Référence : Stéphanie Coste, Le passeur, éditions Gallimard, janvier 2021
Un premier roman engagé
« La résilience finit par capituler sous le poids des chagrins. »
Stéphanie Coste
s’est intéressée à cette forme nouvelle de traite d’êtres humains qui
se fait non plus sur de gros bateaux qui traversent l’atlantique mais de
frêles embarcations surchargées qui chavirent facilement et provoquent
de nombreux drames qui font les gros titres des journaux des pays
développés.
Le
thème semble quelque peu bidon : des histoires de migrants qui tentent
avec détermination de trouver la terre promise, ça ne manque pas et
c’est même un sujet "bateau". Une rengaine bien connue, variation sur le
thème exploiteurs/exploités qu'on a déjà bien connue, ne serait-ce
qu'avec les "boat people" ou les cubains attirés par les feux de la Floride.
Le cinéma aussi s'est intéressé à cette réalité avec par exemple des films dans des genres fort différents, comme Samba Welcome ou encore Va, vis et deviens, mais Stéphanie Coste a pris le parti de raconter son histoire à partir du parcours de l’un de ces passeurs honnis, "briseurs de frontières" souvent boucs-émissaires d’un fait de société qui les dépasse.
Deux jours de la vie d'un homme qui nous entrainent au cours des années 90 dans la guerre entre Érythrée et Éthiopie et en 2015 entre la Libye et l'Italie. Deux jours pendant lesquels quelques cent cinquante vies vont basculer.
Ici, c’est un passeur nommé Seyoum qui se confie.
Libye, octobre 2015 : « L’espoir des autres, dit-il avec un parfait cynisme, c’est mon fonds de commerce. »
Les migrants représentent le moyen de son ascension sociale. Un métier
que, finalement, il supporte assez mal, abusant de la drogue et de
l’alcool, ce qui en ferait lui aussi la victime d’un système sans foi ni
loi dont le siècle précédent a donné maints exemples parfois encore
plus abjects.
« Je me demande, dit-il, quand exactement ma peur s'est transformée en résignation. A quel moment précis j'ai arrêté de me sentir humain. Je ne suis pas tout à fait une bête. Je suis une mécanique bien programmée. »
Pour beaucoup, avant d'affronter les flots, il faut d'abord qu'ils traversent des zones désertiques : « Ils ne pourront éviter la traversée du désert, la mort assise sur leur cou comme une enclume. Il en meurt plus dans la fournaise des mirages qu´en mer en temps normal. La rage de survivre leur donne de plus en plus la gnaque ».
Un roman pas aussi manichéen qu'il paraît : Tel est le talent de Stéphanie Coste :
celui de parvenir à raconter l’indicible, tout en donnant presque des
circonstances atténuantes à ce passeur sans foi ni loi. Car lui aussi a
souffert. Au fil des pages, il confie son désarroi, son passé meurtri
par la dictature en Érythrée, sa vie dans un camp, la torture et la perte de l’amour de sa vie.
Ce
qui ne veut pas dire non plus qu'il faille lui donne l'absolution, tout
juste quelques circonstances atténuantes que de grands précurseurs
n'avaient pas.
Hakan Günday Encore [1] Le bateau-usine [2] Ulysse from Bagdad
Dans un roman court et nerveux, Stéphanie Coste fait se croiser bien des destins et dépeint le terrible quotidien d’un continent africain continuant de survivre au gré du terrorisme, de la famine et des guerres civiles et punitives. Un roman sombre et précis qui, paradoxalement, donne envie de croire en l’humanité et la possibilité d'une espèce de rédemption.
Derrière
ces trajectoires, se pose toujours la question lancinante inhérente à
notre époque de mondialisation et d'interdépendance : la seule façon de
dissuader ces populations d'immigrer est de les aider à rester chez
elles, autrement dit, faire de la prévention.
Mais ceci est une autre histoire...
Notes et références
[1] Hakan Günday Encore : un passeur de clandestins vers la Grèce --
[2] Kobayashi Takiji, Le bateau-usine : la terrible existence dans un bateau-usine naviguant entre Japon et URSS
Voir aussi
* Un jour, un auteur --
* Éric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad, Albin Michel, 2008
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<< Christian Broussas ♦ Le passeur ♦ © CJB ° 22/02/ 2022 >>
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