Vie de Henry Brulard : autobiographie de Stendhal
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Sa maison natale la maison du grand-père Gagnon
Voilà une autobiographie originale [1] visant le «connais-toi toi-même» d'un homme, Stendhal alias Henry Brulard [2], qui au seuil de ses 50 ans, se pose cette question : « Qu'ai-je donc été ? » et entreprend de marcher sur les traces de son passé -en fait il ne dépassera pas l'année 1800- de traquer son ombre dans les arcanes de son enfance et de sa vie de jeune homme. [3]
Avec lui, pas d'enfant pur perverti par la société mais le conflit œdipien au cœur de sa relation parentale, «cet âge, grâce à mon père... n'a été pour moi qu'une suite de douleurs amères de de dégouts. » Sa mère dont il écrit qu'il était amoureux, il l'a perd à 7 ans sans améliorer ses relations paternelles. Il trouve ses désirs brimés, réprimés, lui si sensible, et même à la sensibilité exacerbée, dans un milieu où l'on doit justement cacher ses sentiments. Sourde guerre avec la tante Séraphie, gardienne du sérail. A 9 ou 10 ans, il se dit «dévoré par un tempérament de feu» alors qu'on «évite de lui dire le fin mot. » Tout ce qui touche à son père est aussitôt l'objet de sa haine, l'abbé Raillane et par là même la religion, sa petite sœur Zénaïde, objet des attentions du père et surtout la tante Séraphie, soupçonnée d'occuper la place de sa mère, «je me figurais un plaisir délicieux à serrer dans mes bras cette ennemie acharnée. » Pour mieux l'étouffer sans doute ou par un sentiment retourné de profanation.
La figure du père, encore dévalorisée quand il connaît la prison en 1793, se répercute dans la joie qu'il eut à la mort de Louis XVI, sa grande connaissance historique des assassins de princes. Contre le père, Stendhal plébiscite sa famille matrimoniale, le grand-père Gagnon qui va l'influencer, né à Avignon où paraît-il «les oranges poussaient en terre. » [4] image évocatrice de la Provence qui a déjà le goût de sa chère Italie. Comme ce grand-père Brulard dont il emprunte le nom, il se trouve laid, accentuant encore ce trait, grimaçant volontiers, «je ris souvent des mines que je fais quand je suis seul. » Rien ne peut être effacé de la mort de sa mère en couches -donc de la faute du père- et du choix malheureux du médecin, d'après Stendhal. Son antidote, c'est la lecture, l'écriture dans le salon de sa mère au début, «tranquille dans le salon silencieux où était le beau meuble brodé par ma pauvre mère, je commençai à travailler avec plaisir. »
Comme sa mère était excellente dessinatrice, il s'initie au dessin, imite la signature de son père. Il revit cette scène quand il l'a décrit dans cette autobiographie, comme il dessine certains lieux de son enfance comme une sorte de raccourcis, de litote. [5] Introspection bien sûr, comme il le précise au début du livre, «je vais avoir 50 ans, il serait bien temps de me connaître » mais aussi reconstitution avec le plus de détails possible de son passé et les circonstances des événements qui l'ont marqué.
On retrouve souvent dans son œuvre des références à la peinture comme ici avec l'évocation de la transfiguration de Raphaël. Le dessin sous toutes ses formes l'inspire, se souvenant par exemple des illustrations d'un livre, [6] «ce voyage avait des gravures, de là son influence immense sur mon éducation.» Il sait qu'il ne pourra transcrire son enfance dans sa profonde réalité, dans ce qu'elle a été vraiment, sans reconstruction de la mémoire. Si elle est nette pour les événements du quotidien, défaille soudain quand la séquence se fait plus rapide et laisse place à l'émotion. Ainsi en est-il de la fin d'une scène avec la tante Séraphie, sa bête noire, après qu'il eût brandi une chaise pour se protéger, son duel au pistolet au temps de l'Ecole centrale, «je ne sais plus comment on ne fit feu» écrit-il de façon laconique, ou comment il fut délivré de la tyrannie de l'abbé Raillane car précise-t-il, «je n'ai aucune mémoire des époques ou des moments où j'ai senti trop vivement.» De même il diffère plusieurs fois à travers des digressions, la relation d'événements importants, que ce soit le récit de sa naissance ou celui de la mort de sa mère.
