Autoportrait 1905 Derain & Vlaminck, 1942
« Les idées ne suffisent pas, il faut le miracle. »
« Il est stupide de vouloir exprimer dans un coin de rue toute la synthèse des émotions qu’un pays vous fait éprouver. » André Derain
Ses débuts : L'enterrement (1899), Bal à Suresnes (1903), République française, 1904
À l’occasion de l’exposition consacrée à André Derain en 2017, intitulée La décennie radicale, qui s’était tenue au Centre Pompidou, je lui avais dédié une fiche de présentation pour donner une idée du rôle fondamental qu’il a joué dans la formation du fauvisme.
Le séchage des voiles 1905 La jetée à l'Estaque 1906
Cette fiche est complétée par quelques portraits de femmes (Lucie Kahnweiler, la danseuse, Madame Matisse en kimono) qu'on pourra comparer avec d'autres portraits peints plus tard, pendant l'entre-deux-guerres.
Pinède à Cassis 1907 Baigneuses (esquisse) 1908
On y voit, outre quelques tableaux que j’ai repris ici, ses œuvres marquantes de cette période, en particulier quelques toiles de ses séjours à Collioure (différentes vues du port de pêche et du village, bateaux et montagnes de Collioure) et à Londres (le port de Londres, la Tamise).
L'homme au journal versions 1913 & 1948
À partir de 1910, Derain aborde un style éclectique influencé par les grands maîtres des siècles passés.
Vue de Collioure 1910
Lui qui, de tous temps, avait cherché des réponses dans l'art des musées renonce en partie au primat de la couleur pour des recherches plus formelles.
Lucie Kahnwiller 1913 Samedi, 1912
Pour avoir une idée de son évolution, j'ai choisi une un tableau représentatif de chaque année de cette période allant de ses débuts au fauvisme, avec l'année charnière de 1905 qui a vu sans doute fleurir ses meilleures œuvres fauves.
Les années vingt et les portraits
L'artiste dans son studio 1920 Portrait de Kissling 1921
Dans les années vingt, André Derain va réaliser beaucoup de natures mortes et de portraits d'une facture assez classique qui vont se démarquer de beaucoup d'autres oeuvres souvent influencées par le cubisme.
Madame Francis Carco 1923 Portrait de jaune femme 1923-24
C'est très marquant dans les exemples sélectionnés dans des portraits assez austères souvent exécutés dans des brun-marron tournant au beige, le plus souvent au fond uni.
Tête de femme 1924 Pierrot & Arlequin 1924
Les natures mortes n'échappent pas à cette esthétique comme cette nature morte au verre de vin en 1928 ou Fleurs dans un vase qu'il peindra quatre ans plus tard dont les couleurs, même les rouges, sont fondues et comme estompées.
C'est une époque particulièrement favorable pour lui puisqu'il est reconnu par beaucoup comme l'un des artistes majeurs de son époque et surtout de l'entre-deux-guerres.
Femme en chemise 1928 La nièce de Derain 1931
L'entre-deux-guerres et les natures mortes
On peut par exemple confronter les tableaux qu'il a peints sur le thème de la table, qu'elle soit seule ou comme support d'objets. Comme on le voit sur les exemples choisis. Table et chaise peint en 1904 est représentatif du début du fauvisme, tandis celui de 1911 comporte déjà la rigueur formelle du cubisme alors qu'on voit bien dans celui de 1925 que Derain est revenu à une vision beaucoup plus classique de la peinture.
Table et chaise, 1904 Carrières-sur-Seine 1904
Entre 1922 et 1925, André Derain peignit une série de natures mortes sur des ustensiles de cuisine, d’une construction statique avec des teintes sombres virant au brun. Cette Table de cuisine fut exposée dès 1925. (voir exemples ci-dessous)
La table, 1911
Dans La table de cuisine de 1925, Les objets, banals dans l’ensemble, se répartissent de façon organisée, uniquement éclairés du côté droit, jouant ainsi des formes et des couleurs.
La table de cuisine 1925
On peut distinguer une croix avec la poêle au centre, son manche, le grill, la cuillère en bois et la demi-baguette représentant les quatre bras. Pour former contraste, il peint un compotier blanc, un linge et des assiettes empilées sur la gauche. Les formes rondes des objets du fond, panier à salade, écumoire, poêle, carafe et compotier font pendant aux lignes droites du premier plan, pain, couverts, grill…
Nature morte à la poêle et aux poissons 1939
Nature morte aux oranges 1931
Cette toile, marquée par ses contrastes de lumière, fut peinte selon sa femme à la villa "la Janette" à Saint-Cyr-sur-Mer, près de Marseille, où il y passa deux étés.
Nature morte à la citrouille 1939
André Derain peindra beaucoup de natures mortes pendant toute cette époque, pas moins de trois par exemple en 1939 : Nature morte aux poissons et à la poêle, nature morte aux cruches et nature morte avec citrouille.
Le peintre et sa famille 1939 Isabelle Lambert 1935
À côté de son travail de peintre, André Derain a aussi exercé son art dans les décors et costumes de ballets, d’opéras et de théâtre, activité qui deviendra pour lui aussi importante que la peinture.
