournelle de la faim --


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