Cette propension à la procrastination explique qu'il ne parvienne pas dans cette quête de lui-même à dépasser l'année 1800. Ce n'est plus alors un 'trou de mémoire' mais la peur de revivre un vécu dramatique. Il fait mine de s'en étonner, «me voici page 501 [7]et je ne suis pas encore sorti de Grenoble !» Ces sauts d'images de sa biographie, cette discontinuité dans la chronologie, Stendhal l'admet volontiers, «quel âge pouvais-je avoir alors ?» se demande-t-il, refusant de compulser des livres ou des archives. [8] Le manuscrit brut et inachevé donne une grande fraîcheur au récit fait de nombreux renvois et schémas, de digressions, de parenthèses [9] autant d'indications intégrées au texte de sa narration.
Dr Henri Gagnon, son grand-père Chérubin Beyle, son père
Tous ces éléments donnent maintes indications, où fut écrit tel chapitre par exemple et dans quelles conditions... Ceci introduit une distanciation par rapport à son désir de tracer son profil de vie, comme dans cette profondeur de vue, «cette vue magnifique » que Stendhal aperçoit à Rome du sommet du Janicule par une belle matinée du 16 octobre 1832. Cette distance lui permet aussi de combler dans une large mesure les béances de sa mémoire. Son objectif, la connaissance de lui-même, se décline en remontant dans son enfance, posture qui agit en révélateur, «un manuscrit palimpseste » disait Gérard de Nerval. Et pourtant, il ne parviendra pas à revivre les moments décisifs. Sa confession restera ainsi parcellaire, fragmentaire, le manuscrit inachevé. C'est ainsi que sa relation à l'argent est liée à son père, cet esprit comptable qu'il lui reproche car pour lui, «en avoir (de l'argent) ne me fait aucun plaisir, en manquer un vilain malheur. » Il lui faudra deux ans de tâtonnements pendant lesquels il se perdra dans la vie parisienne, période heureuse certes pour lui mais où il n'écrira guère que quelques scènes des Chroniques italiennes, pour qu'il se lance dans l'écriture de La Chartreuse de Parme.
Stendhal et Pauline Beyle sa sœur
L'anticléricalisme qu'il confesse provient de son univers familial, la tyrannie de l'abbé Raillane et les positions ultras et cléricales d'un père qu'il rejette et il lira d'abord Voltaire dans la bibliothèque de son grand-père Gagnon. [10] «Mes parents, comme les rois d'aujourd'hui, voulaient que la religion maintînt en soumission et moi je ne respirais que révolte. [...] Tout ce qu'était tyrannie me révoltait et je n'aimais pas le pouvoir.» [11] Ce sentiment "à l'espagnol" comme il l'appelle, lui vient de sa tante Élisabeth [12] L'injustice le révoltait, comme quand son père lui fait des promesses qu'il ne tient qu'en partie et déclenche chez lui un vif sentiment de frustration. [11] D'Élisabeth, il a hérité aussi son horreur de l'hypocrisie, son caractère entier qui l'ont longtemps desservi, lui fait condamner ce qui est bas et priser la générosité, «ma tante Séraphie m'avait donné (pour l'hypocrisie) une horreur qui m'a bien nui.» [11]
Son amour rentré pour une jeune actrice mademoiselle Kubly l'incite à penser que, pour l'amour en tout cas, il a «le tempérament mélancolique de Cabanis.» Cette "noblesse d'âme" qu'il se reconnaît lui joue des tours, le conduit à une timidité excessive envers aussi bien les femmes que ses camarades ou son professeur, fait de lui un enfant «présomptueux et méprisant.»
Stendhal dresse de lui-même un portrait peu flatteur, en tout cas pour sa jeunesse, recherchant par vanité les éloges de ses professeurs, ferraillant pour être reconnu, bonne élève, plaisant rarement aux gens qui lui plaisaient, s'interdisant par orgueil de proposer ses pièces de théâtre. Il raille sa suffisance, «je me croyais du génie -où diable avais-je puisé cette idée ?- Du génie pour le métier de Molière et de Rousseau.» Cette appétence, il le constate, le tient depuis 46 ans au moment il écrit cette auto biographie, où son idéal est «de vivre à Paris, dans un quatrième étage, écrivant un drame ou un livre.» [13] C'est la vérité pure qu'il recherche dans l'étude des mathématiques, vérité première qui devrait permettre de tout expliquer, savoir par exemple pourquoi un signe "plus" vaut deux signes "moins". A ce jeu, il devint très fort et remporta plusieurs prix.
