samedi 7 décembre 2019

Albert Camus Carnets III

Référence : Albert Camus Carnets III, Mars 1951-décembre 1959, éditions Gallimard, collection Blanche, 280 pages, 1989

           
« J'ai mis dix ans à conquérir ce qui me paraît sans prix : un cœur sans amertume. »

La tenue de ces Carnets fut pour Albert Camus une façon de consigner ses réflexions, des extraits de lecture, des ébauches de romans, des anecdotes. Il les tiendra quasiment toute sa vie, de l'âge de vingt-deux ans jusqu'à sa mort et avait prévu leur publication en mettant au propre les notes prises au fil des jours, parfois en style télégraphique.
Mais ils ne parurent qu’après sa mort, repris par sa femme Francine Camus et Roger Quilliot, auteur d’un remarquable essai sur Camus intitulé La mer et les prisons, les deux premiers en 1962 et 1964, supervisés par les amis Jean Grenier et René Char

Le tome I paru en 1962 couvre la période  mai 1935-février 1942 et contient des notations sur Noces, La Mort heureuse, L'Étranger, Le Mythe de Sisyphe ou Caligula. Le tome II qui va de janvier 1942 à mars 1951, rassemble des textes allant de la période de "L’Étranger" à "L'Homme Révolté" en passant par "La Peste".

Si Camus considérait plutôt les deux premiers comme des instruments de travail, le dernier est constitué aussi de notations plus intimes, apparaissant quelque peu décousu, fait d’éléments épars, parfois de quelques lignes ou d'une seule phrase. On voit mieux l’homme et son environnement avec sa famille, ses amis, des allusions aux courriers qu’ils échangent, ses engagements toujours nombreux, l'avancement de ses livres et ce temps qui lui file entre les doigts.

Il est ainsi possible de suivre l’évolution de son état d'esprit, parfois plus serein, parfois plombé par les difficultés, comme cette réflexion désabusée : « Trois ans pour faire un livre, cinq lignes pour le ridiculiser et des citations fausses, » et qui, comme souvent, doute de son talent, de sa vocation car écrit-il « les doutes, c’est ce que nous avons de plus intime. »

              
                                   Avec Mett Ivers et les Gallimard à Lausanne 31/10/1959

Il balance souvent entre optimisme et pessimisme, alternant réflexions lucides du genre « j'ai toujours pensé que si l'homme qui espérait dans la condition humaine était un fou, celui qui désespérait des événements était un lâche » et sans illusions car « si l'homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. » 

Dans la période couverte par le tome III, entre 1951 et 1959, Albert Camus écrit L’Été, La Chute, L’Exil et le royaume. On suit ses réactions suite aux polémiques déclenchées par la publication de L’Homme révolté, à la tragédie de la guerre d’Algérie, ses voyages en Italie,  en Grèce et à Stockholm pour la réception de son  prix Nobel… On y décèle son désir d’harmonie, malgré toutes les difficultés, « à travers les chemins les plus raides, les désordres, les luttes ».‎
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Du 9 juin au 6 juillet 1958, il est en Grèce avec les Gallimard et quelques amis. Après la visite d'Athènes, de l'Acropole et de Rhodes, il se laisse porter d'île en île au gré des flots et des îles visitées, Kos. Psameros, Kalimnos, Patmos, Samos, Chios, Mytilène... et retour par Corinthe et Olympie. C'est pendant ce voyage que paraît Actuelles III qu'il titra finalement Chroniques algériennes, choix d'articles sur l'Algérie, des premiers au temps d'Alger-Républicain aux plus récents. En quelque sorte, son testament sur l'Algérie, après il n'aura rien à ajouter qui pût apporter une aide quelconque à une solution raisonnable.
Ce qu'on ne manqua pas de lui reprocher...

La une de Combat

L’année 1959 –sa dernière année- est d’abord consacrée à son adaptation des Possédés de Dostoïevski : articles et interviews se succèdent avec comme point d’orgue la Première le 30 janvier. En mars, il est à Alger au chevet de sa mère malade.

À partir de fin avril, il sera souvent à Lourmarin où il prend des notes pour une adaptation de Macbeth de Shakespeare et surtout s’attelle à l’écriture du Premier homme qu’il espère mener à bien en huit mois. Il se dit alors sous le signe de « la solitude et de la frugalité. » Son activité ne sera guère entrecoupée que par un voyage à Venise début juillet puis par la préparation des fêtes de fin d’année qu’il passera avec Francine et les jumeaux ainsi qu’avec la famille Gallimard remontant de la Côte d’azur avant de regagner Paris où il n’arriveront jamais.

Les notations contiennent parfois cette touche de lyrisme qu’on trouve dans ses récits et traduisent assez souvent son humeur, comme cette phrase écrite au fil de la plume : « Chaque matin quand je sors sur cette terrasse, encore un peu ivre de sommeil, le chant des oiseaux me surprend, vient me chercher au fond du sommeil, et vient toucher une place précise pour y libérer d’un coup une sorte de joie mystérieuse. Depuis deux jours il fait beau et la belle lumière de décembre dessine devant moi les cyprès et les pins retroussés. »
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On pourrait choisir d’autres exemples, simples notations comme « j'aime les petits lézards aussi secs que les pierres où ils courent. Ils sont comme moi, d'os et de peau » en juin 1959 ou plus mélancoliques comme « certains soirs dont la douceur se prolonge. Cela aide à mourir de savoir que de tels soirs reviendront sur la terre après nous. »
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Le Vaucluse et Lourmarin l’inspirent aussi beaucoup, il s’y sent bien, loin de Paris et du "microcosme", quand il écrit « Vaucluse. La lumière du soir devient fine et dorée comme une liqueur et vient dissoudre lentement ces cristaux douloureux dont parfois le cœur est blessé » ou quand il arrive chez lui, même s’il a plu et qu’il est fatigué, « 28 avril 59. Arrivée Lourmarin. Ciel gris. Dans le jardin merveilleuses roses alourdies d'eau, savoureuses comme des fruits. Les romarins sont en fleurs. Promenade et dans le soir le violet des iris fonce encore. Rompu. » 

Parfois aussi, se laissant aller à une certaine amertume comme cette confidence de mai 1959 : « le théâtre au moins m'aide. La parodie vaut mieux que le mensonge : elle est plus près de la vérité qu'elle joue. »
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« Rien n'est plus méprisable que le respect fondé sur la crainte.  » (Carnets II)
« Vieillir, c'est passer de la passion à la compassion.  » (Carnets II)
« La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité.  » (Carnets III)

Année 1959 : les 3 séjours à Lourmarin
- séjour 1 : du 28/04 au 28/05
- séjour 2 : du 9/08 au 2/09
- séjour 3 : du 14/11 au 3/01/1960

Voir aussi
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Camus au jour le jour en 1958 et en 1959 -
* Présentation des Carnets -- Le cahier VIII des Carnets III -
* Le voyage en Grèce dans les Carnets -

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