Référence : Virginie Despentes, Cher connard, éditions Grasset, 352 pages, août 2022
« Écrire, c'est s'autoriser à prendre la parole à visage découvert. »
Despentes en 2017
Cinq ans qu'elle n'avait rien publié depuis la parution de sa grande fresque en trois volumes intitulée Vernon Subutex. Ça change de tous ceux qui pondent leur roman annuel.
Entre les deux principaux protagonistes, Oscar Jayack et Rebecca Latté, actrice de renom, ça commence mal : les échanges par mail sont vraiment houleux. Oscar Jayack, romancier sur le déclin, flippe fort depuis que son ancienne attachée presse, Zoé Katana, qui s'occupe maintenant d'un blog féministe fort prisé des réseaux sociaux, l'a accusé de harcèlement sexuel.
Despentes avec Philippe Poutou
« On ne peut pas passer des vies entières à ressasser nos enfances ratées. » p 244
Des liens vont cependant se tisser entre eux alors qu'ils n'ont a priori rien en commun, sinon que Rébecca est une copine de sa soeur Corinne. Si Oscar et Rébecca ont quelque chose de commun, c’est d’être accro à toutes les drogues disponibles. Ils pressentent qu’ils sont parvenus au bout de leur expérience, qu’ils doivent se remettre en cause et donner une autre orientation à leur vie.
Despentes avec Béatrice Dalle
Zoé est plus jeune –moins de la trentaine- féministe comme il se doit, et au contraire, ne veut rien pardonner, « la honte, écrit-elle, c'est répondre aimablement à quelqu'un qui mérite une claque dans la gueule. » (p 136), même si elle ne jure que par les réseaux sociaux et paraît aussi vulnérable que les deux autres.
Rebecca Latté, actrice culte et super nana a la cinquantaine inquiète et au début traite Oscar de « cher connard ». Puis les confidences vont peu à peu se préciser et les masques tomber. Mais prévient-elle, « ce n'est pas parce qu'un est lucide qu'on est bienveillant. » (p 121)
« La société est devenue plus prude, l'atmosphère plus réactionnaire. »
On retrouve ici les thèmes favoris de Despentes, la violence des rapports humains, un refus des idéologies qui ont largement échoué, la rapidité des changements qui s'imposent sans espoir de retour. Elle y exprime sa rage à grand renfort de mots crus et d'expressions argotiques, n'a-t-elle pas dit dans une interview à Télérama, « la haine et la colère sont deux énergies très contemporaines que je connais bien. »
Elle dépeint des personnages qui se débrouillent comme ils peuvent, assez paumés dans une société où ils cherchent leur place, confrontés à leurs complexes, leurs angoisses et leurs peurs qu'ils croient maîtriser en se jetant dans les addictions.
Despentes avec Orelsan
Elle se méfie d'un féminisme agressif qui tend les relations sociales, écrivant par exemple « Les gamines d'aujourd'hui, t'as l'impression qu'elles prennent le commissariat pour une résidence secondaire, elles y vont au moindre prétexte. » (p 36)
La nouveauté dans ce roman, c'est l'amitié qui peut arracher les individus à leur solitude et leur peur existentielle. Une amitié qui tient au fait qu'Oscar parvient à se mettre à la place de Zoé, la femme qu'il a harcelée et que Rébecca refuse de se réfugier dans le féminisme ou la sororité.
Bye bye blondie, le film
« Je suis la dernière génération à qui l'on a fait croire qu'en travaillant dur, on pourrait s'élever socialement. »
Cette position n'est pourtant pas nouvelle puisqu'elle disait déjà dans une interview : « Je
crois aux histoires de groupe, exactement comme aux histoires d’amitié
ou d’amour. C’est ce qu’il nous manque le plus aujourd’hui. »
Une déclaration qui est dans le droit fil de ce roman. Le « cher connard » du début, qui est une insulte, se transforme peu à peu en un mot cru d'amitié. Tout réside dans la façon de le dire.
King kong théorie au théâtre
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