Référence : Milan kundera, La plaisanterie, éditions Gallimard, 1968, réédition, traduction Marcel Aymonin, préface Louis Aragon, 480 pages, mai 1975
Kundera en 1975
« J'avais plusieurs visages parce que j'étais jeune et que je ne savais pas moi-même qui j'étais et qui je voulais être. »
Une plaisanterie anodine (a priori) qui va coûter cher à Ludvik Jahn,
étudiant tchèque et communiste. C'était pourtant une simple blague
griffonnée sur une carte postale mais son interprétation va l'étiqueter
comme "noir", c'est-à-dire comme "ennemi politique", entraînant son
exclusion du Parti et de l'université, le contraignant s'enrôler dans
l'armée.
Cette phrase, objet du délit, c'est : « L'optimisme est l'opium du genre humain ! L'esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski ! »
Beau second degré qui ne sera pas au goût de tout le monde !
Ainsi se présente le premier roman de Milan Kundera publié en 1967 qui précède ainsi de peu l'apparition du « printemps de Prague », brève libéralisation de la société tchèque, stoppée par La Russie communiste en août 1968. Kundera a démenti le caractère politique de son roman, expliquant qu'il s'agissait d'abord d'une « histoire d’amour », seule façon de faire face à ce qu'il appelle « la désillusion de l’histoire. »
« Vivre dans le vent est un destin de feuille morte. »
Le roman repose sur la convergence de quatre destins. D'abord Ludvik le narrateur, ses amours avec Lucie, et Jaroslav un ex ami qui aime le socialisme et les traditions de son pays morave dont il donne une description détaillée [1]. Puis Helena, femme de Pavel, ex ami de Ludvik, à l'origine de son exclusion du Parti. Ludvik la séduit pour à travers elle, se venger de Pavel et enfin, Kostka, une amie de jeunesse qui est restée croyante.
Après plusieurs années, il va finir par revenir dans son village natal, revoyant les principaux personnages du roman.
D'après les indications de Kundera,
la multiplication des narrateurs correspondrait à l'utilisation d'une
technique musicale, l'imitation, basée sur un thème qui se répète
successivement à travers différentes parties mélodiques.
Kundera
aborde ici, dès son premier roman, des thèmes qui lui seront toujours
chers : l'utilisation de points de vue différents permet de montrer
combien nos a priori perturbent ce qu'on pense des autres. l'amour en
est le meilleur exemple, comme Helena qui "brûle d'amour" pour Ludvik.
C'est aussi le cas de la jeunesse marquée par "la bêtise, l'ignorance et l'esprit de sérieux". Et toute l'histoire de Ludvik n'est en fait que la conséquence on ne peut plus sérieuse de sa plaisanterie.
Ariane Chemin Milan Kundera et Philip Roth
La jeunesse, il la considère comme « le stupide âge lyrique », un âge « où l'on est à ses propres yeux une trop grande énigme pour pouvoir s'intéresser aux énigmes qui sont en dehors de soi et où les autres ne sont que miroirs mobiles dans lesquels on retrouve étonné l'image de son propre sentiment, son propre trouble, sa propre valeur. »
La plaisanterie c’est l’histoire du naufrage d’une vie, d’un homme qui se sent trahi. La trahison est un thème central dont le héros est d’abord victime avant de trahir à son tour les deux femmes, Lucie et Héléna, qui traverseront sa vie, comme des "histoires d'amour risibles", ce qui renvoie à son recueil Risibles amours.
Martine Boyer-Weinmann
Cette image du rejeté était pour lui comme un double qui lui collait à la peau et qu’il était condamné à porter. Il va passer par diverses phases psychologiques, colère et honte dans un premier temps puis la souffrance qui mène à la rancune et à la perte de ses illusions. Il ressent ce besoin incoercible de haïr qui monte en lui.
Ludvik est incapable d’oublier le passé et de continuer de vivre. Son impossible pardon signifie rester dans son cauchemar sans possible évolution. Entre haine et rédemption.
Voir aussi :
[1] Cette description s'explique par la conception du roman de Kundera comme genre pouvant inclure tous les autres genres.
Voir aussi :