De Clavel à Naidra Ayadi : la descente aux enfers d’un père
« Ce père ressemble à beaucoup d’hommes que j’ai connus. » Roschdy Zem
Référence : Naidra Ayadi, Ma fille,
2018, réalisation et scénario Naidra Ayadi et Bernard Clavel,
photographie Guillaume Schiffman, avec dans les rôles principaux Roschdy
Zem (le père), Natacha Krief (la jeune fille) et Darina Al Joundi (la
mère)
Affiche du film Bernard Clavel
Bernard Clavel deviendrait-il un classique à revisiter ? Un peu comme on joue Molière dans des versions modernes. C’est en tout cas le pari de Naidra Ayadi la réalisatrice du film Ma fille, dont le scénario s’appuie sur Le voyage du père, le roman de Clavel paru en 1965.
Roschdy Zem
Pas sûr que Bernard Clavel eût apprécié, lui qui n’avait déjà guère goûté la version ciné de Denys de La Patellière avec Fernandel dans le rôle du père. Grincements des dents du père Clavel choqué par les licences prises par rapport à l’histoire initiale, en particulier le retour du père dans son Jura natal, voûté, seul, déboussolé, qui n’avait certes aucune envie dans le train du retour de discuter avec quiconque.
Le voyage du père : Le roman de Clavel et le film de 1966
Cette fois, le lien est encore plus distendu puisqu’il s’agit d’une famille d’immigrés algériens qui a fui la guerre civile dans les années 1990 avec leur petite fille Leïla âgée d’un an. Ils s’installent à Paris, le temps que Hakim trouve du travail dans une scierie jurassienne où il est devenu contremaître. Leïla a grandi et depuis peu, elle est repartie à Paris pour devenir coiffeuse.
Naidra Ayadi et Roshdy Zem
Mais elle ne donne presque plus de nouvelles, quelques mots pour rassurer la famille et vient d’annoncer à sa petite sœur Nedjma que, prise par son travail, elle ne pourra les rejoindre pour les fêtes de fin d’année. Colère de Latifa la mère qui n’admet pas l’absence de sa fille. Hakim est sommé d’aller la récupérer et Nedjma obtient finalement de l’accompagner.
Mais surprise : Leïla
est introuvable, injoignable. Personne chez elle, inconnue au salon de
coiffure où elle prétendait travailler. Angoisse du père qui s’obstine à
ne pas vouloir comprendre. Peu à peu, il entrevoit une vérité
inacceptable qu'il ne pourra jamais avouer à personne.
"Ma fille" au festival d’Angoulême
Naidra Ayadi et le producteur Maxime Delaunay
L’opposition entre l'univers rural qu'aimait Clavel
et l'univers urbain qu'il avait tendance à fuir, s’est bien atténuée
depuis les années 60. Mais dans un autre domaine, alors que Clavel
traitait le sujet avec beaucoup de pudeur, le film nous entraîne dans
le monde souvent sordide des nuits parisiennes dans des scènes parfois
fort osées qui n'apportent pas grand chose à l'ensemble. On y côtoie des
petits voyous sans grande envergure, une généreuse prostituée dans des
bars louches et des clubs échangistes.
Au-delà de ce que cette histoire révèle de ses faiblesses, l’essentiel réside dans ce père déconcerté par l’effritement des valeurs auxquelles il tenait. Par amour pour ses filles, il parviendra à surmonter ces épreuves pour ne pas s’éloigner d’elles définitivement.
Fait
social, c'est aussi conflit de générations dans une société qui évolue
trop vite pour les parents et où la jeunesse ne trouve pas forcément sa
place. On retrouve ainsi avec quelques variantes, le fil conducteur de Clavel sur les évolutions de la société et le choc des générations.
Naidra Ayadi, Roshdy Zem, Natacha Krief Avec Thierry Ardisson [1]
Notes et références :
[1] C’est Thierry Ardisson qui le premier a eu envie de réadapter le roman de Clavel au cinéma, touché par cette histoire qui lui rappelait son père.
Voir aussi :
► Hommage à Bernard Clavel - Du côté de Guérande - La Courbatière -
► Clavel, Terres de mémoire -- Le lac de Bonlieu --