Référence : Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, éditions Philippe Rey, août 2021, Prix Goncourt 2021, Prix transfuge du meilleur roman de langue française 2021
« Hypothèse : le revers du paradis n'est pas l'enfer mais la littérature. » p 111
Voilà un texte dense où l'auteur nous entraîne dans les arcanes de la vie d'un homme peu loquace, mystérieux, adepte de la formule de Wittgenstein « sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. » Un homme dont Laëtitia Favro dans Lire, écrit que « Son
inventivité, son audace et l’intransigeance de sa langue font de ce
livre, qui confronte nécessités de vivre et d’écrire, une déclaration
d’amour à la littérature. »
En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 intitulé Le Labyrinthe de l’inhumain. Mais on sait peu de choses de ce roman et encore moins de son auteur T.C. Élimane évaporé dès sa parution.
Mais Diégane, fasciné par ce texte, veut en savoir plus sur celui que certains surnommèrent le « Rimbaud nègre ». Du Sénégal à la France puis en Argentine, il traque une vérité qui sans doute se situe au centre de ce labyrinthe.
« Tous les grands textes sont des épitaphes possibles du monde. » p 519
En parallèle à son enquête qui le passionne, Diégane fréquente un groupe d’écrivains africains en exil à Paris et rencontre deux femmes qui l'intriguent autant qu'il les admire : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda on il tombe rapidement amoureux et le quittera pour vivre sa vie de reporter, ce qui lui laissera une plaie indélébile.
Depuis que Le Labyrinthe de l’inhumain commence à être
connu, les langues se délient et les journalistes rivalisent de talents
pour gloser sur ce texte et accuser son auteur de plagiat. Diégane poursuit son enquête jusqu'à Amsterdam.
« Le lieu du plus profond mal conserve toujours un fragment de la vérité. » p 518
Siga D, son amie haïtienne et d'autres vont partir sur la piste d'Élimane, faire un détour par l'Argentine où il a longtemps vécu pour revenir à ses racines africaines. Son secret, les causes de son errance aussi, se cachent par là-bas au Sénégal, dans les horreurs de la guerre où il fut tout enfant confronté à ses horreurs. L'inoubliable, ce qui empêche de vivre, hypothèque une vie entière.
Chez lui, dans son village natal, on ne le connaît pas sous son nom musulman d'Élimane mais sous son nom africain Magad, "celui qui voit". C'est la dernière femme de son père Maam Dib qui fait cette confidence à Diégane.
À propos de l’interview du Cercle Afrique Alumni (extraits)
« Marguerite Duras…
se demandait à quoi bon écrire quelque chose si on savait à l’avance ce
qu’on devait écrire. Je ne fais donc jamais d’architecture préalable.
Écrire, c’est aussi un travail de mémoire qui met en jeu un rapport très
fort au temps, à ce que le temps fait du récit. »
En ce qui concerne l’écriture et l’engagement, il dit être revenu de « la mythologie de l’engagement de l’écrivain », bien que ses trois premiers livres peuvent être considérés comme "engagés". Mais il existe aussi une responsabilité du lecteur dans la définition de cet engagement. Car celui de l’auteur n’est jamais absolu, conditionné par la sensibilité du lecteur. Il n’existe en fait qu’un certain nombre de thèmes « qui peuvent toucher un lecteur. Du reste, l’engagement ne dit rien de la qualité littéraire d’un livre. »
Définir
a priori la fonction d’un écrivain à partir d’une société est une
illusion. C’est en pratiquant l’écriture que l’écrivain découvre pas à
pas sa tâche, sa fonction, son objectif. Livre après livre, il a trouvé
sa voie, ce qu’il voulait vraiment écrire, basée sur des problématiques
intimes, non selon une demande sociale. « L’écrivain se confronte
à sa part de narcissisme, à ce qui l’alourdit. Je ne veux pas
convaincre le lecteur sur un sujet de société, mais activer des
réflexions. »
Dans une interview [1], Mohamed Mbougar Sarr révèle que deux écrivains l'ont inspiré dans l'écriture de ce livre. D'abord Yembo Ouologuem, célébré, accusé de plagiat (lui aussi) et abandonné de tous puis Roberto Balaño chez qui il retrouve ses interrogations en particulier sur l'engagement littéraire. Chacun d'eux représentent "l'une des veines de mon livre".
Précisions de vocabulaire
* Involucré : corrompu - Térébrante : qui semble s'enfoncer comme une pointe -
* Épillet : piquant de graminée -- Péléen : volcan formé d'aiguilles rocheuses --
* Entéléchie (p 58) : état de ce qui a été réalisé (Aristote) --
* Ressui : séchage de pelage pour un gibier - Cantilène : chant lyrique, mélancolique -
* Gamahucher : exciter une zone érogène -- Épectase : décès après l'amour--
* Schibbileth : mot/phrase propre à un groupe -- Lévirat : mariage du frère d'un défunt avec sa veuve -- Cinamme : cf camphrier & cannelier --
Voir aussi
[1] Voir le site WakatSéra --
* Interview --
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<< Christian Broussas, Sarr - 19/06/2024 © • cjb • © >>
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