Fil conducteur du roman autobiographique
« À tous ceux qui crevèrent d'ennui au collège ou qu'on fit pleurer dans la famille, qui, pendant leur enfance, furent tyrannisés par leurs maîtres ou rossés par leurs parents, je dédie ce livre ». Jules Vallès
Jacques Vingtras, initiales J-V comme Jules Vallès
Fils d'un professeur de collège et d'une paysanne, Jacques Vingtras naît et grandit dans la ville du Puy-en-Velay dans la Haute-Loire.
Sa mère le bat tous les jours sous prétexte qu'il ne faut pas gâter les
enfants, une éducation qui abêtit ou rend insensible selon le
caractère de l'enfant. [1] «
Je ne sais pas ce que c'est que la liberté, moi, ni ce que c'est que la
patrie. J'ai toujours été fouetté, giflé, - voilà pour la liberté,
dit-il » Cette curieuse éducation l'a bien sûr marqué, confessant :e
ne me rappelle pas une caresse du temps où j’étais tout petit ; je n’ai
pas été dorloté, tapoté, baisoté ; j’ai été beaucoup fouetté. » [2]
Il déménage quand son père est nommé professeur de septième à Saint-Étienne.
« Mon premier souvenir date donc d’une fessée. Mon second est plein d’étonnement et de larmes. »
Pour une faute vénielle, on l'enferme dans une salle vide où on l'oublie mais il en profite pour lire Robinson Crusoé. [3] Il suit son père à Nantes où il fait "ses humanités" et où il s'ennuie. Une relation intime va se nouer avec Madame Devinol que son mari délaisse. Elle a plutôt sur lui une influence positive et lui fait découvrir l'opéra, des pièces comme Les Huguenots de Meyerbeer et La favorite de Donizetti.
Un jour, dans une chambre d'hôtel qu'il partage avec cette dame, Jacques Vingtras est reconnu. Énorme scandale. Ses parents l'envoient dans une pension à Paris où il passe le concours général à la Sorbonne. Puis retourne à Nantes sous la férule de son père pour préparer son baccalauréat... qu'il rate. Il souhaite revenir à Paris pour être ouvrier. Mais son père menace de le faire emprisonner -il en a le droit à l'époque- mais Jacques parvient à l'amadouer. [4]
La raison du pardon paternel : il le défendra quand il sera attaqué en tant que professeur, même s'il est loin d'être innocent. Ce geste a dû lui coûter, vu son aversion vis à vis de sa mère et la haine d'un père dur et intraitable. Il ira même jusqu'à accepter un duel à l'épée... qu'il perdra en étant blessé.
Sur
le plan sociétal, on se situe dans la première phase de la société
industrielle avec l'émergence d'une petite bourgeoisie qui a soif de
respectabilité et véhicule des valeurs comme le mépris des plus faibles que soi et la soumission à l'autorité... valeurs rejetées par le jeune Vingtras.
« J’ai été malheureux, j’écris pour ceux qui le sont, j’ai été digne, j’écris pour ceux qui ne le sont pas. »
Jules Vallès aime recourir à l'humour satirique par exemple quand la voisine fait semblant de battre Jacques pour finir le travail de sa mère, [5] ou quand sa mère dit à Jacques qui revient avec un pantalon ensanglanté après une bagarre : « La prochaine fois, mets un vieux pantalon » ou également à l'auberge quand sa mère refuse qu'ils mangent le soir, les obligeant à attendre le matin pour enfin apaiser leur faim.
« Écrire la révolution passe nécessairement, pour Vallès, par une révolution de l'écriture : c'est ce que donne à lire, exemplairement, le récit fondateur qu'est L'Enfant » analyse Corinne Saminadayar. [6] Jules Vallès n'a pas seulement cherché à écrire de façon linéaire son autobiographie, pour rendre le récit plus dynamique, il agrège voix de l'enfant de voix du narrateur adulte. Son style se veut direct, sans fioritures littéraires même si certains portraits se veulent plus léchés, plus drôles comme celui de la tante Agnès.
Honoré Daumier L'éducation et L'instituteur
Les points-clefs
1- L’ENFANT MALHEUREUX : chez lui
11* Malheureux chez lui (le Petit Chose dit la voisine) et lors de la fête des pères (p 72)
12* Malheureux au lycée, maltraité comme son père, enfermé par le pion; les haricots du prof de philo
13* Malheureux dans le jardin de l’École normale où sa mère l’empêche de jouer (P 46)
14* Malheureux à St-Étienne, privé de contacts avec les voisins (Les Fabre)
2- L’ENFANT HEUREUX
21* Plutôt heureux avec la voisine madame Balandreau
22* Plutôt heureux en famille avec l’oncle Joseph (trop tôt parti à
Bordeaux), la cousine Polonie et son cheval ou tante Agnès la Béate.
23* Heureux pendant ses vacances d’aller chez Soubeyrou en passant par
le centre ville et chez ses tantes à Farreyrolles (p 59) passant par la
tannerie du Breuil. (p 54)
24* Heureux : La visite chez l’oncle curé et les cousines (p 126-130)
3- RELATIONS MÈRE-ENFANT
31* Sa mère, même si elle veut bien faire, s’empêtre et l’accuse : « Tu n’es pas fait pour porter la toilette mon pauvre garçon. » (p 51)
32* « Il ne faut pas que les enfants aient une volonté ; ils doivent s’habituer à tout. » (p 53)
33* Elle veut en faire "un monsieur de la ville" mais lui préfère le monde paysan [par opposition ?]