Angela Pietragrua, la "catin sublime"Victorine Mounier Matilde Viscontini Dembowski
Se promenant dans Paris, déplorant "l’absence de montagnes", il reconnaît que « la sagacité qui n’a jamais été mon fort me manquait tout à fait […] je marchais fièrement aux plus grands périls. Je suis encore ainsi aujourd’hui. »(page 377) Mais aussi, qu’il doit « une petite statue à la "fortune" » précise-t-il en apprenant qu’il ne serait pas nommé adjoint aux commissaires des guerres. Voilà qui eût scellé son destin de haut fonctionnaire et perdu ses ambitions d’écrivain ! Il confesse que déjà il pensait plus « à Hamlet et au Misanthrope qu’à la vie réelle. » Mais la vie à Paris qu’il mena entre novembre 1799 et mai 1800 se termine pour le moment. Pour des raisons professionnelles, il suit l’armée de réserve à Dijon, Genève et enfin Milan où il s’établit Casa d’Adda, Porta Nova.
Quel bonheur fut pour lui de découvrir l'Italie!« A Etroubles où nous couchâmes, ou à Saint-Oyen, mon bonheur fut extrême... [...] Je me dis : je suis en Italie, c'est-à-dire dans le pays de la Zelietta que Jean-Jacques Rousseau trouva à Venise, en Piémont dans le pays de Mme Bazine.» [14]
Avec Martial qui l’accompagne, il a une grande connivence, même si écrit-il, « c’est un homme médiocre, au-dessous du médiocre si vous voulez mais bon et gai, ou plutôt heureux de lui-même. » Mais peu importe au fond car il ne sait comment décrire la joie indicible qu’il éprouve en l’Italie et à Milan en particulier. Milan, « j’y ai passé quelques mois de 1800, ce fut le plus beau temps de ma vie. […] J’y revins tant que je pus en 1801 et 1802, étant en garnison à Brescia et à Bergame, et enfin j’y ai habité par choix de 1815 à 1821. »
Le musée Stendhal La journée des tuiles à Grenoble le 7 juin 1788 dt il a été témoin
Quelques repères et citations
«Un roman est comme un archet, la caisse du violon qui rend les sons, c'est l'âme du lecteur.» (page 180)
«Je n'ai de prétention à la véracité qu'en ce qui touche mes sentiments, quant aux faits, j'ai toujours eu peu de mémoire.» «Je n'ai aucune mémoire des époques ou des moments où j'ai senti trop vivement» (page 115)
«Malgré mes opinions républicaines, mes parents m'avaient communiqué leurs goûts aristocratiques et réservés. Ce défaut m'est toujours resté...» (page 161)
« Après tout me dis-je, je n’ai pas mal occupé ma vie, occupé ! Ah ! C’est-à-dire que le hasard ne m’a pas donné trop de malheurs, car en vérité ai-je dirigé le moins du monde ma vie ? » (page 28)
« Tous mes "pourquoi", toutes mes explications peuvent être très fautives. Je n’ai que des images fort nettes, toutes mes explications me viennent en écrivant ceci, 45 ans après les événements. » (page 66)
Notes et références
La carrière "napoléonienne" de Stendhal
Stendhal à Lyon, C. Broussas
<<<<<< Christian Broussas - Feyzin - 2 janvier 2013 - <<<< ©• cjb •© >>>>>
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Sa maison natale la maison du grand-père Gagnon
Voilà une autobiographie originale [1] visant le «connais-toi toi-même» d'un homme, Stendhal alias Henry Brulard [2], qui au seuil de ses 50 ans, se pose cette question : « Qu'ai-je donc été ? » et entreprend de marcher sur les traces de son passé -en fait il ne dépassera pas l'année 1800- de traquer son ombre dans les arcanes de son enfance et de sa vie de jeune homme. [3]
Avec lui, pas d'enfant pur perverti par la société mais le conflit œdipien au cœur de sa relation parentale, «cet âge, grâce à mon père... n'a été pour moi qu'une suite de douleurs amères de de dégouts. » Sa mère dont il écrit qu'il était amoureux, il l'a perd à 7 ans sans améliorer ses relations paternelles. Il trouve ses désirs brimés, réprimés, lui si sensible, et même à la sensibilité exacerbée, dans un milieu où l'on doit justement cacher ses sentiments. Sourde guerre avec la tante Séraphie, gardienne du sérail. A 9 ou 10 ans, il se dit «dévoré par un tempérament de feu» alors qu'on «évite de lui dire le fin mot. » Tout ce qui touche à son père est aussitôt l'objet de sa haine, l'abbé Raillane et par là même la religion, sa petite sœur Zénaïde, objet des attentions du père et surtout la tante Séraphie, soupçonnée d'occuper la place de sa mère, «je me figurais un plaisir délicieux à serrer dans mes bras cette ennemie acharnée. » Pour mieux l'étouffer sans doute ou par un sentiment retourné de profanation.
