Référence : JMG Le Clézio, Chanson bretonne suivi de L’enfant et la guerre, éditions Gallimard, collection Blanche, 154 pages, 2020
Lors de ses rares entretiens, Le Clézio a souvent dit que son désir d’écrire venait de son enfance, marquée par l'occupation et par l'exil, les lieux où il a vécu alors ont dans son œuvre une place importante.
La Bretagne et le village de Sainte-Marine, c’est d’abord l’image de la mère. Simone Le Clézio aimait particulièrement cette région où son futur mari l’avait demandée en mariage, où elle avait accouché de son frère et était venue se réfugier pendant la seconde guerre mondiale.
Nostalgique, Le Clézio ?
Ce serait bien mal le connaître. S’il lève un coin du voile sur sa jeunesse, de ses vacances en Bretagne dans les années 1948-1954, à Nice, sa ville natale, sous l’Occupation, c’est pour comme l’indique le sous-titre « Deux contes », pour raconter comme on le faisait jadis lors des soirées pendant la mauvaise saison.
Ce qui lui plaît, c’est ce décalage avec un temps qu’il n’a pas connu, qu’il découvre dans les détails de ces vies, dans celles qui ont disparu, qu’on a oubliées, les manières de faire ou de s’habiller…
Le Clézio par Cortanze Bitna, sous le ciel de Séoul Explorateur des royaumes de l’enfance
Maintenant, c’est son tour de transmettre, de raconter, c’est-à-dire pour lui « inventer, imaginer, revenir en arrière… »
Il déplore en tout cas la drastique régression de la langue bretonne, et de bien d’autres langues locales, situation qui lui semble une régression, un appauvrissement linguistique. « Notre monde, remarque-t-il dans une interview, devient de plus en plus univoque, convenu, ordinaire… » Cette Bretagne, qu’il a connue enfant tout de suite après la guerre, il s’y est « inventé les racines » qu’il n’a pas, sans doute par la liberté qu’il y a ressentie, les légendes et les images reçues, la douceur de ses habitants…
Son petit coin de Bretagne, c’est Sainte-Marine, dans l’estuaire de l’Odet, en face de Bénodet. Contraste entre Bénodet, petite cité ouverte sur le tourisme et Sainte-Marine, petite cité en retrait, qui ne s’offre pas facilement. Mais en quelques années les choses ont bien changé, il ne reconnaît plus « son » coin de Bretagne, le grand pont a défiguré l’estuaire de l’Odet, « l’estuaire sauvage s’est transformé en parking à plaisanciers. »
D’une façon plus générale et au-delà de son autobiographie sur son enfance bretonne, Le Clézio propose aussi une réflexion sur les changements de la géographie bretonne et ses effets, évoque la magie disparue dont il fut témoin, rendant compte à travers des mots empruntés à la langue bretonne.
Maintenant, cette Bretagne "authentique", Le Clézio la trouve plutôt du côté de la pointe du Raz ou d’autres pointes comme celles de Luguenez, Kastel Koz, Brezellec, Leydé, Kermeur... Autant de souvenirs intimes sans nostalgie et sans discours écologiques.
Ton différent dans le second conte où il raconte un événement qui l’a marqué, les bombardements de Nice et l’explosion d’une bombe dans le jardin de son immeuble, confronté subitement à l’atrocité de la guerre pour les civils et son aversion pour toute forme de guerre.
Il se considérait alors comme un réfugié, et comme tel, il pense en avoir gardé une attention aux autres quand on est dépendant d’eux et de leur soutien. Ça lui aide à comprendre ces migrants qui comme lui, passent par les chemins des hautes vallées des Alpes du sud.
L'auteur nous confie que son enfance fut « une peur sans visage, sans nom, sans histoire » et « les enfants ne savent pas ce qu'est la guerre ».
Carte postale de Sainte-Marine
Ce récit sur la Bretagne de son enfance n'est ni une confession, ni un album de souvenirs, pas davantage une quelconque autobiographie ou une chronique car sinon « les souvenirs sont ennuyeux, et les enfants ne connaissent pas la chronologie ». C’est ce qu’il appelle une "chanson bretonne", une petite musique qui trotte dans la mémoire, récurrente et entêtante qui ramène au mystère de l'enfance.
