Référence : Régis Jauffret, Papa, éditions Le Seuil, 208 pages, janvier 2020
« Un roman, une biographie trouée et amplifiée par la fiction. » Régis Jauffret
« Ces sept secondes de film ont réveillé l’enfant tapi dans les couches profondes de mon être, me donnant une inextinguible soif de père », confesse-t-il.
19 septembre 2018, Régis Jauffret aperçois dans un documentaire sur la police de Vichy son père sortant menotté entre deux gestapistes de l’immeuble marseillais où il a passé son enfance : « Ils semblent joyeux alors que le visage de mon père exprime la terreur. » Des images datant de 1943. Son père, ni personne à sa connaissance, n’a jamais parlé de cet épisode pour le moins singulier et perturbant. « Moi dit-il, le conteur, le raconteur, l’inventeur de destinées, il me semble soudain avoir été conçu par un personnage de roman. »
De son père, il dit qu’il parlait peu et qu’il n’y avait pas d’échanges. Pas le genre de père avec qui on peut jouer au football, bricoler, ou avoir de vrais échanges car « c’était un père annihilé qui n’existait pas socialement. » Contrairement à son père, il dit être toujours « dans la projection totale, la surexcitation permanente, plus dans l’avenir qu’enfermé dans le présent. Le présent ne me suffira jamais. »
Régis Jauffret avec Legor Gran
Ces images qu’il découvre rompent l’indifférence qu’il professait à l’égard de son père, que même son décès n’avait pas modifiée. Mais elles lui donnent l’envie d’évoluer vers une meilleure image de lui.
« Cette image était une sorte d’espoir. Lui qui n’était rien, là, il était quelque chose même si je ne saurais jamais quoi. »
Pendant l’enfance un fossé s’était creusé entre eux. L’écriture est en même temps l’occasion de se rapprocher de ce père et de constater cette distance et « cette étrangeté l’un à l’autre. » Le plus souvent, les souvenirs liés à l’enfance et aux parents sont plutôt positifs, ce qui n’est pas son cas. Pour lui, il existe les enfants aimés de leurs parents et ceux qui ne l’ont pas été. Son cas est plus ambivalent : une jeunesse somme toute assez heureuse, un père aimant mais souvent absent.
Et effectivement, c’est cette absence, le rôle effacé de son père Alfred qui fait que sa mère Madeleine assume tous les rôles et que l’enfant prend la place du père.
« Ce livre n’est que vérité, quand on ment et qu’on dit qu’on ment, on dit la vérité. » Régis Jauffret
Il avoue n’avoir jamais ressenti une douleur pareille lors de l’écriture d’un roman : « Pour moi c’est une aventure invraisemblable, je n’aurais jamais imaginé écrire ce livre. »
Parler d’Alfred et de Madeleine, c’est mettre de la distance avec Maman et surtout Papa, qu’il essaiera malgré tout de rejoindre, d’où le titre du livre car « cette mise à distance participe de l’effet de fiction, du romanesque et de l'universalité de l'ouvrage. »
Si on y trouve les éléments de décor propres à l’époque, le magasin Aux Dames de France avec son "escalier roulant", les scooters Lambretta et les tanks en plastique, l’essentiel réside dans cette dualité entre le travail de la mémoire et celui de l’imaginaire de l’écrivain, l’amour filial qui voudrait se libérer et un sentiment de culpabilité.
Il sait aussi que tout est lié puisque « à chaque fois qu’on se souvient le souvenir se modifie », ce passé, on peut avoir envie de le faire revivre ou « le ranger selon l’humeur sur les rayons de notre chronologie comme les livres sur ceux d’une bibliothèque ».
On peut se demander finalement ce qui est le plus vrai : le roman et sa part de fiction, d’invention ou les souvenirs souvent biaisés par les insuffisances de la mémoire.
