Référence : Laurence Giordano, Marie Brick et ses frères, éditions Payot & Rivages, 215 pages, septembre 2020
"Une histoire de survie et de destin dans la France du choléra"
Alexandre Antigna Marchand d'images MBA Bordeaux -- Laurence Giordano
En préambule, Laurence Giordano pose cette question : « Quand on a tout perdu et que le sort s'acharne contre nous, jusqu'à quel point notre chemin est-il tracé ? »
Ce livre est né d’un hasard : la future auteure, professeure d'histoire-géographie, réalisait une étude historique [1] quand son attention fut attirée par un dossier un peu plus fourni que les autres qui lui donna envie d’approfondir le destin de trois jeunes anonymes, Marie et ses eux frères.
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Elle partit donc sur leurs traces, les suivant autant que possible dans leurs pérégrinations. On va suivre ainsi la famille de Gravisse en Moselle près de la frontière, dont ils sont originaires jusqu’à Paris où ils espèrent une vie meilleure. Longue route pour cette époque où avec la locomotion chevaline, on mettait des jours et des jours pour se rendre à Paris, via Thionville, Metz, Verdun, Sainte-Ménéhoulde, Chalons, Meaux et (enfin) Paris.
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En fait, la vie à Paris est aussi difficile qu'à la campagne, d'où ils viennent car la vie y est plus chère et plus précaire. La famille déménage plusieurs fois dans des conditions difficiles et sans qualification, le chef de famille est peu payé. La catastrophe viendra de l'épidémie de choléra qui ravagea pour la seconde fois en quelques années la capitale en 1849. [2] Oncles et tantes ne pouvant durablement les héberger, les enfants orphelins seront alors confiés à l'Assistance publique et placés dans des familles d'accueil.
Les deux garçons, Nicolas et Michel Brick, après un séjour à l’Assistance publique, seront placés comme apprentis, d’où de nouvelles pérégrinations. Pour Michel, ce sera assez court, de Paris à Gaillon dans l’Eure en 1853. Nicolas ira d’abord à Marolles dans l’Indre-et-Loire en 1850 en passant par Orléans et Tours. Puis il se retirera à Sommesous en 1852 dans un petit village de la Marne. Sans doute, contraint par l’Assistance, n’a-t-il pas apprécié ces voyages à leur juste valeur.
Marie leur sœur est morte en 1852, encore adolescente alors qu'elle apprenait la couture, d’une pleurésie, morte dans la prison Saint-Lazare où elle avait été incarcérée pour une petite affaire de grivèlerie.
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Marie, Michel et Nicolas étaient des gens du peuple, de ceux qui tombent dans les oubliettes de l’Histoire, mais que cette fois Laurence Giordano a décidé de sortir de l’anonymat. Elle a reconstitué une partie de leur parcours essentiellement à travers les dossiers de l’administration communale parisienne à l’occasion de la grave épidémie de choléra qui laissa les trois enfants orphelins.
Laurence Giordano a retrouvé la trace de Nicolas Brick à l'asile d'aliénés de Châlons-sur-Marne (maintenant Châlons-en-Champagne) où il est mort en 1893. Les actes de l'état civil ont permis de savoir que Nicolas avait eu deux fils Albert né en 1874 à Sommesous qui devint tonnelier [3] et Émile né en 1877 à Sommesous également, qui devint épicier. [4] Ils ont tous deux été mobilisés en 1914.
« Nés pauvres, ils sont morts pauvres et engloutis dans l’oubli » écrit Laurence Giordano qui nous fait partager le quotidien d'une société où les plus défavorisés subissent la plupart du temps, s'adaptent et résistent tant qu'ils peuvent. Leur vie est marquée par la précarité et on le voit très bien avec le destin de Nicolas et de Michel qui finiront tous deux misérablement dans la salle commune d'un hospice.
Cette précarité, outre le choléra, avait aussi été accentuée par les guerres. Michel a vécu la guerre de 1870 et surtout l'épisode de la Commune, lui qui habitait pas très loin de la Mairie qui brûlera pendant le siège. Il est fort possible qu'il ait participé modestement à la Commune mais ne fut pas poursuivi. Nicolas subit la guerre de 1870 encore plus difficilement puisque dans la Marne, il n'était pas très loin du front et que les Allemands occupèrent ensuite ce département, procédant à des réquisitions jusqu'au paiement total du tribut de 5 milliards de franc-or par la France.
Notes et références[1] Dans le cadre d’une recherche universitaire, Laurence Giordano a consulté 150 dossiers dans le cadre de son mémoire sur "Les orphelins du choléra à Paris de 1832 à 1849".
[2] Plusieurs épidémies
de choléra ont frappé la France entre 1832 et 1859. Celle de 1849 a
marqué un tournant dans l’histoire de la santé publique et a contribué à
l’adoption de la loi du 13 avril 1850 sur les logements insalubres.
[3] Michel Brick (1839-1901), marié en 1870 à Rachel Caën, eut un fils Michel junior né en 1866 qui fut manutentionnaire.
[4] Nicolas
Brick (1835-1893), marié en 1859 à Marie-Marguerite Collard, eut 2
fils, Albert né en 1874, tonnelier, marié en 1897 à Marie Fagnières et Émile né en 1877, épicier, marié en 1902 à Lucy Rémy .
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