Pour lui, la mémoire n'est pas faite que de mots et d'histoires, « c'est le temps qui ne passe pas... et la fin de la guerre, cela ne signifie rien pour un enfant. L'enfant ne vit pas dans l'Histoire. »
L'immédiat après-guerre, c'est pour lui une répulsion, une réaction du corps avec un début de tuberculose et les crises de colère incoercibles. Il compare son cas aux enfants immigrés venus de pays en guerre.
L'Afrique où il est allé rejoindre son père au Nigéria, lui apparaît comme un havre de paix où il va pouvoir se reconstruire. « C'est l'Afrique qui va nous civiliser, écrit-il, nous faire connaître la liberté et le plaisir des sens. »
Au temps du bac entre Sainte-Marine et Bénodet
Balade à La Torche
La Torche, sur la côte dans la pointe de Penmarch, qui a la forme d'un coussin, est pour lui « un endroit où la beauté de la mer éclate. » Il se souvient de la vieille "Monaquatre" bringuebalant sur les routes en terre, l'arrivée dans la lande rase, les arbres rabougris par le vent, « recourbés comme de petits vieux » et des haies de tamaris, paysage si différent de Sainte-Marine, de ses champs, ses prés verts, ses roses et ses hortensias bleus.
Le port de Sainte-Marine
Restait encore sur la plage un blockhaus plein de ronces. A la Torche, il se sentait « à l'extrémité du monde » (pen ar bed) sur cette avancée dans l'océan. Il y est souvent revenu, « peut-être parce que j'ai pensé que ce lieu ne devait pas changer ».
Mais, même « dans l'éclat de la mer, la neige aveuglante des nappes d'écume », il nous confie qu'il aperçoit quand même « la violence de l'Histoire... les dents noires fossiles du grand requin de guerre. »
La plage de La Torche
Voir aussi mes fiches :
* Le Clézio, L'homme du secret -- * Le Clézio et la bretagne --
* Récapitulatif : Ma Catégorie Le Clézio -
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<< Ch. Broussas, Le Clézio, Bretagne 20/03/2020 © • cjb • © >>
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Lors de ses rares entretiens, Le Clézio a souvent dit que son désir d’écrire venait de son enfance, marquée par l'occupation et par l'exil, les lieux où il a vécu alors ont dans son œuvre une place importante.
La Bretagne et le village de Sainte-Marine, c’est d’abord l’image de la mère. Simone Le Clézio aimait particulièrement cette région où son futur mari l’avait demandée en mariage, où elle avait accouché de son frère et était venue se réfugier pendant la seconde guerre mondiale.
Nostalgique, Le Clézio ?
Ce serait bien mal le connaître. S’il lève un coin du voile sur sa jeunesse, de ses vacances en Bretagne dans les années 1948-1954, à Nice, sa ville natale, sous l’Occupation, c’est pour comme l’indique le sous-titre « Deux contes », pour raconter comme on le faisait jadis lors des soirées pendant la mauvaise saison.
Ce qui lui plaît, c’est ce décalage avec un temps qu’il n’a pas connu, qu’il découvre dans les détails de ces vies, dans celles qui ont disparu, qu’on a oubliées, les manières de faire ou de s’habiller…
Le Clézio par Cortanze Bitna, sous le ciel de Séoul Explorateur des royaumes de l’enfance
Maintenant, c’est son tour de transmettre, de raconter, c’est-à-dire pour lui « inventer, imaginer, revenir en arrière… »
Il déplore en tout cas la drastique régression de la langue bretonne, et de bien d’autres langues locales, situation qui lui semble une régression, un appauvrissement linguistique. « Notre monde, remarque-t-il dans une interview, devient de plus en plus univoque, convenu, ordinaire… » Cette Bretagne, qu’il a connue enfant tout de suite après la guerre, il s’y est « inventé les racines » qu’il n’a pas, sans doute par la liberté qu’il y a ressentie, les légendes et les images reçues, la douceur de ses habitants…
Son petit coin de Bretagne, c’est Sainte-Marine, dans l’estuaire de l’Odet, en face de Bénodet. Contraste entre Bénodet, petite cité ouverte sur le tourisme et Sainte-Marine, petite cité en retrait, qui ne s’offre pas facilement. Mais en quelques années les choses ont bien changé, il ne reconnaît plus « son » coin de Bretagne, le grand pont a défiguré l’estuaire de l’Odet, « l’estuaire sauvage s’est transformé en parking à plaisanciers. »
D’une façon plus générale et au-delà de son autobiographie sur son enfance bretonne, Le Clézio propose aussi une réflexion sur les changements de la géographie bretonne et ses effets, évoque la magie disparue dont il fut témoin, rendant compte à travers des mots empruntés à la langue bretonne.
