vendredi 13 novembre 2020

Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer

 Référence : Cynthia Fleury, "Ci-gît l’amer, Guérir du ressentiment", éditions Gallimard, Collection Blanche, 336 pages, octobre 2020

« La confiance ne peut exister sans une communauté de destin. »

          

Cynthia Fleury poursuit, avec  son nouvel opus Ci-gît l'amer. Guérir du ressentiment, son travail autour de l’individu [1] et de sa place dans un état démocratique, commencé avec Les Pathologies de la Démocratie en 2005, La Fin du courage : la reconquête d’une vertu démocratique  en 2010, Les Irremplaçables en 2015 et 2018) et Le soin est un humanisme en  2019.

Celle qu’on a parfois appelée la philosophe clinicienne traite plus directement ici du processus de colère et les pulsions de haines qui traversent notre époque. Pour elle, « Le ressentiment est une peste émotionnelle. »

   

Son questionnement porte sur les liens entre la santé psychique des personnes et celle de la démocratie. Elle met l’accent sur des sociétés de plus en plus divisées et le ressentiment, sorte de  corollaire, ce mélange d'amertume et de rancœur qui sape toute évolution positive des individus comme des États. Dépasser cette situation et sortir de cette « peste émotionnelle », c’est trouver de nouveaux modes de fonctionnement capables de faire face à ce défi.

         

Dans une interview, elle confie travailler « aux confins des crises individuelles et démocratiques », et le sentiment de ressentiment lui a semblé le symbole de ces deux entités. Elle l’a d’ailleurs en tant que praticienne constaté à maintes reprises que certains patients tombent dans le cercle vicieux de la rumination et de l'amertume, dont les principaux constituants sont le domaine professionnel, le manque de reconnaissance sociale et d’une façon générale, le mal-être.

La recrudescence de ce phénomène est due à des facteurs tels que l’emploi précaire ou un sentiment d’impuissance politique. Situation amplifiée par l’écho des systèmes sociaux qui développe aussi une violence verbale extraordinaire ou plus simplement dans les incivilités sur la voie publique, ce qui fait dire à Cynthia Fleury que « les digues émotionnelles des uns et des autres ont sauté. »

    
Avec le chanteur Jean-Louis Murat

« Diriger, c'est conduire un peuple avec son assentiment. »

Face à ses patients, elle met en oeuvre un processus de lutte contre le ressentiment et la façon de se réapproprier sa souffrance, en faisant appel à des théoriciens comme Ernst Cassirer, Ludwig Binswanger ou Karl Jaspers. Dans les groupes de discussion, les interactions doivent permettre aux participants d'avancer à partir de leur vécu.

     

Sur le plan collectif (et donc politique), Cynthia Fleury préconise trois niveaux d'intervention : Soigner, Gouverner, Eduquer, en se référant d'abord à la psychanalyse freudienne. Cette approche signifie que le pouvoir politique n'intervient pas seulement dans l'institutionnel et l'élection mais aussi dans le domaine relationnel pour développer une interaction positive avec les citoyens ("prendre soin d'eux"), espèce de prévention contre le ressentiment, ce qui devrait les amener à leur tour à défendre l'Etat de droit, à en avoir une vision positive.   

Sa démarche est d'autant plus importante qu'elle se situe au carrefour de la philosophie, de la psychologie et de la politique et que le thème du ressentiment est vraiment central dans l'évolution de sociétés démocratiques.



Notes et références
[1] Ce qu'elle appelle "L'individuation", processus distinguant un individu des autres individus du groupe de référence dont il fait partie.

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