mercredi 13 juillet 2022

Ilya Répine et l'âme russe

 Ilya Répine (1844-1930)  Peindre l’âme russe


Sophia Dragomirova 1889  Autoportrait 1878

Ilya Répine, ce nom ne tintait pas vraiment à mon oreille… et pour cause, c’est la première exposition en France de ce peintre russe au style réaliste très classique. Peinture intéressante donc qui traduit une technique maîtrisée de ce genre de représentation basée essentiellement sur le portrait.   


L'insurrection de 1905, la journée du 17 octobre (1907)

Et pourtant... Il fut exposé de son vivant dans la capitale française où il séjourna longtemps bien qu'il y soit aujourd’hui méconnu. Ses œuvres conservées hors de la Russie sont d’ailleurs très rares : le Musée d’Orsay ne possède qu'une esquisse de sa main.

        
St Nicolas arrêtant le bourreau  Portait de Dante Alighieri

Le tableau qui le fit connaître fut commandé par le grand-duc de Russie Vladimir Alexandrovitch, vice-président de l’Académie et fils du tsar Alexandre II. Ce tableau Les Haleurs de la Volga (1870-1873) [1] est un manifeste réaliste et une célébration d’un peuple misérable et encore opprimé, bien qu'Alexandre II ait aboli le servage en 1861.

          
Ilya Efimovitch                     L’écrivain Leonid Andreïev     

Son séjour en France à partir d'octobre 1873 aura une large influence qur son style, comme dans la Femme noire (fin 1875-début 1876 présentée à Paris au Salon de 1876, dans une toile très décorative Sadko dans le royaume sous-marin, inspirée du folklore russe et peinte à Paris en 1876, les portraits d'Ivan Tourgueniev (1874) et de sa fille Véra Répina enfant (1874), Juif en prière (1875) et Ukrainienne (1875), des toiles représentatives de son évolution pendant ces" années françaises".

 
Répine & sa seconde femme Natalia Nordman Severova 1903

C’est le Petit Palais qui présente cette première rétrospective consacrée en France à Ilya Répine, l’un des peintres russes les plus représentatifs d’une époque bouleversée par  les guerres, la disparition des Romanov et la Révolution bolchévique.

Danse des cosaques zaporogues 1928
Zaporogues, Lettre au sultan 1885

Il est considéré comme un jalon essentiel de l’histoire de la peinture russe des XIXe et XXe siècles. Une centaine de tableaux, prêtés notamment par la Galerie nationale Trétiakov de Moscou, le Musée d’État russe de Saint-Pétersbourg et le musée d’art de l’Ateneum d’Helsinki, dont certains très grands formats, permettront de retracer son parcours à travers ses chefs-d’œuvre.

    
Portrait de Sophie Menter 1887    Léon Tolstoï labourant 1887

Ilya Répine s’est surtout intéressé aux différents aspects de la vie culturelle de son époque, que ce soit la littérature, la musique, les sciences… Certaines de ses œuvres retracent d'ailleurs les bouleversements historiques et sociaux qui ont marqué son temps, par exemple les tableaux sur L'insurrection de 1905.

         
Nu, de dos 1896                Jeune ukrainienne 1880

Il traitera de thèmes plus convenus dans La visite d'Alexandre III aux Consuls, Les compositeurs slaves (1871), La régente Sophie (1879), Procession religieuse dans la province de Koursk (1883) ou Le centenaire du Conseil d'État en 1903.
     
   Ferme ukrainienne

En outre, il est toujours resté très proche d’artistes comme Léon Tolstoï, le compositeur Moussorgsky ou le collectionneur Trétiakov, admirait Nicolas Gogol et rencontra Tourgueniev à Paris.

       
Ilya Répine : Portraits de Léon Tolstoï

De superbes portraits naîtront de ces amitiés, dont le plus célèbre est sans doute celui de Moussorgsky, dont aussi une série de portraits consacrés à son ami Léon Tolstoï, parmi lesquels Tolstoï labourant (1887), Tolstoï aux pieds nus, Tolstoï dans son fauteuil, Tolstoï et sa femme Sofia, Tolstoï écrivant ou le portrait de Tolstoï assis.

 
Portraits de Tourgueniev 1874 et de Moussorgsky 1881          
Vladimir Stassov
1900

Ilya Répine fut un membre éminent du groupe « Les Ambulants », formé de peintres réalistes. Il commence par être peintre d’icônes. Il étudie la peinture à l'Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg puis à Paris où il découvrit l’impressionnisme sans jamais y adhérer même s’il était épris de culture picturale française.

    
Ivan le Terrible et son fils          (détail)             Juif priant, 1875     


Beaucoup de ses œuvres importantes se rapportent aux conflits sociaux dans la Russie du XIXe siècle. En 1873, son célèbre tableau Les Bateliers de la Volga, montre le peuple russe opprimé traînant ses chaînes. Suivront dans la même veine Confession et L'Arrestation du Propagandiste ou plus officiel Ivan le Terrible et son fils.

