mardi 31 décembre 2019

Pierre Lemaitre Interviews

  
 « Je n’écris pas pour les historiens. Je fais attention à ce que la torsion de l’Histoire ne soit pas incompatible avec ce que je suis et avec ma morale. » Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre, auteur de polars avant de devenir un romancier reconnu… et prix Goncourt, ce n’est pas banal.
Il a grandi entre Aubervilliers et Drancy, avec des parents employés et de gauche. Il est toujours resté fidèle à ses premiers engagements. Sa conscience sociale, c’est d’être un des parrains du Secours populaire, ayant réalisé à Reims un documentaire pour Arte sur le quotidien des plus démunis et sur l’action d’un bénévole, ajoutant dans une interview : « J’aime la justice sociale, on en est loin. L’injustice sociale, on est en plein dedans. ».

     

Dans un roman datant de 2006, il expose clairement son projet en reprenant une phrase de Roland Barthe: « L’écrivain est quelqu’un qui arrange des citations en retirant les guillemets ».  Dix ans plus tard dans son roman "Trois jours et une vie", il précise : « Je me reconnais volontiers dans le commentaire de H. G. Wells dans sa préface à Dolorès : " On prend un trait chez celui-ci, un trait chez cet autre ; on l’emprunte à un ami de toujours, ou à quelqu’un à peine entrevu sur le quai d’une gare, en attendant un train. On emprunte même parfois une phrase, une idée à un fait divers de journal". Voilà la manière d’écrire un roman ; il n’y en a pas d’autre. » Pas d’autres, ça se discute mais en tout cas, on voit très bien comment il procède, ce que font effectivement beaucoup de romanciers.

           

Pour lui, il n’existe pas de genres littéraires, pas de romans noirs, policiers, historiques, sentimentaux, rien que des romans. Même quand il écrit une histoire policière, il respecte scrupuleusement les codes du genre mais au fond, précise-t-il, « mais au fond, mes outils narratifs sont les mêmes que pour écrire un roman historique. » Les catégories ne servent qu’aux journalistes et aux enseignants mais le romancier, lui, écrit simplement des histoires.

      

Pour Pierre Lemaitre, il existe trois sortes d'auteurs. Ceux qui savent nous accrocher et que le public aime le plus, ceux qui possèdent un style personnel, ont des lecteurs fidèles et la faveur de l'Académie Goncourt et des pédagos et ceux plus rares qui ont à la fois un style inimitable et rendent le lecteur "accro" à leur romans. Seuls ces derniers font en quelque sorte l'unanimité de des profs, des Goncourt et du public.  

 

Il aborde ensuite le rôle sociétal des romans qui ne lui semblent pas jouer de rôle déterminant dans les grands changements sociaux mais il croit beaucoup plus au rôle de la littérature pour faire bouger les choses. Ne serait-ce « qu’en permettant aux lecteurs d’élargir leur vision du monde. » Même s’il n’a pas à la fois s de message à faire passer, il tient à dire qu’il « n’avance pas masqué et n’importe qui en me lisant peut se rendre compte des valeurs dont je suis porteur. »

Pour ses personnages féminins, la démarche est la même. Ce sont souvent des personnages composites, la cantatrice par exemple est le produit de caractères communs aux divas. Avec Madeleine Péricourt, «  j’ai voulu montrer une femme résiliente. » Tous ses romans contiennent ce genre de femmes fortes capables d’affronter toute les adversités.  

  

Madeleine est aussi une femme que la vie a gâtée avant  de la confronter à une vie plus difficile. C’est aussi une femme prête à desserrer le carcan qui contraint les femmes à cette époque, même celles qui sont les plus favorisées comme Madeleine, « elle est banquière mais n’a pas le droit de signer un chèque ! » précise-t-il. Et elle ne va pas en rester là : « elle accède à une conscience de classe, elle s’ouvre au monde, acquiert une conscience politique. »Il y a aussi dans ses romans des femmes comme Léonce, désirables et émouvantes, rarement heureuses en amour, « » dit-il.

       

Il fait sienne la phrase de Jean-Paul Sartre qui disait que « L’argent n’a pas d’idées. » Il aime les liens entre les années 30 et notre époque, la fraude fiscale qui sévissait alors, l’argent planqué en Suisse et les politiques qui juraient qu’ils allaient y mettre bon ordre alors qu’aujourd’hui rien n’a changé.

Ça lui a beaucoup plu de présenter la naissance de la technologie, « des hommes nouveaux qui ressemblaient terriblement aux anciens, Comme aujourd’hui, on nous avait promis un monde nouveau, une véritable révolution… »   

Il ne se sent pas le droit de jouer avec l’Histoire. Avoir une position morale est important car sinon, pourquoi ne pas nier la réalité de l’Holocauste. Son souci est donc de concilier la morale et l’Histoire, ce qu’il nomme « la torsion de l’Histoire » et la compatibilité avec sa morale.

  

En complément : La trilogie Les enfants du désastre
« Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. »
Bien après sa trilogie "policière" avec le commissaire Verhoeven, Pierre Lemaitre entame une nouvelle trilogie sur la période de l'entre-deux-guerres, qu'il nomme Les enfants du désastre. Le désastre en question est bien sûr celle de la Grande Guerre et de ses conséquences, vu à travers les destins de la famille Péricourt et des amis d'Édouard Péricourt, gueule cassée, Albert Maillard son compagnon d'infortune dans les tranchées ou la jeune Louise, héroïne du dernier tome.

Au revoir Là-Haut, c'est l'histoire d'une arnac aux monuments aux morts, la France après 1918 se couvrant de ce genre de monuments qui attirent la spéculation.
Couleurs de l'incendie est l'histoire de la vengeance de la vertueuse Madeleine qui ruinée, parviendra à remonter la pente et à ruiner son beau et méchant ex mari, dans ces "couleurs de l'incendie" qui brûlera la France en 1940.
Miroir de nos peines met en scène la petite Louise qui a 30 ans en 1940, période où se déroule ce dernier volet de la trilogie.


   
Édouard Péricourt, gueule cassée, et son masque


Notes et références
[1] Marcel Péricourt et ses deux enfants, Édouard et Madeleine ainsi que son futur gendre Henri d’Aulnay Pradelle.


Mes fiches sur Pierre Lemaitre :
*
Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013 -- Trois jours et une vie --
* Couleurs de l'incendie t2 --

------------------------------------------------------------------------------
<Christian Broussas, Lemaitre Interviews 29/12/2019 © • cjb • © >

------------------------------------------------------------------------------

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire