mardi 31 décembre 2019

Pierre Lemaitre Au revoir là-haut

Ils n’étaient pas faits pour se rencontrer mais la guerre a redistribué les cartes. Édouard Péricourt est fils de la haute bourgeoisie, dessinateur fantasque, homosexuel, rejeté par son père), « Le ravin qui séparait Édouard de son père lui était toujours apparu comme une donnée géologique, établie dès l’origine des temps, comme si les deux hommes avaient été deux continents placés sur des plaques différentes, qui ne pouvaient se rencontrer sans déclencher des raz de marée. »

   

Albert Maillard est avant-guerre un petit comptable issu d’un milieu modeste, une mère assez pénible et surtout une chouette fiancée, « Madeleine avait remarqué ce trait chez ce garçon, cette crainte permanente qu’arrive quelque chose dans son dos, cette perpétuelle appréhension; dans le cimetière, l’an dernier, il semblait déjà égaré, désemparé. Avec cette expression de douceur, de naïveté des hommes qui ont un monde à eux. »

 
Albert Dupontel dans le rôle d’Albert Maillard

 
Mais ils furent aussi deux poilus confrontés à la terrifiante réalité des tranchées.

Leur rencontre a lieu à la fin de la guerre, 9 novembre 1918, quand un jeune officier, le lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle, par arrivisme lance une ultime offensive meurtrière et inutile. Mais Albert a compris la manœuvre et  Henri d’Aulnay-Pradelle  veut s’en débarrasser en le précipitant dans un trou d’obus. Édouard Péricourt parviendra à sauver son camarade et ils se retrouveront tous les deux démobilisés, sans ressources et rejetés par le corps social. Le traumatisme de la guerre  a fait d’Édouard une gueule cassée et d’Albert un paranoïaque.

                                                 Le masque d'Albert et la jeune Louise

Beaucoup de Français veulent tourner la page de la guerre, le temps des héros est terminé. Vient alors le temps des combines et des arnacs, la volonté de gagner beaucoup d’argent le plus vite possible et par tous les moyens. Henri d’Aulnay-Pradelle va s’y employer si bien qu’il parviendra à épouser Madeleine Péricourt, sœur d’Édouard et fille du  richissime Marcel Péricourt.

      
             Émilie Dequenne & Niels Arestrup
(le père & la fille Péricourt)

Face à ce nouveau cynisme qu’ils constatent, face à Henri d’Aulnay-Pradelle  qui utilise les grands moyens pour développer un énorme trafic de transferts de tombes des soldats enterrés à la va-vite, Édouard et Albert vont mettre au point leur propre système d’arnac, assez simple mais efficace, consistant à proposer la vente de monuments aux morts qui vont obtenir un beau succès… mais fictifs. Ils voguent, avec Louise une jeune fille qui les a rejoints, sur le patriotisme de l’immédiat après-guerre en savourant leur vengeance avec plaisir et même un arrière-goût d’anarchisme.

    
                                          Monument aux morts 14-18 


À travers les péripéties de ces protagonistes, on assiste à l’évolution rapide de la société française dans l’immédiat après-guerre et les conséquences du traumatisme national que fut ce conflit, en particulier la déliquescence des valeurs morales. Les gagnants semblent bien être les plus malins… et les moins honnêtes, Édouard et Albert bien sûr mais surtout Henri d’Aulnay-Pradelle, ses séides et tous ceux qu’il parviendra à acheter.

   Le langage des tranchées

Mais rassurez-vous, le tome II remettra le beau et prestigieux (et très méchant) Henri d’Aulnay-Pradelle à sa place qui est au ban de la société, non pas sur des valeurs morales réactualisées mais sur une épreuve de force où l’argent va jouer un rôle moteur.

  Albert Dupontel & Laurent Lafitte        

Le contexte historique
Pour ce qui concerne le trafic de cercueils, qui fut une réalité historique, Pierre Lemaitre s’est appuyé sur étude de Béatrix Pau parue dans la Revue historique des armées. Après le succès de Au revoir là-haut, une nouvelle édition remaniée a été publiée sous le titre Le ballet des morts (État, armée, familles : s'occuper des corps de la Grande Guerre).

Après la guerre, beaucoup de familles ont voulu "récupérer" les corps de leurs proches morts à la guerre mais l’État n’y est pas favorable. Cependant, un nombre toujours plus important de familles passent outre par des moyens détournés, viols de sépultures, rapatriements clandestins, l’État oscillant dans cette affaire entre prévention et répression. Situation confuse donc jusqu’à ce que l’État finisse par légiférer par la loi du 31 juillet 1920 qui prévoit que désormais les frais de transfert autorisé des corps de soldats morts seront à la charge de l’État.

       
Mes fiches sur Pierre Lemaitre :

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Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013 -- Trois jours et une vie --
* Au revoir là-haut
-t1- Couleurs de l'incendie t2 --

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<< Christian Broussas, Lemaitre Goncourt 30/12/2019 © • cjb • © >>

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