« Les
hommes sont une espèce entropique, se disent-ils dans leur langage de
caméléons. Donnez-leur-en le temps et ils se détruisent... »
Si elle n'est pas (encore) vraiment connue du grand public, Ananda Devi a déjà une longue carrière derrière elle. On peut citer outre ses recueils de nouvelles et de poésie, des romans primés comme Ève de ses décombres (prix des 5 continents, prix RFO) [1], Le sari vert (prix Louis Guilloux 2010), Le rire des déesses (prix Fémina des lycéens).
Elle a écrit aussi deux ouvrages fortement autobiographiques, Les hommes qui me parlent et Deux malles et une marmite et obtenu en 2023 le prix de la langue française.
Port-Louis, le centre et le théâtre
Cette Mauricienne d'origine indienne situe beaucoup de ses œuvres sur son île ou en Inde
à travers des thèmes comme le multiculturalisme, les rapports humains
et familiaux, l'exil et le déracinement, autant de situations qu'elle a
vécues. Ethnologue et traductrice, elle s'intéresse particulièrement aux notions d'identité, d'altérité et de sororité . Par exemple, Le Sari vert
paru en 2009 repose sur un huis-clos de la fille et la petite-fille
d’un médecin agonisant, dénonçant sans fard les violences faites aux
femmes.
Elle revient sur ces thèmes, en particulier la difficile cohabitation entre tradition et modernité, dans L'Ambassadeur triste composé de onze nouvelles. Cette contradiction, on la retrouve dans L’illusion poétique,
sentiment d'angoisse face à un monde violent et incompréhensible qui
s'oppose à une poésie tenace qui trouve quand même sa place dans cet
environnement.
Dans Les jours vivants, rue Portobello à Londres,
une vieille dame est totalement invisible aux autres, avec un unique
dérivatif : le souvenir d’un amour de jeunesse. Elle revit en
rencontrant Cub, un jeune jamaïcain, prenant sa revanche sur la société qui l'avait rejetée.
Le jour des caméléons
Son roman Le jour des caméléons se situe aussi sur l'île Maurice et met en scène quatre personnages dont les destins vont se rencontrer. La ville connaît une émeute sans précédent. Zigzig
le caïd parcourt les rues avec dans ses bras une fillette qui saigne.
Les pauvres prennent leur revanche sur les riches dans le centre-ville
en détruisant l'emblématique "shopping center".
Quatre personnages dominent la narration. Nandini, épouse effacée du juge Abhi qui va prendre conscience de son aliénation, René, un être sans ressort, pusillanime, qui voudrait passer inaperçu, sa nièce Sara qu'il adore et Zigzig,
un caïd vengeur. Quatre destins pris séparément qui vont pourtant être
confrontés aux événements et au lourd passé de l'île. Trop c'est trop,
trop d'injustices, trop d'exploitation, trop de soleil peut-être... la
révolte est en passe d'embraser l'île.
Pendant ce temps, les caméléons attendent patiemment la fin des hostilités, que leur heure arrive car « ils
ont la patience des bêtes pour qui le temps ne compte pas. Seuls les
hommes pensent pouvoir retarder ou accélérer le temps. Repousser
l'échéance et l'imminence de mort. »
Pour Ananda Devi, sa chère île a été saccagée et ses habitants divisés par les réalités de l'histoire, du colonialisme et du monde moderne.
Une
vision qui n'a rien à voir avec les cartes postales ou les dépliants
des tour-opérateurs, une vision qui complète celle de son compatriote JMG Le Clézio [2], soutenue par un style très personnel, à la fois chatoyant et sans concession.
Notes et références
[1] Un film intitulé "Les enfants de Troumarron", a été tiré de son roman Ève de ses décombres
[2] Voir en particulier de Le Clézio sa "trilogie mauricienne" (La quarantaine, Rodrigues et Le chercheur d'or)
Voir également :