Dans la peau d'une juge d'instruction antiterroriste
Référence : Karine Tuil, "La décision", éditions Gallimard, 304 pages, janvier 2022
« La rage est un combustible littéraire très fort. » Karine Tuil
Dans "La décision", roman très documenté, on est au plus près de la vie d'une juge antiterroriste confrontée à un double choix impliquant sa vie professionnelle et sa vie personnelle.
Après Les choses humaines, son précédent roman qui fut Prix Goncourt des Lycéens et prix Interallié en 2019, Karine Tuil
nous propose de suivre la difficile condition de juge d'instruction
antiterroriste, doublée d’une lassitude de sa vie conjugale.
Sur le plan professionnel, « on
passe des heures dit-elle, avec les mis en examen, pendant des années,
des heures compliquées au cours desquelles on manipule une matière
noire, dure. »
La romancière Karine Tuil,
Alma Revel, bientôt cinquante ans, est juge antiterroriste au parquet de Paris. En 2016, un an après les attentats du Bataclan, elle doit se prononcer sur la remise en liberté de Kacem Abdeljalil, suspecté d’avoir rejoint les forces armées de l’État islamique en Syrie.
Cette mère de trois enfants, mariée depuis vingt à un écrivain aigri qui végète depuis un prix Goncourt précoce et revient peu à peu à sa religion, le judaïsme, a une liaison avec un avocat… qui est le défenseur de Kacem Abdeljalil…
On entre dans de plein pied dans les arcanes de ce métier qui demande de grandes qualités aussi bien juridiques que psychologiques. Certaines affaires, comme celle dont il est question ici, se présentent comme de véritables cas de conscience. « À la fin de mon instruction, écrit-elle, je dois déterminer si j'ai suffisamment de charges pour que ces individus soient jugés par d'autres. C'est une torture mentale : est-ce que je prends la bonne décision ? Et qu'est-ce qu'une bonne décision ? Bonne pour qui ? Le mis en examen ? La société ? Ma conscience ? »
Le juge est tiraillé entre un préjudice que la justice ne pourra sans doute jamais réparer, une compassion envers les victimes, où le juge est pris entre des actes parfois inqualifiables, une justice qui doit ménager la juste réparation des victimes et les possibilités de réinsertion des auteurs des crimes.
Dans
le pôle antiterroriste, les juges sont de plus confrontés à des actes
d’une barbarie insupportable et dont les décisions ont une portée qui
parfois les dépasse. Ils sont aussi les plus exposés et dit-elle, « rien ne nous y prépare vraiment. »
Avec la juge, on suit le processus de recherche de la vérité, émaillé des doutes et des enjeux qu'il implique. Pour elle, « le
terrorisme, ce n'est pas qu'une méthode, c'est l'amour de la mort. Les
terroristes ne rêvent que de ça : celle qu'ils donnent aux autres et
celle qu'ils se donnent. Ils remplacent le combat des idées par la peine
de mort. »
Avec Mazarine Pingeot
Ce
métier a évidemment des conséquences sur sa vie personnelle : nombreux
messages de menaces, temps de travail démentiel, week-end tronqués,
poids des responsabilités, impact sur la santé…
Et
sa vie personnelle est aussi très compliquée, entre une vie de couple
qui s'est effilochée et une passion amoureuse qui prend de plus en plus
de place dans sa vie. La confrontation entre ces deux aspects de son
existence ne pourra connaître qu'une conclusion tragique.
Avec Santiago Amigorena
Après Les choses humaines qui abordait la question du viol et de la façon dont la justice le prend en charge, Karine Tuil
aborde ici un autre aspect du monde judiciaire lié à l'antiterrorisme
pour construire un récit très prenant dans un style qui brosse de beaux
profils de personnages.
<<< Christian Broussas ••• Karine Tuil••• © CJB °°° 17/01/2022 >>>
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