34* « Qui remplace une mère ? Mon dieu, une trique remplacerait assez bien la mienne ! » [Sentiments contraires amour/haine]
35* A Nantes: « Je me sens des envies de pleurer. On ne me bat plus. C'est peut-être pour ça. » p 196
36* Nouvelles relations avec la mère (p 273-75) + interprétation p 277-78
4- INFLUENCE SUR L’ENFANT:le futur insurgé
41* L’épisode du pain : Depuis, j’ai toujours pris la défense de ceux qui ont faim. » (p 43)
42* « Si je peux lancer une pierre aux gendarmes, je n’y manquerai pas. » (p 66)
43* L’aumône : « Je n’ai jamais pu voir un homme demander un sou pour acheter du pain sans qu’il me tombât du chagrin sur le cœur comme poids. »
44* « Ma mère m’inspirait la haine des armées permanentes… » (p 112)
45* M Jaluzot : « Vous n'êtes au collège que pour cela, pour mâcher et remâcher ce qui a été mâché par les autres. » (p 227) + critique p 229
46* Vers l'autonomie : Retour à Nantes p 283 + "les facultés de l'âme", recalé à l'examen + Défense du père p 301
L’autobiographie chez Vallès
* L’enfant est une œuvre autobiographique :
Vallès le confirme dans un article intitulé "Mon Gosse" de 1882 et dans un récit antérieur sous forme de journal intime, "Le testament d’un blagueur" , surnom d’Ernest Pitou qui s’est suicidé, qu’on surnommait Le blagueur « parce qu'il riait de tout et ne ménageait rien. » Un mot moins polémique que "ironie" mais qui traduit bien l’esprit du roman.
* Mais pas seulement :
** Le texte du Testament d'un blagueur, raconte la même histoire que L’enfant, même s’il est plus morcelé, et s'avère être la préfiguration du premier roman de la trilogie de Vallès.
** Il utilise des procédés littéraires pour formater le récit. [7]
* Formatage du récit :** Détachement par rapport à l'autobiographie => rechercher l'ironie
** Procédés littéraires utilisés : indifférencier
les interventions de l’enfant et de l’adulte pour donner plus de vie au
récit : il ne s’agit pas seulement de souvenirs ou de fidélité à la
réalité mais de donner une certaine tonalité au style de l’enfant, selon
l’effet visé par Vallès.
- Son écriture recourt en particulier :
-- au « je » par le personnage et le narrateur ; à l'antiphrase genre "c'est du joli ! ";
-- à la variété des styles : mélange niveaux de langue, présent de narration, style indirect libre ou l'asyndète. [8]
* Exemples :
--- « J'ai six ans, et le derrière tout pelé. »
---« Comme
on dit que j'use beaucoup, on m'a acheté, dans la campagne, une étoffe
jaune et à poils, dont je suis enveloppé. J'ai l'air d'un ambassadeur
lapon. Les étrangers me saluent, les savants me regardent. »
--- « J'entendais dire souvent… « les Pitou, c'est l'honnêteté même. » L'honnêteté, c'est bien dur pour les pauvres ! »
---« M. Grelu, cocu, a deux enfants, heureux comme tout […] C'est gai chez eux. Chez nous, c'est triste à en crever ! […] M. Grelu est heureux, mon père s'ennuie. Moi, j'aimerais bien être le fils de Grelu ! »
--- « Un jour on m'avait invité, pendant le carnaval, à un bal d'enfants. Ma mère m'a habillé en charbonnier. »
--- « Je suis laid : il paraît que je suis très laid. J'en souffre
beaucoup. Quand je me trouve dans un endroit où il y a des demoiselles,
je dis toujours que j'ai mal aux dents ou un clou sur le nez, pour
pouvoir mettre mon mouchoir sur ma figure, dérober ce que je puis aux
regards des femmes. »
--- « Je voulais être savetier. […] Le père Bachon, qu'on entend toujours chanter et rire… je m'amuserais mieux dans son échoppe qu'au collège. »
Notes et références
[1]
Il existe des différences entre la vie racontée de Jacques Vingtras et
celle, bien réelle, de Jules Vallès. Par exemple, sa sœur notamment,
internée par leur père, n'y est pas évoquée.
[2] « Ma
mère dit qu’il ne faut pas gâter les enfants, et elle me fouette tous
les matins ; quand elle n’a pas le temps le matin, c’est pour midi,
rarement plus tard que quatre heures. Mlle Balandreau m’y met du suif. »
[3] « Il
m’a mis aux arrêts, il m’a enfermé lui-même dans une étude vide, a
tourné la clef, et me voilà seul entre les murailles sales... »
[4]
Son père l'a bien fait interner à l'asile de la ville pour « aliénation
mentale ». Fin février 1852, deux certificats médicaux attestent de sa
guérison. Sa libération viendra en fait des pressions exercées par ses
amis nantais.
[5] « Voilà le petit Chose qu’on fouette » dit Mlle Balandreau
[6] Corinne Saminadayar-Perrin, L’enfant de Jules Valles, Fotothèque n°89/Gallimard, 2000
[7] CF Philippe Lejeune, « Vallès et la voix narrative », revue Littérature, 1976
[8] SIL : style cursif, direct, évitant les mots liaison, privilégiant l'implicite.
=> Asyndète ; cf Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu
Bibliographie,analyse
Pierre Pillu, Lectures de L'Enfant, éditions Klincksieck, 1991, colloque de Reims, 1990
Marie-Hélène Biaute Roques, L'Enfant, Parcours de lecture, éd. Bertrand Lacoste, 1992
Voir aussi
Catégorie Fac Gex --
------------------------------------------------------------------------------------------
<< •• Christian Broussas ••• J.V. L'enfant © CJB °°° 05/01/2022 •• >>
------------------------------------------------------------------------------------------
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire