Référence : Philippe Claudel, Le bruit des trousseaux, Le Livre de poche, 118 pages, 2003
« Pour supporter la prison, il faut devenir un autre. »
J’avais déjà été impressionné par des œuvres de Philippe Claudel aussi fortes que Les âmes grises ou Le rapport de Brodeck, complétées plus récemment par des romans comme L'arbre du pays Toraja et L'archipel du chien.
Cette fois, il nous emmène dans l’univers carcéral, domaine qu’il connaît bien pour y avoir longtemps enseigné. La prison au-delà des représentations qu’on peut en avoir le plus souvent. Le témoignage, certes incomplet, vu d’un certain point de vue comme tout témoignage mais celui d’un homme Philippe Claudel qui est aussi un écrivain et qui, en tant que tel, y ajoute la dimension réflexive, le recul nécessaire pour faire la part des choses entre le factuel et l’émotif.
Philippe Claudel comme il le dit lui-même, a été cet homme, un enseignant qui pendant dix-sept ans, a tenté tant bien que mal, d’apporter à cette population carcérale son savoir littéraire et à leur faire partager sa passion pour cette discipline. « Vous êtes bien courageux d’aller là-bas ! » lui disait-on parfois avec un air entendu. « Là-bas », tout est dans cette locution. « J'étais celui qui chaque semaine allait dans un autre monde » ajoutait Philippe Claudel.
Ce témoignage, c’est aussi la confrontation à la situation particulière qu’engendre l’univers carcéral, l’enfermement et ses conséquences sur le psychisme des personnes incarcérées. C’est cet homme désespéré dont le désespoir peut se transformer en violence, qui en prend pour vingt ans, c’est cet autre, victime d’un transfert qu’il ne comprend pas, cette femme qui accouche en prison… et « Claude P. à qui je demandais chaque semaine, après nous être salués : "Quoi de neuf ? " et qui me répondait : "Toujours pareil, la moitié de dix-huit ! " Ce jeu entre nous. »
Son témoignage est direct, sans concession : « Le nombre de détenus qui m'avouaient qu'ils ne pouvaient rien faire, rien. Ni lire, ni écrire, ni se concentrer sur une émission radiophonique ou télévisuelle. Rien. La prison agissait comme un lavage qui emportait les fonctions intellectuelles même les plus rudimentaires. Ne restaient à l'homme, dans bien des cas, que des réflexes, les mécanismes végétatifs, les élans de survie. »
Il nous présente ce microcosme, repoussoir pour beaucoup, sans jugement et tabou, rendant plus humain cet univers fragile aux nombreuses interconnexions générées par les acteurs qui interviennent, détenus, gardiens, familles, éducateurs, avocats, personnel médical…
Les
différents plans sur les conditions de vie des détenus permettent
d’appréhender leurs relations et leur sexualité, les phénomènes de
violence et de rapports de force.
Son expérience lui a aussi appris la difficulté d’avoir une vie
"normale", s'impliquer sans se laisser phagocyter par un engagement trop
important qui en viendrait à hypothéquer la vie personnelle de
l'enseignant et mettre en danger sa vie de famille.
Image du téléfilm
Peu
de choses sont dites mais plutôt suggérées par un style direct et
incisif, comme des instantanés arrachés au milieu carcéral, traduits par
des bruits comme celui des trousseaux de clés qui cliquettent, font
grincer les serrures ou des odeurs qui symbolisent l'enfermement.
Un texte plutôt léger pour
exprimer toute la dureté de l'univers carcéral. Il s'en dégage une
grande émotion sans recours au pathos, un climat qui ne peut que faire
réfléchir et nous renvoie au célèbre essai Surveiller et punir du philosophe Michel Foucault.
Sitographie sur Philippe Claudel
Philippe Claudel, "Le rapport de Brodeck" -- L'archipel du chien --
Philippe Claudel, "L'enquête" -- "L'arbre du pays Toraja" --
Philippe Claudel, "Fantaisie allemande" --
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Nathalie Appanah Le ciel par dessus le toit --
Véronique Vasseur, Médecin chef à la prison de la santé --
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