Référence :
Antonio Tabucchi, Pereira prétend, éditions Christian Bourgois, 1995,
éditions 10/18, traduction Bernard Comment, 219 pages, 1999,
Folio/Gallimard, juin 2010
« La littérature a un rapport différent avec le monde, elle exige la métaphore. »
Antonio Tabucchi, bien qu'italien, a beaucoup aimé le Portugal et Lisbonne en particulier. Plusieurs de ses romans, comme celui-là, s'y déroulent. Il a aussi beaucoup admiré Fernando Pessoa
qu'il a aidé à faire connaître et dont il a traduit l'essentiel de son
œuvre en italien.
Il a préfacé la biographie écrite par sa femme Maria-José de Lancastre et on rencontre Pessoa dans plusieurs de ses livres comme Une malle pleine de gens [1], La nostalgie du possible (sous-titrée Sur Pessoa), [2], Requiem ou Les trois derniers jours de Fernando Pessoa, un délire.
Pereira
est finalement un portugais moyen, d’un âge moyen, le portrait de
l’anonyme, de l'anti héros. Ce veuf au cœur fragile tient à ses
habitudes, mélancolique à l’embonpoint proéminent, il raffole
d'omelettes et de citronnades bien sucrées et n’est pas attiré par les
gâteaux ou le fameux "pastel de nata", ce flan pâtissier cher aux lisboètes.
Le nationalisme étroit qui se répand dans toute l’Europe ne l’intéresse pas, y compris dans son pays qui subit la dictature de Salazar
depuis 1938. Il vit dans son cocon même s'il se passe des choses, même
si sa concierge est une indic, mais les journaux n’en parlent pas,
comme par exemple ce serrurier assassiné quelque part dans l'Alentejo. Il est comme les trois singes qui se bouchent les yeux, les oreilles et la bouche.
C’est au bistrot qu’on apprend les choses, au café Orquidéa par exemple où les nouvelles circulent sous le manteau : «
Il y avait simplement des bruits qui couraient, le bouche à oreille, il
fallait se renseigner dans les cafés pour être informé, écouter les
bavardages, c'était l'unique moyen d'être au courant. »
Lui
son truc, c’est la littérature française, la page culturelle qu’il
tient chaque semaine dans un journal lisboète et les auteurs français,
qu'il traduit en portugais pour les publier en feuilletons.
Il est aussi un bon catholique qui discute souvent avec son meilleur ami António, père Franciscain des prises de position du Vatican ou d’écrivains catholiques français comme Georges Bernanos, François Mauriac ou Paul Claudel. António qui ne le comprend pas forcément et lui dit : « Mais dans quel monde vis-tu, toi qui travailles dans un journal ? »
La métamorphose
Sa
vie va basculer le jour où le hasard va le mettre en présence d’un
couple de jeunes antifascistes qui recrutent des portugais pour aller
combattre Franco avec les Brigades internationales. Il décide d’aider cet italo-portugais, Francesco Monteiro-Rossi en lui commandant des articles sur des écrivains comme Maïakovski ou Alphonse Daudet.
Prise de conscience ou désir de trouver dans Francesco l’enfant qu’il n’a pas eu, peu importe c’est son engagement qui compte.
Les événements finiront par le rattraper : la police de Salazar va liquider Montero-Rossi chez lui : « Pereira
prétend qu'il y avait trois hommes habillés en civil, et qu'ils étaient
armés de pistolets. Le premier qui entra était un petit maigrichon avec
de fines moustaches et une barbiche couleur châtain. "Police
politique", dit le petit maigrichon avec l'air de celui qui commandait,
nous devons perquisitionner l'appartement, nous recherchons une
personne. "Faites-moi voir votre carte d'identification", s'opposa Pereira. L'un des deux autres pointa son pistolet vers la bouche de Pereira et susurra : "Ça te suffit comme identification, gros lard ?" »
Il décidera alors d'écrire et de publier un article vengeur en trompant la censure.
Dès lors, il devra fuir son pays...
En 1995, pendant la campagne électorale en Italie, le personnage de Pereira a servi de symbole à la gauche contre la coalition du gouvernement de Berlusconi, Tabucchi étant lui-même très engagé contre Berlusconi et la droite italienne.
Pour renforcer le cmat pesant de cette époque, Tabucchi utilise la répétition du titre, surtout au début, « Pereira prétend… Pereira prétend… »,
il n’affirme pas, il ne fait que prétendre comme s’il voulait
s’infliger à lui aussi une censure. Il évite également style direct et
dialogues, ouvre les guillemets sans les refermer et "oublie" d'aller à
la ligne pour mieux densifier son texte.
Pour sans doute éviter tout
biais sentimental avec son personnage principal, il utilise le style
indirect comme il l'aurait fait d'un compte-rendu d'une déposition.
Pereira prétend (extraits) ou la vérité relative
« Pereira prétend avoir fait sa connaissance par un jour d’été. […] Un ciel bleu, un ciel d’un bleu jamais vu, prétend Pereira,
d’une netteté qui blessait presque les yeux, il se mit à songer à la
mort. […] Le fait est que Pereira se mit à songer à la mort, prétend-il. […] Il commença ainsi de feuilleter la revue, dans l’indifférence, parce qu’il s’ennuyait, prétend-il. » [...] « Pereira prétend qu'il y avait trois hommes habillés en civil, et qu'ils étaient armés de pistolets. »
« Cher Monteiro Rossi, vous êtes un parfait romancier, mais... sur les journaux on écrit des choses qui correspondent à la vérité ou qui ressemblent à la vérité... »
« La philosophie donne l’impression de seulement s’occuper de la vérité, mais peut-être ne dit-elle que des fantaisies, et la littérature donne l’impression de s’occuper seulement de fantaisies, mais peut-être dit-elle la vérité. »
Notes et références
[1] Pessoa a peu publié de son vivant et laissé à sa mort une grande malle pleine de manuscrits, d'où ce titre
[2] Cet ouvrage, introduction à l'œuvre de Pessoa, est issu de conférences données en 1994 à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris
Sitographie
Tabucchi l'européen -- Nocturne indien -- Piazza d'Italia -- Tristano meurt -- Il se fait tard, de plus en plus tard --
La Tête perdue de Damasceno Monteiro --
Voir aussi mes articles :
José Saramago, Menus souvenirs -Biographie -Hommage 2020 -Saramago & son oeuvre -
Pessoa et l'intranquillité -
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