La figure du père, encore dévalorisée quand il connaît la prison en 1793, se répercute dans la joie qu'il eut à la mort de Louis XVI, sa grande connaissance historique des assassins de princes. Contre le père, Stendhal plébiscite sa famille matrimoniale, le grand-père Gagnon qui va l'influencer, né à Avignon où paraît-il «les oranges poussaient en terre. » [4] image évocatrice de la Provence qui a déjà le goût de sa chère Italie. Comme ce grand-père Brulard dont il emprunte le nom, il se trouve laid, accentuant encore ce trait, grimaçant volontiers, «je ris souvent des mines que je fais quand je suis seul. » Rien ne peut être effacé de la mort de sa mère en couches -donc de la faute du père- et du choix malheureux du médecin, d'après Stendhal. Son antidote, c'est la lecture, l'écriture dans le salon de sa mère au début, «tranquille dans le salon silencieux où était le beau meuble brodé par ma pauvre mère, je commençai à travailler avec plaisir. »
Comme sa mère était excellente dessinatrice, il s'initie au dessin, imite la signature de son père. Il revit cette scène quand il l'a décrit dans cette autobiographie, comme il dessine certains lieux de son enfance comme une sorte de raccourcis, de litote. [5] Introspection bien sûr, comme il le précise au début du livre, «je vais avoir 50 ans, il serait bien temps de me connaître » mais aussi reconstitution avec le plus de détails possible de son passé et les circonstances des événements qui l'ont marqué.
On retrouve souvent dans son œuvre des références à la peinture comme ici avec l'évocation de la transfiguration de Raphaël. Le dessin sous toutes ses formes l'inspire, se souvenant par exemple des illustrations d'un livre, [6] «ce voyage avait des gravures, de là son influence immense sur mon éducation.» Il sait qu'il ne pourra transcrire son enfance dans sa profonde réalité, dans ce qu'elle a été vraiment, sans reconstruction de la mémoire. Si elle est nette pour les événements du quotidien, défaille soudain quand la séquence se fait plus rapide et laisse place à l'émotion. Ainsi en est-il de la fin d'une scène avec la tante Séraphie, sa bête noire, après qu'il eût brandi une chaise pour se protéger, son duel au pistolet au temps de l'Ecole centrale, «je ne sais plus comment on ne fit feu» écrit-il de façon laconique, ou comment il fut délivré de la tyrannie de l'abbé Raillane car précise-t-il, «je n'ai aucune mémoire des époques ou des moments où j'ai senti trop vivement.» De même il diffère plusieurs fois à travers des digressions, la relation d'événements importants, que ce soit le récit de sa naissance ou celui de la mort de sa mère.
Cette propension à la procrastination explique qu'il ne parvienne pas dans cette quête de lui-même à dépasser l'année 1800. Ce n'est plus alors un 'trou de mémoire' mais la peur de revivre un vécu dramatique. Il fait mine de s'en étonner, «me voici page 501 [7]et je ne suis pas encore sorti de Grenoble !» Ces sauts d'images de sa biographie, cette discontinuité dans la chronologie, Stendhal l'admet volontiers, «quel âge pouvais-je avoir alors ?» se demande-t-il, refusant de compulser des livres ou des archives. [8] Le manuscrit brut et inachevé donne une grande fraîcheur au récit fait de nombreux renvois et schémas, de digressions, de parenthèses [9] autant d'indications intégrées au texte de sa narration.
