mardi 12 mai 2020

José Saramago Menus souvenirs

Référence : José Saramago, Menus souvenirs, éditions Le Seuil, traduction Geneviève Leibrich, septembre 2014, 176 pages

    
« Le monde de chacun dépend des yeux que l’on a reçus en partage », Le Dieu manchot, 1982

Retour sur le passé dont il dit « L’enfant que j’ai été n’a pas vu le paysage tel que l’adulte qu’il est devenu serait tenté de l’imaginer du haut de sa taille d’homme. L’enfant, pendant tout le temps qu’il le demeura, se trouvait simplement dans le paysage, il en faisait partie, il ne l’interrogeait pas, il ne disait ni pensait, avec ses mots. »  

Ses souvenirs, ce sont comme il dit lui-même, « Certaines images, flashs ou illuminations […] vous reviennent, on ne les convoque pas, elles sont simplement là  ».
Bruts en quelque sorte, ne venant pas forcément par ordre chronologique, même s’ils ne sont que bribes qui ne reconstituent pas l’ensemble, ils en restituent l’essentiel.

 
José Saramago à côté de sa statue à Azinhaga


Même s’il a grandi à Lisbonne, sa terre c’est Azinhaga  au nord-est de Lisbonne, la terre familiale, celle où il est né, celle de ses grands-parents. Il nous livre ses souvenirs comme ils viennent à son esprit. Sa vie là-bas était difficile, des paysans pauvres, une grand-mère analphabète, un père qui deviendra policier.
Il court dans les oliveraies, se balade d'un village à un autre, rêve sur les rives du Tage ou le nez plongé dans un livre, narre ses premiers tourments amoureux ou marche de longues heures avec son oncle Manuel pour aller vendre des cochons à la foire.


        
Relevé de terre                     Saramago à Lanzarote en 2011


Jamais il n’oubliera d’où il vient, cette terre ce sont ses tripes qui nourriront son œuvre et son combat aux côtés des opprimés. Il suivit cet exode inéluctable des paysans déracinés poussés vers les villes par la misère.

On retrouve cette ambiance dans son roman Relevé de terre où on suit le parcours des  Mau-Tempo durant les trois-quarts du XXè siècle, une famille de travailleurs agricoles de l’Alentejo, région très pauvre dominée par les propriétaires d’immenses propriétés foncières. Il y décrit les dures conditions de vie du peuple, la misère et l’exploitation qu’il avait largement puisées dans sa jeunesse.


             José Saramago dans sa prime jeunesse


Il se remémore des parties de pêches, des séances de films muets, la mort de son frère aîné à l’âge de 4 ans, la veille de Noël… Il aime cette anecdote de son nom de famille,  « de Sousa » à l’origine, devenu "Saramago » (signifiant « radis sauvage ») par la grâce d’une erreur d’état civil.


La mémoire est chose capricieuse, fugace. Il en est d’autant plus conscient qu’il a du mal à en cerner les contours, des anecdotes échappent et parfois, c’est le contraire, des images qu’on croyait oubliées reviennent sans crier gare et s’accrochent avec pugnacité.
Ce qu’il exprime ainsi : « Très souvent nous oublions ce que nous aimerions pouvoir nous rappeler, d’autres fois, récurrentes, obsédantes, réagissant à la moindre stimulation, des images nous viennent du passé, des paroles isolées, des fulgurances, nous ne les convoquons pas mais elles sont là. Et ce sont elles qui m’informent que déjà en ce temps-là pour moi, mais plus par intuition, évidemment, que par connaissance suffisante des évènements, Hitler, Mussolini et Salazar étaient faits du même bois, qu’il étaient des cousins de la même famille, égaux dans la même main de fer, la seule différence résidant dans l’épaisseur du velours et dans la façon de serrer ».


José Saramago à différents âges


Les images, ce sont également de vieilles photographies de famille, annotées par l’auteur.
Bien des années plus tard, avec les mots de l’adulte qu’il était avant l’heure, l’adolescent écrivait un poème consacré à une rivière, « source » de son enfance qu’il avait appelé Protopoème :
« De l’écheveau embrouillé de la mémoire, de l’obscurité des nœuds aveugles, je tire un fil qui me semble isolé. Je le libère lentement, de peur qu’entre mes doigts il ne se désagrège. C’est un long fil vert et bleu, avec une odeur de vase et une douceur tiède de boue vivante. C’est une rivière. »
Cet écheveau de mémoire dont il parle, il a essayé dans ce récit d’en démêler les brins qui l’ont formé, tous ces éclats réminiscents qui ont éclairé son œuvre.



Extrait de son discours lors de son Prix Nobel en décembre 1998
« Plusieurs années après, alors que j'écrivais pour la première fois à propos de mon Grand-Père Jerónimo et de ma Grand-Mère Josefa, j'ai eu conscience du fait que j'étais en train de transformer les personnes communes qu'elles avaient été en personnages littéraires. Que c'était probablement la manière de ne pas les oublier en les décrivant et en faisant leur portrait d'un crayon qui change avec les souvenirs, colorant et illuminant la monotonie d'un quotidien terne et sans horizon... »

« En peignant mes parents et grands-parents avec l'encre de la littérature... je traçais, sans le comprendre le chemin par où les personnages que je venais d'inventer, les autres, les littéraires, allaient me fabriquer et m'amener les matériaux et les outils pour le bon et le moins bon..., l'excès et le manque, qui feraient de moi la personne en laquelle je me reconnais aujourd'hui : Créateur de ces personnages mais aussi créature d'eux. Dans un certain sens, on peut même dire que... livre après livre, j'en suis venu successivement à implanter dans l'homme que j'étais, les personnages que j'ai créés. »

  Sa maison natale à Azinhaga

Voir aussi
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Saramago, Quatre poèmes
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