Maintenant, cette Bretagne "authentique", Le Clézio la trouve plutôt du côté de la pointe du Raz ou d’autres pointes comme celles de Luguenez, Kastel Koz, Brezellec, Leydé, Kermeur... Autant de souvenirs intimes sans nostalgie et sans discours écologiques.
Ton différent dans le second conte où il raconte un événement qui l’a marqué, les bombardements de Nice et l’explosion d’une bombe dans le jardin de son immeuble, confronté subitement à l’atrocité de la guerre pour les civils et son aversion pour toute forme de guerre.
Il se considérait alors comme un réfugié, et comme tel, il pense en avoir gardé une attention aux autres quand on est dépendant d’eux et de leur soutien. Ça lui aide à comprendre ces migrants qui comme lui, passent par les chemins des hautes vallées des Alpes du sud.
L'auteur nous confie que son enfance fut « une peur sans visage, sans nom, sans histoire » et « les enfants ne savent pas ce qu'est la guerre ».
Carte postale de Sainte-Marine
Ce récit sur la Bretagne de son enfance n'est ni une confession, ni un album de souvenirs, pas davantage une quelconque autobiographie ou une chronique car sinon « les souvenirs sont ennuyeux, et les enfants ne connaissent pas la chronologie ». C’est ce qu’il appelle une "chanson bretonne", une petite musique qui trotte dans la mémoire, récurrente et entêtante qui ramène au mystère de l'enfance.
Pour lui, la mémoire n'est pas faite que de mots et d'histoires, « c'est le temps qui ne passe pas... et la fin de la guerre, cela ne signifie rien pour un enfant. L'enfant ne vit pas dans l'Histoire. »
L'immédiat après-guerre, c'est pour lui une répulsion, une réaction du corps avec un début de tuberculose et les crises de colère incoercibles. Il compare son cas aux enfants immigrés venus de pays en guerre.
L'Afrique où il est allé rejoindre son père au Nigéria, lui apparaît comme un havre de paix où il va pouvoir se reconstruire. « C'est l'Afrique qui va nous civiliser, écrit-il, nous faire connaître la liberté et le plaisir des sens. »
Au temps du bac entre Sainte-Marine et Bénodet
Balade à La Torche
La Torche, sur la côte dans la pointe de Penmarch, qui a la forme d'un coussin, est pour lui « un endroit où la beauté de la mer éclate. » Il se souvient de la vieille "Monaquatre" bringuebalant sur les routes en terre, l'arrivée dans la lande rase, les arbres rabougris par le vent, « recourbés comme de petits vieux » et des haies de tamaris, paysage si différent de Sainte-Marine, de ses champs, ses prés verts, ses roses et ses hortensias bleus.
Le port de Sainte-Marine
Restait encore sur la plage un blockhaus plein de ronces. A la Torche, il se sentait « à l'extrémité du monde » (pen ar bed) sur cette avancée dans l'océan. Il y est souvent revenu, « peut-être parce que j'ai pensé que ce lieu ne devait pas changer ».
Mais, même « dans l'éclat de la mer, la neige aveuglante des nappes d'écume », il nous confie qu'il aperçoit quand même « la violence de l'Histoire... les dents noires fossiles du grand requin de guerre. »
La plage de La Torche
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* Le Clézio, L'homme du secret -- * Le Clézio et la bretagne --
* Récapitulatif : Ma Catégorie Le Clézio -
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