Voir aussi mes fiches
* Régis Jauffret, Microfictions 2018 -- Claustria et Papa --
* - Claire Castillon Les Merveilles, Les couplets -- Ma Grande --
- Couples et littérature --
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« Un roman, une biographie trouée et amplifiée par la fiction. » Régis Jauffret
« Ces sept secondes de film ont réveillé l’enfant tapi dans les couches profondes de mon être, me donnant une inextinguible soif de père », confesse-t-il.
19 septembre 2018, Régis Jauffret aperçois dans un documentaire sur la police de Vichy son père sortant menotté entre deux gestapistes de l’immeuble marseillais où il a passé son enfance : « Ils semblent joyeux alors que le visage de mon père exprime la terreur. » Des images datant de 1943. Son père, ni personne à sa connaissance, n’a jamais parlé de cet épisode pour le moins singulier et perturbant. « Moi dit-il, le conteur, le raconteur, l’inventeur de destinées, il me semble soudain avoir été conçu par un personnage de roman. »
De son père, il dit qu’il parlait peu et qu’il n’y avait pas d’échanges. Pas le genre de père avec qui on peut jouer au football, bricoler, ou avoir de vrais échanges car « c’était un père annihilé qui n’existait pas socialement. » Contrairement à son père, il dit être toujours « dans la projection totale, la surexcitation permanente, plus dans l’avenir qu’enfermé dans le présent. Le présent ne me suffira jamais. »
Régis Jauffret avec Legor Gran
Ces images qu’il découvre rompent l’indifférence qu’il professait à l’égard de son père, que même son décès n’avait pas modifiée. Mais elles lui donnent l’envie d’évoluer vers une meilleure image de lui.
« Cette image était une sorte d’espoir. Lui qui n’était rien, là, il était quelque chose même si je ne saurais jamais quoi. »
Pendant l’enfance un fossé s’était creusé entre eux. L’écriture est en même temps l’occasion de se rapprocher de ce père et de constater cette distance et « cette étrangeté l’un à l’autre. » Le plus souvent, les souvenirs liés à l’enfance et aux parents sont plutôt positifs, ce qui n’est pas son cas. Pour lui, il existe les enfants aimés de leurs parents et ceux qui ne l’ont pas été. Son cas est plus ambivalent : une jeunesse somme toute assez heureuse, un père aimant mais souvent absent.
Et effectivement, c’est cette absence, le rôle effacé de son père Alfred qui fait que sa mère Madeleine assume tous les rôles et que l’enfant prend la place du père.
« Ce livre n’est que vérité, quand on ment et qu’on dit qu’on ment, on dit la vérité. » Régis Jauffret
Il avoue n’avoir jamais ressenti une douleur pareille lors de l’écriture d’un roman : « Pour moi c’est une aventure invraisemblable, je n’aurais jamais imaginé écrire ce livre. »
Parler d’Alfred et de Madeleine, c’est mettre de la distance avec Maman et surtout Papa, qu’il essaiera malgré tout de rejoindre, d’où le titre du livre car « cette mise à distance participe de l’effet de fiction, du romanesque et de l'universalité de l'ouvrage. »
Si on y trouve les éléments de décor propres à l’époque, le magasin Aux Dames de France avec son "escalier roulant", les scooters Lambretta et les tanks en plastique, l’essentiel réside dans cette dualité entre le travail de la mémoire et celui de l’imaginaire de l’écrivain, l’amour filial qui voudrait se libérer et un sentiment de culpabilité.
Il sait aussi que tout est lié puisque « à chaque fois qu’on se souvient le souvenir se modifie », ce passé, on peut avoir envie de le faire revivre ou « le ranger selon l’humeur sur les rayons de notre chronologie comme les livres sur ceux d’une bibliothèque ».
On peut se demander finalement ce qui est le plus vrai : le roman et sa part de fiction, d’invention ou les souvenirs souvent biaisés par les insuffisances de la mémoire.
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* Régis Jauffret, Microfictions 2018 -- Claustria et Papa --
* - Claire Castillon Les Merveilles, Les couplets -- Ma Grande --
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