Dr Henri Gagnon, son grand-père Chérubin Beyle, son père
Tous ces éléments donnent maintes indications, où fut écrit tel chapitre par exemple et dans quelles conditions... Ceci introduit une distanciation par rapport à son désir de tracer son profil de vie, comme dans cette profondeur de vue, «cette vue magnifique » que Stendhal aperçoit à Rome du sommet du Janicule par une belle matinée du 16 octobre 1832. Cette distance lui permet aussi de combler dans une large mesure les béances de sa mémoire. Son objectif, la connaissance de lui-même, se décline en remontant dans son enfance, posture qui agit en révélateur, «un manuscrit palimpseste » disait Gérard de Nerval. Et pourtant, il ne parviendra pas à revivre les moments décisifs. Sa confession restera ainsi parcellaire, fragmentaire, le manuscrit inachevé. C'est ainsi que sa relation à l'argent est liée à son père, cet esprit comptable qu'il lui reproche car pour lui, «en avoir (de l'argent) ne me fait aucun plaisir, en manquer un vilain malheur. » Il lui faudra deux ans de tâtonnements pendant lesquels il se perdra dans la vie parisienne, période heureuse certes pour lui mais où il n'écrira guère que quelques scènes des Chroniques italiennes, pour qu'il se lance dans l'écriture de La Chartreuse de Parme.
Stendhal et Pauline Beyle sa sœur
L'anticléricalisme qu'il confesse provient de son univers familial, la tyrannie de l'abbé Raillane et les positions ultras et cléricales d'un père qu'il rejette et il lira d'abord Voltaire dans la bibliothèque de son grand-père Gagnon. [10] «Mes parents, comme les rois d'aujourd'hui, voulaient que la religion maintînt en soumission et moi je ne respirais que révolte. [...] Tout ce qu'était tyrannie me révoltait et je n'aimais pas le pouvoir.» [11] Ce sentiment "à l'espagnol" comme il l'appelle, lui vient de sa tante Élisabeth [12] L'injustice le révoltait, comme quand son père lui fait des promesses qu'il ne tient qu'en partie et déclenche chez lui un vif sentiment de frustration. [11] D'Élisabeth, il a hérité aussi son horreur de l'hypocrisie, son caractère entier qui l'ont longtemps desservi, lui fait condamner ce qui est bas et priser la générosité, «ma tante Séraphie m'avait donné (pour l'hypocrisie) une horreur qui m'a bien nui.» [11]
Son amour rentré pour une jeune actrice mademoiselle Kubly l'incite à penser que, pour l'amour en tout cas, il a «le tempérament mélancolique de Cabanis.» Cette "noblesse d'âme" qu'il se reconnaît lui joue des tours, le conduit à une timidité excessive envers aussi bien les femmes que ses camarades ou son professeur, fait de lui un enfant «présomptueux et méprisant.»
Stendhal dresse de lui-même un portrait peu flatteur, en tout cas pour sa jeunesse, recherchant par vanité les éloges de ses professeurs, ferraillant pour être reconnu, bonne élève, plaisant rarement aux gens qui lui plaisaient, s'interdisant par orgueil de proposer ses pièces de théâtre. Il raille sa suffisance, «je me croyais du génie -où diable avais-je puisé cette idée ?- Du génie pour le métier de Molière et de Rousseau.» Cette appétence, il le constate, le tient depuis 46 ans au moment il écrit cette auto biographie, où son idéal est «de vivre à Paris, dans un quatrième étage, écrivant un drame ou un livre.» [13] C'est la vérité pure qu'il recherche dans l'étude des mathématiques, vérité première qui devrait permettre de tout expliquer, savoir par exemple pourquoi un signe "plus" vaut deux signes "moins". A ce jeu, il devint très fort et remporta plusieurs prix.
Angela Pietragrua, la "catin sublime"Victorine Mounier Matilde Viscontini Dembowski
Se promenant dans Paris, déplorant "l’absence de montagnes", il reconnaît que « la sagacité qui n’a jamais été mon fort me manquait tout à fait […] je marchais fièrement aux plus grands périls. Je suis encore ainsi aujourd’hui. »(page 377) Mais aussi, qu’il doit « une petite statue à la "fortune" » précise-t-il en apprenant qu’il ne serait pas nommé adjoint aux commissaires des guerres. Voilà qui eût scellé son destin de haut fonctionnaire et perdu ses ambitions d’écrivain ! Il confesse que déjà il pensait plus « à Hamlet et au Misanthrope qu’à la vie réelle. » Mais la vie à Paris qu’il mena entre novembre 1799 et mai 1800 se termine pour le moment. Pour des raisons professionnelles, il suit l’armée de réserve à Dijon, Genève et enfin Milan où il s’établit Casa d’Adda, Porta Nova.