  Les bateliers de la Volga

Il veut être près du peuple, saisir ses peines, ses besoins et ses joies de la vie populaire. Le peintre et critique d’art Ivan Kramskoï dira de lui : « Répine possède le don de représenter le paysan tel qu'il est […] mais personne ne sait le faire avec autant de talent que lui. » On dit de ses tableaux qu’ils sont délicats et d’une puissante plasticité et pas seulement dans ses portraits car même ses natures mortes atteignent une authenticité quasi naturelle.

 
Portraits de Pavel Tretiakov 1901  de Vsevolov Garchine 1900 et de
Korney Ivanov Chukovski 1910

Ce maître du réalisme a beaucoup représenté ses contemporains, des artistes bien sûr mais également des paysans au travail, des croyants en procession, manifestants sur les barricades.

Il fut surtout un portraitiste remarquable, très prisé, très fin, qui représenta aussi bien ses proches que des portraits de membres des grandes familles russes.


Portraits de sa première femme Véra 1876 et 1882 (Le repos), de sa fille aînée (Bouquet d'automne)


On y trouve, surtout dans ses débuts, des portraits de sa famille : Portait de son père (1879), de sa mère Tatania Stepanovna (1867), de sa femme Véra, en particulier les quatre portraits de 1869, 1876, 1878 et 1882 intitulé Le repos, de sa fille aînée : libellule (1882) et Bouquet d’automne (1892) ou de sa seconde femme, l'écrivaine Natalia Nordman-Severova (1900)


   Portrait de Tolstoï & sa femme

On y trouve aussi des proches, comme ses amis le compositeur Modeste Moussorgsky, les écrivains Léon Tolstoï (Léon Tolstoï labourant, en 1887), Tourgueniev ou du galeriste Pavel Tretiakov (1901).

                
Sa fille Nadja Répine    Natalia Nordman sa seconde femme

Il a peint également des portraits d'officiels comme ceux de la Régente Sophie (1879), Ivan le Terrible (Ivan le terrible et son fils Ivan (1885), Vsevolod Garchine (1884) ou Alexandre Kerenski en 1918 ainsi que de nombreux portraits de femmes dont on peut citer : Varvara Uexküll von Gyllenband (1889), Tatiana Soukhotina-Tolstaïa (1893), Sophia Dragomirova (1889), Natalia Golovina (1896), Eléonore Duse (1891), Elizaveta Zvantseva (1889) ou Marianne von Werefkin (1916).

 
Nathalia Golovina         Bella Highland 1910 Femme s'appuyant sur une chaise

Grâce à une scénographie dynamique, l’exposition complétée par des extraits littéraires, est particulièrement réussie et permet de faire connaître un peintre dont l’œuvre considérable, au-delà de son aspect plastique, est aussi un témoignage incomparable.

Le tsar Alexandre III 

Autour de la musique

Le peintre Ilya Répine aimait particulièrement la musique et son œuvre y renvoie à de nombreuses reprises, que ce soit des hommages, des évocations,  des portraits de compositeurs, de Glinka à Glazounov, de Moussorgski à Rimski-Korsakov.

Scène de la vie russe

Elle présente des œuvres comme, bien sûr, le portrait de Modeste Moussorgski, l’un des chefs-d’œuvre du peintre, créé en quatre jours en mars 1881, juste avant la mort du compositeur, qui voulait représenter « la vie, si salée soit-elle »  en se rapprochant de la langue parlée chez le compositeur ou de la réalité chez Répine. Moussorgski était aussi « ce petit bonhomme à la joie enfantine et au nez rouge en forme de patate ».

  Mikhail Glinka

Répine aimait beaucoup Moussorgski à qui il adresse un clin d’œil dans l’un de ses derniers tableaux, Le Gopak (ou Danse des cosaques zaporogues, 1926-1930), danse ukrainienne qu’il utilisa dans son opéra inachevé La Foire de Sorotchintsy d’après Gogol.

                       
Sadko dans le royaume sous-marin 1876
Portrait de Rimski-Korsakov 1893

Il a aussi représenté Mikhaïl Glinka, celui qu’on appelait le « père de la musique russe » travaillant à son second opéra, Rouslan et Ludmila, couché, cherchant sans doute l’inspiration. On trouve également d’autres musiciens tels que César Cui, membre du Groupe des Cinq, Anton Rubinstein ou Alexandre Glazounov qui lui dédia sa Rhapsodie orientale pour grand orchestre.

Si le portrait de Rimski-Korsakov manque à l’exposition, un autre tableau le grand Sadko de 1876 l’évoque. S’il écrira plus tard son opéra, son poème symphonique inclut l’épisode singulier de la légende, qui transporte le héros sous les mers, auprès du roi Océan.

Notes et références
[1] Tableau intitulé aussi "Les bateliers de la Volga"

Voir aussi mes fichiers
* Expositions Morozov et Chtchoukine --

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<<< Christian Broussas   Ilya Répine  © CJB  °°° 13/01/2022  >>>
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