Référence : Dane Cuypers,  "Albert Cohen et Marcel Pagnol, une amitié solaire", éditions de Fallois, 224 pages, juillet 2020

       
Marcel Pagnol et Albert Cohen

En 2015, à l'occasion de la lecture de la biographie que Jean Blot avait consacrée à Albert Cohen, j'avais écrit une fiche sur cet écrivain assez effacé qui est pourtant l’auteur d’une œuvre attachante dominée par des romans comme Solal, Belle du seigneur ou Mangeclous.
J'avais évoqué à cette occasion la grande amitié qui unissait Albert Cohen à son condisciple du lycée Thiers de Marseille, objet de cet ouvrage où l'auteur parle d'une "amitié solaire" entre les deux écrivains.

       
                                               Marcel et Jacqueline Pagnol

Quant à Marcel Pagnol, il a bercé ma jeunesse, que ce soit avec son théâtre, Topaze et la trilogie marseillaise, ses Souvenirs d'enfance dont j'écoutais avec avidité la lecture radiophonique lue par Marcel Pagnol lui-même, ou les deux tomes de L'eau des collines.

En 1906, La ville de Marseille est à son apogée, dans sa période de splendeur. Marcel Pagnol vient d’à côté, d’Aubagne alors qu’Albert Cohen est originaire de Corfou, île grecque des îles ioniennes. Ils sont nés tous deux en 1895 et se rencontrent au Grand lycée, appelé depuis le lycée Thiers. Immédiatement naît entre eux une amitié indéfectible dont Cohen dira : « Marcel de mon enfance, aussitôt aimé, le premier jour de mon entrée en sixième, d’abord appelé Pagnol et puis, quelques semaines plus tard, appelé Marcel, à jamais mon frère et ami. »


Marseille lycée Thiers vers 1970      Marseille lycée Thiers  actuellement

À la fin de l’adolescence, ils quittent Marseille, l’un pour Paris et l’autre pour Genève. C'est en jouant les jolis coeurs en cure à Divonne-les-Bains qu'il va rencontrer Sophie qu'il finira par rejoindre à Genève pour suivre des études de droit.
Les deux amis se reverront assez peu mais resteront toujours très liés, au-delà de la séparation physique.  Ils s’écrivirent beaucoup, se motivant et s’encourageant, jusqu’à la fin de leur vie.

Dans un livre paru en 2017 et dédié à la correspondance de Marcel Pagnol,  intitulé "Je te souhaite beaucoup d’ennemis comme moi", on trouve plusieurs lettres qu’il adressa à son ami Albert Cohen où il évoque entre autres le danger nucléaire qu’il considère comme inéluctable...

       
                                              Marseille quai des Belges vers 1900

Apparemment très différents mais si complices : Albert Cohen, le juif écorché, plutôt solitaire, les folies de Belle du Seigneur, Marcel Pagnol ouvert et volubile, le provençal des collines de sa jeunesse et des personnages hauts en couleurs. « On sortait du lycée ensemble, on se tenait par la main, et il me raccompagnait jusque chez moi, et je le raccompagnais jusque chez lui, et on parlait interminablement, et et on riait et on s'aimait, et un jour je l'ai béni à la manière juive, grave enfant juif bénissant son frère chrétien, » écrivit Cohen, ce pessimiste qui disait cependant « le malheur est le père du bonheur de demain. »

           
La famille Pagnol                          Pagnol sur une scène de tournage

On dit souvent d’Albert Cohen qu’il fut fécond et même bavard, une prose inspirée, avec un grand art de la composition, au point que Marcel Pagnol lui faisait remarquer que dans ses romans, c’est parfois trop : « Trop de tout et dans tous les genres ! ».

Ils resteront des méditerranéens, éprouvant un amour quasi immodéré pour leur mère, [1] sans enjeux ou rivalité littéraire, aimant la vie et le plaisir d’écrire, même si chacun avait son idée de la littérature. De quoi donner envie de parcourir des vies souvent parallèles qui prennent un sens particulier à l’aune de l’écriture et de l’amitié.

               

L’enjeu du livre, selon l’auteur lui-même, est de briser les stéréotypes qui ont longtemps collé aux deux écrivains. Il espère « sortir Pagnol de la pagnolade », du côté terroir dont il est en partie responsable et « sortir Cohen de son aura tragique ».

Le livre nous plonge aussi dans le Marseille rétro avec les cafés baroques sur la Canebière, la circulation de l’époque avec carrioles, charrettes, fiacres, quelques automobiles, et surtout ses nombreux trams qui quadrillent alors la ville … et un tarif unique à 2 sous.

         
Pagnol L'album d'une vie      Albert Cohen par Jean Blot

 Dane Cuypers  cite le fils de Fernandel qui a écrit : « Qui n’a pas connu Marseille en 1907 n’a rien connu ! Qu’elle était belle ma ville, quand ce siècle avait sept ans et que les grincements des essieux, les tintements des grelots, les hennissements des chevaux et les engueulades en provençal faisaient une sorte de chœur antique au soleil. C’était le temps où Marseille"marseillait". »

Au-delà du bonheur de Corfou, des Carnets d'Albert Cohen parus en 1978, deux figures émergent. Sa chère mère bien entendu, l'image de celle qui recherchera dans chaque femme, et la figure de son ami de toujours, Marcel Pagnol, qui lui rappelle aussi l'insouciance des années d'adolescence à Marseille.

                    
                                                                 Albert Cohen Le livre de ma mère

Notes et références
[1] Voir Albert Cohen, "Le livre de ma mère", éditions Gallimard-Folio, 1954

Voir aussi mes fiches
* Jean Blot, Biographie d'Albert Cohen --
* Chronique de Bernard Pivot --

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