Quel bonheur fut pour lui de découvrir l'Italie!« A Etroubles où nous couchâmes, ou à Saint-Oyen, mon bonheur fut extrême... [...] Je me dis : je suis en Italie, c'est-à-dire dans le pays de la Zelietta que Jean-Jacques Rousseau trouva à Venise, en Piémont dans le pays de Mme Bazine.» [14]
Avec Martial qui l’accompagne, il a une grande connivence, même si écrit-il, « c’est un homme médiocre, au-dessous du médiocre si vous voulez mais bon et gai, ou plutôt heureux de lui-même. » Mais peu importe au fond car il ne sait comment décrire la joie indicible qu’il éprouve en l’Italie et à Milan en particulier. Milan, « j’y ai passé quelques mois de 1800, ce fut le plus beau temps de ma vie. […] J’y revins tant que je pus en 1801 et 1802, étant en garnison à Brescia et à Bergame, et enfin j’y ai habité par choix de 1815 à 1821. »
Le musée Stendhal La journée des tuiles à Grenoble le 7 juin 1788 dt il a été témoin
Quelques repères et citations
«Un roman est comme un archet, la caisse du violon qui rend les sons, c'est l'âme du lecteur.» (page 180)
«Je n'ai de prétention à la véracité qu'en ce qui touche mes sentiments, quant aux faits, j'ai toujours eu peu de mémoire.» «Je n'ai aucune mémoire des époques ou des moments où j'ai senti trop vivement» (page 115)
«Malgré mes opinions républicaines, mes parents m'avaient communiqué leurs goûts aristocratiques et réservés. Ce défaut m'est toujours resté...» (page 161)
« Après tout me dis-je, je n’ai pas mal occupé ma vie, occupé ! Ah ! C’est-à-dire que le hasard ne m’a pas donné trop de malheurs, car en vérité ai-je dirigé le moins du monde ma vie ? » (page 28)
« Tous mes "pourquoi", toutes mes explications peuvent être très fautives. Je n’ai que des images fort nettes, toutes mes explications me viennent en écrivant ceci, 45 ans après les événements. » (page 66)
Notes et références
- ↑ Étude effectuée à partir du livre autobiographique de Stendhal "Vie de Henry Brulard", édition Folio classique de Gallimard de 1973, 500 pages, avec une préface "La vie de Henry Brulard ou de l'œdipe à l'écriture" de Béatrice Didier
- ↑ Oncle ou grand-oncle Brulard : il s’agirait d’un frère du grand-père paternel de Stendhal, cordelier du couvent de Saint-François à Grenoble (cf renvoi page 461
- ↑ Pour sa biographie postérieure à 1800, voir son "Journal"
- ↑ Voir Bellemin-Noël, "Le motif des orangers dans la Chartreuse de Parme", la Revue Littéraire, février 1972
- ↑ Son autobiographie est effectivement truffée de petits plans pour mieux visualiser les détails de ses explications
- ↑ Il fait allusion à "Voyage de Bruce en Nubie et en Abyssinie"
- ↑ Il s'agit bien sûr de la page 501 du manuscrit, les premières versions posthumes publiées étant d'ailleurs toutes incomplètes
- ↑ Voir en particulier les chapitres 31 et 33
- ↑ En particulier dans leur valeur actualisante, voir par exemple les chapitres 13 et 41 pour les références à Julien Sorel
- ↑ «L'ensemble de la bibliothèque paternelle était au contraire dominée par une 'laideur' à laquelle ne fait exception que "l'Encyclopédie" dont le bleu éclate, échappant au deuil.» (renvoi page 459, point 57)
- ↑ 11,0 11,1 11,2 Voir les citations pages 206, 208 et 210
- ↑ Comme il appelle le caractère irrésolu de son grand-père Gagnon, un sentiment "à la Fontenelle".
- ↑ Voir le chapitre 31, en particulier les pages 294-295
- ↑ Allusion aux "Confessions", livres II et VII
La carrière "napoléonienne" de Stendhal
Stendhal à Lyon, C. Broussas
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