Référence : José Saramago, Menus souvenirs, éditions Le Seuil, traduction Geneviève Leibrich, septembre 2014, 176 pages
« Le monde de chacun dépend des yeux que l’on a reçus en partage », Le Dieu manchot, 1982
Retour sur le passé dont il dit « L’enfant
que j’ai été n’a pas vu le paysage tel que l’adulte qu’il est devenu
serait tenté de l’imaginer du haut de sa taille d’homme. L’enfant,
pendant tout le temps qu’il le demeura, se trouvait simplement dans le
paysage, il en faisait partie, il ne l’interrogeait pas, il ne disait ni
pensait, avec ses mots. »
Ses souvenirs, ce sont comme il dit lui-même, « Certaines images, flashs ou illuminations […] vous reviennent, on ne les convoque pas, elles sont simplement là ».
Bruts en quelque sorte, ne venant pas forcément par ordre
chronologique, même s’ils ne sont que bribes qui ne reconstituent pas
l’ensemble, ils en restituent l’essentiel.
José Saramago à côté de sa statue à Azinhaga
Même s’il a grandi à Lisbonne, sa terre c’est Azinhaga au nord-est de Lisbonne,
la terre familiale, celle où il est né, celle de ses grands-parents. Il
nous livre ses souvenirs comme ils viennent à son esprit. Sa vie là-bas
était difficile, des paysans pauvres, une grand-mère analphabète, un
père qui deviendra policier.
Il court dans les oliveraies, se balade
d'un village à un autre, rêve sur les rives du Tage ou le nez plongé dans un livre, narre ses premiers tourments amoureux ou marche de longues heures avec son oncle Manuel pour aller vendre des cochons à la foire.
Relevé de terre Saramago à Lanzarote en 2011
Jamais il n’oubliera d’où il vient, cette terre ce sont ses tripes qui
nourriront son œuvre et son combat aux côtés des opprimés. Il suivit cet
exode inéluctable des paysans déracinés poussés vers les villes par la
misère.
On retrouve cette ambiance dans son roman Relevé de terre où on suit le parcours des Mau-Tempo durant les trois-quarts du XXè siècle, une famille de travailleurs agricoles de l’Alentejo,
région très pauvre dominée par les propriétaires d’immenses propriétés
foncières. Il y décrit les dures conditions de vie du peuple, la misère
et l’exploitation qu’il avait largement puisées dans sa jeunesse.
José Saramago dans sa prime jeunesse
Il
se remémore des parties de pêches, des séances de films muets, la mort
de son frère aîné à l’âge de 4 ans, la veille de Noël… Il aime cette
anecdote de son nom de famille, « de Sousa » à l’origine, devenu
"Saramago » (signifiant « radis sauvage ») par la grâce d’une erreur
d’état civil.
La
mémoire est chose capricieuse, fugace. Il en est d’autant plus
conscient qu’il a du mal à en cerner les contours, des anecdotes
échappent et parfois, c’est le contraire, des images qu’on croyait
oubliées reviennent sans crier gare et s’accrochent avec pugnacité.
Ce qu’il exprime ainsi : « Très
souvent nous oublions ce que nous aimerions pouvoir nous rappeler,
d’autres fois, récurrentes, obsédantes, réagissant à la moindre
stimulation, des images nous viennent du passé, des paroles isolées, des
fulgurances, nous ne les convoquons pas mais elles sont là. Et ce sont
elles qui m’informent que déjà en ce temps-là pour moi, mais plus par
intuition, évidemment, que par connaissance suffisante des évènements, Hitler, Mussolini et Salazar
étaient faits du même bois, qu’il étaient des cousins de la même
famille, égaux dans la même main de fer, la seule différence résidant
dans l’épaisseur du velours et dans la façon de serrer ».
José Saramago à différents âges
Les images, ce sont également de vieilles photographies de famille, annotées par l’auteur.
Bien
des années plus tard, avec les mots de l’adulte qu’il était avant
l’heure, l’adolescent écrivait un poème consacré à une rivière,
« source » de son enfance qu’il avait appelé Protopoème :
« De
l’écheveau embrouillé de la mémoire, de l’obscurité des nœuds aveugles,
je tire un fil qui me semble isolé. Je le libère lentement, de peur
qu’entre mes doigts il ne se désagrège. C’est un long fil vert et bleu,
avec une odeur de vase et une douceur tiède de boue vivante. C’est une
rivière. »
Cet
écheveau de mémoire dont il parle, il a essayé dans ce récit d’en
démêler les brins qui l’ont formé, tous ces éclats réminiscents qui ont
éclairé son œuvre.
Extrait de son discours lors de son Prix Nobel en décembre 1998
« Plusieurs années après, alors que j'écrivais pour la première fois à propos de mon Grand-Père Jerónimo et de ma Grand-Mère Josefa,
j'ai eu conscience du fait que j'étais en train de transformer les
personnes communes qu'elles avaient été en personnages littéraires. Que
c'était probablement la manière de ne pas les oublier en les décrivant
et en faisant leur portrait d'un crayon qui change avec les souvenirs,
colorant et illuminant la monotonie d'un quotidien terne et sans
horizon... »
« En
peignant mes parents et grands-parents avec l'encre de la
littérature... je traçais, sans le comprendre le chemin par où les
personnages que je venais d'inventer, les autres, les littéraires,
allaient me fabriquer et m'amener les matériaux et les outils pour le
bon et le moins bon..., l'excès et le manque, qui feraient de moi la
personne en laquelle je me reconnais aujourd'hui : Créateur de ces
personnages mais aussi créature d'eux. Dans un certain sens, on peut
même dire que... livre après livre, j'en suis venu successivement à
implanter dans l'homme que j'étais, les personnages que j'ai créés. »
Sa maison natale à Azinhaga
Voir aussi
* Saramago, Quatre poèmes –
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