Soleils d'hiver : carnets 1998-2000, carnets autobiographiques
Après Le temps qui reste, Le refuge et la source, La Blessure, Le temps qui vient, Avec le temps, ces carnets constituent les ultimes réflexions de Jean Daniel sur les confidences d'un homme qui se penche sur sa vie, sur son passé, qu'on retrouve sur le chemin de la vie, qui nous dit combien il doit à un homme comme Albert Camus, et à d'autres aussi...
Le titre sonne comme un clin d’œil à Albert Camus, un titre d’un astre qui évoque l’été mais qui parfois éclaire aussi les jours les plus sombres. Pour Jean Daniel, ce titre peut paraître mélancolique mais lui y voit comme une tentative de « résistance au temps ». C’est en fait le soleil de son enfance sous le ciel de l’Algérie, à Blida où il est né et a passé sa jeunesse, un soleil omniprésent quelle que soit la saison.
Ce soleil d’hiver est bien présent, ne serait-ce que pour « que l’hiver se souvienne que son règne n’est pas éternel… avec l’ambition de chasser les ténèbres. » Il représente aussi une promesse, un devenir dans l’ordre des possibles, comme André Gide découvrant « que sa jeunesse a été couverte de rides par ses parents et découvrant sur le tard qu’à l’instant même de la vieillesse, c’est sa jeunesse qui va commencer, » car pour lui « seuls les soleils d’hiver me restituent l’intensité des aubes éphémères. »
L’ éphémère, c’est cette lumière de midi qui en hiver ne garantit pas la minute qui suit.
Ce soleil, même pâle, est synonyme d'espoir car il dit préférer les « convalescences, les sorties d'enfer, les promesses de lumière sous la pluie, les enfants qui rient à travers leurs larmes, les regards du grand blessé soudain miraculé, l'irremplaçable médecin qui meurt en vous faisant signe que vous n'avez rien de grave et auquel vous fermez les yeux en étant en effet rassuré. »
Lui, le juif incroyant, se sent plein de compassion y compris dans ce monde de détresse et de larmes, rejoignant la joie du chercheur qui constate la pertinence de ses travaux dans la découverte d'autrui. Il se souvient que dans sa jeunesse, il avait « chanté de l'été tous les éclats depuis les baies de Carthage jusqu'aux magies de l'archipel toscan » alors qu'aujourd'hui, c'est-à-dire arrivé à l'an 2000, date à laquelle se termine cette évocation, luit envers et contre tout dans ces soleils d'hiver quelque chose du passé qui évoque dans son esprit des promesses d'avenir.
« Camus, je me souviens… » écrit-il le 14 septembre, relatant ces moments difficiles où il apprend sa mort sur une route de l’Yonne dans la Facel véga qui devait le conduire à Paris. « J’ai toujours eu le sentiment d’avoir une dette à l’égard de Camus et d’une certaine façon, c’est de cela dont je veux m’acquitter aujourd’hui. » Et cette dette, ce n’est pas seulement la contribution de Camus à la revue Caliban que Jean Daniel venait de lancer et les articles qu’il écrivit obligeamment à cette occasion.
Il constate que, curieusement, à l’aube du XXIème siècle, les analyses et les bilans sur le siècle passé se multiplient, « au seuil de l’avenir, nous contemplons le passé. » Stalinisme et Shoah ont largement occulté l’affaissement de civilisations entières du fait du colonialisme.
Une nation peut en exploiter une autre : nous sommes loin du village planétaire. Jean Daniel a passé une partie de sa vie à combattre le nationalisme sans pourtant se résigner à ce que son pays se dissolve dans un ensemble où il perdrait son âme et sa volonté. Lui qui a toujours défendu l’indépendance de l’Algérie, pense que le général de Gaulle a été « le chirurgien d’un destin qui annonçait l’avenir. »
Et c’est bien dans cette vision du devenir algérien qu’il se différenciait de Camus qui aurait plutôt tendu vers un fédéralisme sauvegardant la diversité, une union qu’il proposait déjà dans sa proposition de Trêve civile.
S’il nous parle de Bill Clinton englué dans l’affaire Lewinsky et d’Arafat par exemple, il nous parle aussi de ses goût pour le tennis, le cirque, le cinéma, les documentaires animaliers et de ses choix difficiles entre le livre et la télévision, entre l’écrit et l’image.
Umberto Eco ne lui a-t-il pas dit que « la télévision rendait intelligents les gens qui n’ont pas accès à la culture et abrutissait ceux qui se croient cultivés. »
Voir aussi
* Sur Albert Camus : Autour de Camus & Avec Camus, comment résister à l’air du temps ? --
* Récap de Mes articles sur Jean Daniel --
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<< Ch. Broussas, J. D. Soleils d'hiver, 05/11/2012 © • cjb • © >>
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