Il commence vraiment dès la fin de la Grande guerre où il travaille pour Diaghilev.
Maquette de décors et de costumes pour Fastes, 1933, crayon et gouache sur papier
Maquette de décors et de costumes pour L'enlèvement au sérail, 1951, crayon et gouache sur papier
Puis il va collaborer dans l’entre-deux-guerres avec Serge lifar, Ballanchine (La concurrence, Les fastes, Les songes et Dreams), Fokine (L'Épreuve d'amour au Chang-Yang et Le Mandarin cupide). Après la Seconde guerre mondiale, ce sera Massine (Mam’zelle Angot, Les femmes de bonne humeur, La valse de Ravel), Roland Petit et des œuvres lyriques comme L'Enlèvement au sérail de Mozart en 1951 ou Le Barbier de Séville de Rossini en 1953.
La clairière (d'après Le déjeuner sur l'herbe) 1938 [1]
Renouer avec l’essentiel
Guillaume Apollinaire a dit un jour de son ami « ...Derain vécut solitaire et oublia pendant un certain temps de participer à l’art de son époque. »
Mais la réalité, en tout cas celle de Derain, est peut-être différente. C’est son besoin de solitude qui s’exprime ainsi quand il se dit « à l’écart de tout et de tous », en peignant le portrait de Mme Kahnweiler ou l’Homme au journal, renouant avec la peinture figurative et utilisant des couleurs assez sombres, en demi-teinte. Preuve de son angoisse.
Portraits d’après-guerre : Carmen Baron 1944, Bobby 1948
Si son retour à une plastique plus classique est le signe de son isolement moral, s’exprime aussi son désir de partir seul explorer les mystères de la création. Le rigorisme de ses personnages se réfère aux anciens, aux maîtres du Quattrocento qu’il adore.
Vue d’Amiens 1946
Son but est bien de renouer avec la tradition à la lumière, de ce qu’il a appris auparavant. Il veut continuer avec sa propre vision ce qu’ont fait les peintres siennois des XIIIe et XIVe siècles, Cranach et Holbein, François Clouet ou les paysages italiens de Corot.
Fontainebleau Rochers, 1945
Il veut être cette continuité enrichie par sa propre expérience, ce que Cocteau nomma « le retour à l’ordre » après les massacres de la Grande guerre auxquels il a participé, en espérant ainsi retrouver une certaine vision positive de la vie, ses impératifs d’élégance et de civilité, détruits par la guerre.
Femme nue tenant une pomme 1941 Le massacre des innocents (d’après Brueghel) 1945-50
Déjà, le mouvement Dada s’estompe, Igor Stravinsky entame sa période néoclassique et Braque rompt avec le cubisme. Ce retour à un certain ordre esthétique sera aussi celui de Fernand Léger par exemple et même de Picasso avec ses Géants à partir de 1920.
C’est le fil conducteur qui relie les générations de peintres, une référence à l’école classique des Le Nain et des Poussin. C’est pour lui une nouvelle Renaissance qui rend à la peinture ses lettres de noblesse face à une fuite en avant qui se traduit justement par une fuite du réel, une fuite dans l’abstraction.
La chasse 1940
On peut dire que c’est sa façon "d’être moderne", se projeter dans des productions qui mêlent élégance et austérité. Ce qu’Élie Faure dans son Histoire de l’art, traduit ainsi : «André Derain a eu la force exceptionnelle, dans le tourbillon des systèmes, des influences croisées… de ramener tout cela, par un effort lent et large, aux aspects extérieurs et spirituels de son pays. » C’est pour lui comme un "éternel recommencement". Ce qui fera dire à Alberto Giacometti : « Derain est le peintre qui me passionne le plus, qui m’a le plus apporté et le plus appris depuis Cézanne ; il est pour moi le plus audacieux... »
Autoportrait à la pipe 1953
André Derain et Edmonde Charles-Roux à Aix-en-Provence 1953
Au-delà des reproches que certains ont cru bon de lui faire pour son attitude pendant la guerre, Marcel Duchamp lui a rendu un hommage appuyé de celui, écrit-il, qui « fut constamment l’adversaire des “théories”. Il a toujours été un vrai croyant du message artistique, non falsifié par des explications méthodiques et appartient jusqu’à ce jour au petit groupe d’artistes qui "vivent" leur art. »
La surprise 1938 [1]
Notes et références
[1] Derain a peint dans les trente une grande série de nus dont on peut voir des exemples dans le fichier Derain, Balthus et Giacometti , en particulier : Grande bacchanale noire (1935-45), Nu au chat (1936-38), Nu allongé au divan vert (1934-39) ou Grand nu étendu (1935)
Voir aussi
* Vues du pont de Charing cross, 1905 -- La décennie radicale (1904-1914)
* Quelques vues de ses œuvres scénographiques : Derain, Balthus et Giacometti et "A la recherche des secrets perdus" --
<< Christian Broussas – Derain multiforme - 07/12/2019 © cjb © >>
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