Référence : Ôe Kenzaburo, Notes d’Okinawa, traduction Corinne Quentin, éditions Picquier, 256 pages, 2019
« Pour une morale de l’essentiel »
En France, on a Paris et la province, au Japon, ils ont l’île principale Hondo (ou Honshu) et le reste, en particulier l’île de Shikoku où est né et a vécu l’auteur et l’archipel des Ryu-Kyu terminée à son extrême sud par l’île d’Okinawa.
Autant dire que l’auteur penche très favorablement en faveur de ces contrées excentrées pas toujours bien traitées par le pouvoir central.
« Ces notes d'Okinawa, je veux les garder en moi... les y enfoncer comme des clous qui m'aiguillonneront, pour me pousser à continuer à réfléchir à la démocratie d'après-guerre, à exercer une "imagination éthique". » (page 205)
En contrepoint à ce récit Notes d’Okinawa, il a aussi publié en 1963 Notes de Hiroshima, ensemble de réflexions sur les conséquences de l'arme atomique à partir de témoignages qu’il a recueillis de la part des "oubliés du 6 août 1945", écartelés entre le "devoir de mémoire" et le "droit de se taire", des vieillards solitaires, des femmes défigurées, des médecins pris par "le syndrome des atomisés"…
Durant les années 1960, Ôe Kenzaburô fait plusieurs séjours sur l’île d’Okinawa et noue beaucoup de liens avec ses habitants. On sent dans ses textes un grand désarroi devant les traumatismes qu’a subi l’île et la condescendance de la métropole.
Annexée à la fin du XIXe siècle, l’île d’Okinawa a vu se dérouler sur son sol une des plus terrible bataille de la seconde guerre mondiale, qui décimera au moins un quart de la population, avant d’être placée sous la tutelle américaine, qui y établit des bases abritant des armes atomiques et biologiques.
Ôe Kenzaburô est né en 1935 dans un village « au milieu des forêts de l’île de Shikoku ». L’année 1963 fut un choc pour lui : d’abord avec la naissance d’un fils handicapé et la rencontre des victimes de Hiroshima vont fortement influencer sa vie et son œuvre.
Ôé à Taïwan en 2009
Ôe Kenzaburô, nous raconte cette histoire à travers le parcours de Furugen Sôken, un homme qui a lutté toute sa vie pour que cette île parvienne à se libérer de son tragique destin, à prendre de la distance avec un passé lourd à porter.
Dans ce contexte, il s’interroge sur les notions de paix et de démocratie, sur les sentiments des hommes dans ce contexte, ce que veulent vraiment dire la colère, l’empathie et le pardon, questions essentielles quelles que soient les situations vécues.
Cette rencontre avec Okinawa le confronte à la définition de l'identité du Japon comme nation, de ses habitants… et de lui-même.
Il se demande constamment dans cet essai "qu'est-ce qu'être okinawaïen, qu'est-ce qu'être japonais ?" Reprenant l'analyse de Agarue Toshiyuki, [1], il pense que le mode de comportement des okinawaïens comme celui des japonais est régi par "le principe de soumission au plus grand et le sentiment d'infériorité", ce qu'il appelle une " personnalité de type blanc-seing". [2]
Il voit aussi dans la volonté des okinawaïens occupés par les Américains, de défendre leur culture, leurs arts traditionnels, un rejet de l'occupant et sans doute aussi un rejet du pouvoir central japonais.
Depuis plusieurs années, Ôe Kenzaburô, qui se veut d’un pacifisme rigoureux, milite en faveur de la sortie du nucléaire. Il anime le mouvement "Au revoir au nucléaire" et pense écrire un roman sur le désastre de Fukushima.
À bientôt 85 ans, il s’interroge dans une interview récente, sur l’avenir du Japon après le désastre du 11 mars 2011 et sur celui d'un vieil écrivain têtu qui persiste à lutter pour une "morale de l'essentiel".
Ôé ou la tragédie du réel
Notes et références
[1] Agarue Toshiyuki (1927-2015) est un psycholinguiste , directeur de l'université de Nago à Okinawa ayant participé tout jeune à la bataille d'Okinawa en 1945.
[2] Voir pages 184 à 187
En famille
Voir aussi
* L'écrivain Ôe Kenzaburô -- Notes d'Okinawa --
* Ôe Kenzaburô , Adieu, mon livre ! L'Ecrivain par lui-même, entretiens avec Osaki Mariko, éditions Picquier
<< Christian Broussas – Ôe Okinawa- 26/10/2019 <> © • cjb • © >>
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