Référence : Ahmet Altan, Madame Hayat, éditions Actes Sud, traduction Julien Lapeyre de Cabanes, 272 pages, septembre 2021
Prix André Malraux 2019
« Une œuvre politique, un hymne à l'amour et une ode à la littérature. »
Grand écrivain turc, Ahmet Altan a écrit des romans tels que « Comme une blessure de sabre » en 2000 ou « L'Amour au temps des révoltes » en 2008 jusqu'à son dernier roman Les Dés
paru en 2023. Il a été emprisonné pour avoir été suspecté de
participation au putsch manqué du 15 juillet 2016, pendant quatre ans à Istanbul.
Ce roman a été écrit pendant son incarcération comme « Je ne reverrai
plus le monde » paru en 2019. D'où ce commentaire du journal Libération : « Madame Ayat est autant un grand roman d’amour qu’une fable sur la valeur de la liberté dans un monde où l’on enferme les poètes. »
Madame Hayat, une cougar, peu-on penser en découvrant sa liaison avec le jeune Fazil qui a rejoint la grande ville pour poursuivre ses études de lettres comme boursier, vit dans une pension cosmopolite comme Gülsüm le "trans". Pour compléter ses revenus, il se produit comme figurant à la télé où il a rencontré cette Madame Hayat, une femme voluptueuse mais qui pourrait être sa mère. Peu de temps après, il rencontre une la jeune fille nommée Sila qui lui plaît également beaucoup.
Même
s’ils ont des caractères fort différents, ils aspirent à vivre leur
histoire dans une grande liberté, dans un pays fort peu tolérant en la
matière.
« Mon corps était en prison, mais pas mon âme. »
Les deux femmes sont vraiment l’opposé l’une de l’autre, un grand attrait sensuel de la part de la quinquagénaire Mme Hayat [1] et la cérébrale jeune étudiante en lettres Sila. Mais en même temps, elles représentent les deux visages du progressisme actuel, Sila qui voudrait fuir et Madame Hayat qui veut rester optimiste même si elle connaît la viduité de l'existence. « J'en
sais bien plus long, dit-elle, que tu n'imagines sur la vie et ses
réalités, comme tu dis. Je sais ce que c'est que la pauvreté, la mort,
le chagrin, le désespoir… »
Je ne reverrai pas le monde
« On
n'apprend pas grand chose sur l'existence, dans les familles heureuses,
je le sais à présent, c'est le malheur qui nous enseigne la vie. » p 31
Le problème est de savoir comment vivre avec la dictature turque et sa féroce répression. Chacun a sa réponse comme Fazil qui se réfugie dans les livres et en fait son espace de liberté : « La littérature était plus réelle que la vie. » (p 51) Quand le corps est soumis à l’arbitraire, reste la liberté de l’esprit et la possibilité de choix qui reste à Fazil.
Lui a la littérature dans la peau, elle a l'intelligence de la vie, véritable allégorie de la liberté : « Madame Hayat
était libre. Sans compromis ni révolte. Libre seulement par désintérêt,
par quiétude, et à chacun de nos frôlements, sa liberté devenait la
mienne. » Et si ce n'était pas une beauté, elle lui plaisait, se rappelant cette phrase de Marcel Proust : « Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination. »
L’approche de l’auteur permet de suivre la démarche de Madame Hayat
juste en décrivant ses gestes et sa façon de se comporter. Il sait
aussi peupler son roman de personnages secondaires intéressants comme
"Le poète" résistant, Gülsüm le travesti amateur de foot, Madame Nermim, la prof de lettres qui va l'aider à réfléchir sur sa condition, Monsieur Kaan prof d'histoire littéraire qui disait : « La littérature est un télescope braqué sur les immensités de l'âme humaine. »
Le thème de la liberté de la femme
Altan le traite à travers deux exemples qu'il oppose : Daisy Miller d'Henry James où Daisy gagne sa liberté à force de défis tandis que les femmes de l'Éducation sentimentale de Flaubert, manipulent et contournent les règles sociales pour se ménager une marge de liberté.
La liberté est pour lui (comme pour Mme Hayat) la
faculté de vivre l'instant présent comme s'il devait se prolonger
indéfiniment, en se délestant du poids du passé et de l'avenir. « Ce noyau du temps qui passe s'affranchissait du passé comme de l'avenir pour devenir la mesure infinie de l'existence. » (p 69)
« Pourquoi les cafards changent soudain de direction au milieu de leur course ? » p 167
* Quid du relatif du "cliché banal" d’un mort que remplace un nouveau-né p 137 --> Réalité basée sur dualité "cliché-hasard" à quid de l’œuvre d’art dans cette réalité.
-- > « La métamorphose de la copulation en l’amour était un cliché (une évidence), le fait que je l’ai découvert avec Mme Hayat était un hasard… » p 217
--> L'ensemble des réalités qui déchirent l'homme tient dans une somme de clichés. Tous les hasards qui nous affectent occultent le fait que nos destins ne sont qu'une suite de clichés. P 265
Approfondir cette réalité, c'est donner un sens à cette quête existentielle.
* La peur de l’avenir, sentiment commun, est étranger à Mme Hayat p 145
--> "absit omen" pour éloigner le mauvais sort p 144
- Le symbole des Talons hauts (Omer Seyfettin) p 158 est un symbole d’ordre (p 167)
- Le changement de comportement des électrons sous des excitations différentes
Antithèse : « la profondeur du lien que cette légèreté peut créer… p 169-70
- Incommunicabilité : « aucun atome ne peut en toucher un autre. Mme
Hayat (p 212) [Méthode Hayat : phrase rébus+histoire
explicative+association d’idées]
Notes et références
[1] C'est une femme aux
cheveux feu et or, à la robe couleur de miel, au parfum de lys, au rire
ravageur et aux rondeurs exhibées. Elle est aussi attachante et
généreuse et initie le jeune homme aux plaisirs, influant sur sa
conception de la vie.
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<< Christian Broussas • Altan Mme Ayat © CJB ° • 13/02/ 2024 >>
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