dimanche 9 février 2014

Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013

Ils étaient quatre auteurs en lice pour le prix Goncourt 2013 :
- Pierre Lemaitre, avec Au revoir là-haut, Albin Michel;
- Jean-Philippe Toussaint avec Nue, éditions de Minuit;
- Frédéric Verger avec Arden éditions Gallimard
- Karine Tuil avec L'invention de nos vies, éditions Grasset

   pierre-lemaitre.jpg   Pierre Lemaitre

Score serré avec Frédéric Verger, c'est finalement Pierre Lemaitre qui fut couronné avec un roman qui a pour thème le sort de tous ces démobilisés sacrifiés par un pays exsangue, à demi détruit après quatre années de guerre sur son territoire. [1]

Très ému, le lauréat qui se dit "le plus heureux des hommes", a été récompensé pour son "savoir-faire qui provient du polar, du roman populaire." Bernard Pivot l'un des jurés, reconnaît quant à lui "le mélange d'une écriture cinématographique" et la qualité de "ce roman populaire dans le meilleur sens du terme... qui écrit à la fois lentement et vite, parce qu'il prend son temps pour raconter un geste ou une action mais avec des mots fulgurants." [2] Au revoir là-haut qui est un hommage aux derniers mots écrits à sa femme par un soldat fusillé en 1914, est aussi une œuvre forte. C'est le 2 novembre 1918 que  les deux héros du roman, Albert Maillard et Edouard Péricourt, se tirent assez miraculeusement de la "soudaine attaque de la cote 113", décidée sur un coup de tête par le lieutenant Henri de l'Aulnay-Pradelle.

Un type détesté ce lieutenant, aristo ruiné et cynique, portant beau mais un carriériste vaniteux qui n'hésite pas à sacrifier la vie de ses hommes. Dans cette boucherie, Albert est sauvé par Edouard qui en sortira défiguré, y laissera une jambe estropiée
Fin de la guerre et retour à Paris. Albert procure à Edouard de la morphine et constate qu'ils ne sont que des gêneurs qui rappellent de mauvais souvenirs dans un pays qui honorent surtout ses morts. Les monuments aux morts, les stèles commémoratives fleurissent un peu partout tant que le fameux Pradelle, reconvertit dans le business du cercueil, s'enrichit scandaleusement. Mais ces "profiteurs de l'après-guerre" auront moins de réussite que certains profiteurs de guerre. Son roman est d'abord une "épopée picaresque" de deux  anciens poilus concoctant une escroquerie au patriotisme.

Parcours et démarche
Pierre Lemaitre a commencé par fonder un organisme de formation où il enseigne les littératures françaises et américaines aux bibliothécaires. Il a cinquante ans passés quand il se lance dans l'écriture... de polars caractérisés par de subtiles intrigues habilement tricotées plus que par une recherche stylistique. Ce seront successivement Travail soigné, Robe de marié, [3] Cadres noirs, [4] Alex, [5] Sacrifices [6] qui obtiendront de nombreux prix dans leur domaine.
Il crée un héros récurrent Camille Verhoeven, et signe même un feuilleton numérique Les Grands Moyens, transformé ensuite en roman. [7] Même si son style est souvent critiqué, on reconnaît qu'il renoue avec le retour d'une certaine littérature populaire "de qualité". Il dit lui-même qu'il possède un style « visuel », préfère parler de « scènes », plutôt que de « chapitres, » influence sans doute des scénarios de téléfilms qu'il a écrits.

Infos complémentaires
* Jean-Philippe Toussaint, lauréat du Médicis en 2005, candidat avec le dernier volet de sa tétralogie sur les amours extraordinaires mais contrariées de Marie et de son ami, débutée il y a onze ans.* Frédéric Verger avec un premier roman "Arden" nous emmène dans un pays imaginaire d'Europe centrale où sévit l'ogre nazi.* Karine Tuil, avec "L'invention de nos vies" dresse une fresque impitoyable sur le mensonge, la honte des origines et l'imposture.
 
Jean-Philippe Toussaint                            Frédéric Verger

        Karine Tuil

Notes et références
[1] C'est Yann Moix qui a reçu le prix Renaudot pour son roman Naissance
[2] * "l'un des romans les plus puissants de la rentrée,". a commenté Pierre Assouline, autre membre du jury
[3] Robe de marié est l'histoire de Sophie, une trentenaire démente devenue une criminelle en série qui ne se souvient jamais de ses meurtres.
[4] Cadre noir met en scène un cadre au chômage qui accepte de participer à un jeu de rôle qui a pour thème la prise d'otages (tirer d'une histoire vraie)
[5] Alex part du thème de l'identification où l'héroïne est tour à tour victime et meurtrière
[6] Sacrifices termine la trilogie compose aussi de Travail soigné et de Alex. Il y ajoutera un quatrième volet intitulé Rosy & John
[7] Ce qu'on appelle dans le métier une "novélisation", adaptation d'une histoire écrite pour le cinéma ou la télévision, sous la forme d'un roman
      <<< Christian Broussas, Feyzin, Novembre 2013 © • cjb • © >>>

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