Référence : JMG Le Clézio, Avers, "Des nouvelles des indésirables", éditions Gallimard, Collection Blanche, 224 pages, 2023
« Le Clézio réaffirme la valeur inestimable de chaque être, particulièrement des plus déshérités d’entre eux. Émouvant. » Le Monde
JMG Le Clézio aime bien écrire des nouvelles, que ce soit des "novellas", ces grandes nouvelles qu’on retrouve dans des recueils comme Hasard, Tempête ou Chanson bretonne [1] ou ces ensembles de coures textes qu’on retrouve par exemple dans Mondo et autres histoires ou La ronde et autres faits divers. [2]
Dans ce recueil, il nous propose huit textes qui ont en commun des personnages en rupture avec les sociétés occidentales, en recherche d’identité, des indésirables comme il les nomme, condamnés à l’oubli ou à la disparition. Ils symbolisent des valeurs qui n’ont plus cours, le goût de l'aventure, du rire, de la poésie. Et c’est bien de leur servie dont il s’agit.
Le Clézio avait déjà abordé ce thème des "invisibles" dans une nouvelle intitulée Fantômes dans la rue publiée
en 2000. « On passe à côté d'eux, écrivait-il, souvent sans leur jeter
un regard… Exclus, fugueuses, errants, immigrés sans racines…
Dans une de ses nouvelles, il part de son expérience, d'une vieille chanson venue de l'île Maurice, qu'il retrouve du côté de Nice pendant la guerre. « En passant la rivière Taniers, j'ai rencontré une vieille femme… » Il se rappelle cette chanson créole que fredonnait Yaya, fille d’esclave de l’île Maurice. Sa grand-mère aussi la chantait « pour traverser la guerre » disait-elle, dans la cave d’une maison varoise où ils s’étaient réfugiés pendant la guerre pour être à l'abri des bombes. [3]
« Pourquoi les berceuses sont-elles souvent tristes? Est-ce parce que… la vie est dure et mauvaise, violente, terrible ou bien parce que la porte du sommeil s’ouvre sur les cauchemars, sur la solitude ? »
Le Clézio nous donne des indications sur son propos, sans doute pour que tout soit bien clair dans sa démarche d’écrivain : « Pour moi, précise-t-il, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive. »
Derrière ce mot d'indésirable, se trouve tout ce qui tourne autour des problèmes de l'exclusion, du viol et de la guerre auxquels Le Clézio oppose les beautés naturelles. On retrouve ce contraste dans la première nouvelle, la plus importante, qui conte la vie d'une jeune orpheline qui parvient à dépasser une condition peu enviable pour espérer malgré tout.
À l'image de cette première nouvelle, Le Clézio veut nous faire partager la terrible existence d'enfants qui luttent pour leur survie, comme ceux qui se glissent dans les égouts reliant le Mexique aux États-Unis ou ceux qui sont maltraités le long d'un grand fleuve d'Amérique du Sud. Et bien sûr, la guerre n'arrange rien, dans un quelconque pays du Moyen-Orient où les terribles difficultés qu'ils rencontrent se mêlent à la solidarité.
JMG Le Clézio nous donne à voir tous ces invisibles qui peuplent le monde... et ils sont si nombreux. On rencontre ainsi la misère à Rodrigues, une île qu'il connaît bien, à proximité de Maurice, les jeunes traqués entre le Pérou et le Brésil, les terribles conditions de vie des travailleurs marocains ou des indiens du Panama
confrontés aux narcotrafiquants, la divagation de deux frères libanais
pris dans l'étau de la guerre. Autant d'exemples qui pourraient être
multipliés à l'infini.
Complément : un thème central
Ce
thème d'un monde de technique et d'urbanisation forcée qui brime et
oppresse l'être humain est récurrent et même central chez Le Clézio,
puisqu'on le rencontre tout au long de son œuvre. Il dénonce la
violence du monde moderne et de ses conséquences désastreuses, non
seulement sur les plus défavorisés des pays riches mais surtout sur les
populations des pays pauvres rendues souvent encore plus pauvres par les
techniques importées qui déstructurent ces communautés.
Cette violence du monde urbain, on la retrouve dans ses œuvres des années 60-70, en particulier dans Le déluge (1963), Le livre des fuites (1969), La guerre (1970) ou Les géants (1971).
Dans ses œuvres
postérieures, il met plutôt l'accent sur les problèmes de ces
populations, sur le poids de leurs difficultés, souvent au bord d'un
misère physique et morale. Citons en particulier des œuvres comme ses recueils de nouvelles La ronde et autres faits divers (1982), Cœur brûle et autres romances (2002) ou Histoire du pied et autres fantaisies (2011) et ses récits, Poisson d'or (1997), Révolutions (2004) ou Tempête (2014).
Notes et références
[1] Constitués de deux textes : Pour le premier (Hasard et Angoli Mala), pour le deuxième (La Tempête et Une femme sans identité) et pour le troisième (Chanson bretonne et L'enfant et la guerre) ou même Désert, les histoires de Nour et de Lalla.
[2] On
pourrait aussi citer : Printemps et autres saisons (1989), Coeur brûle
et autres romances (2000) ou Histoire de pied et autres fantaisies
(2011)
[3] Voir son récit autobiographique dans sa nouvelle L’enfant et la guerre de son livre Chanson bretonne.
Voir aussi