mercredi 5 février 2014

René Ballet, militant et écrivain

RENÉ BALLET, écrivain journaliste et militant communiste  
 
René Ballet est un écrivain français, communiste et résistant. Grand reporter, essayiste et romancier, il est aussi rédacteur en chef de La revue Commune et membre fondateur des Éditions du Temps des cerises. Outre son œuvre personnelle, il est connu pour avoir été un ami intime des époux Vailland, spécialiste de l'œuvre de Roger Vailland, très lié aussi à sa femme Élisabeth Vailland après le décès de ce dernier en 1965.
 
 René Ballet

1- Présentation générale

René Ballet a été rédacteur en chef de la revue franco-suisse Constellation, vice-président de l'association des Amis de Roger Vailland, grand reporter au journal L'Humanité et a écrit de nombreux articles sur les courses automobiles.
Son œuvre est assez abondante, comprenant essentiellement des romans et des nouvelles dont on pourra trouver l'essentiel dans la rubrique "Bibliographie". Il a également rédigé une douzaine de préfaces pour les livres de son ami Roger Vailland, [1], ainsi qu'une biographie écrite en collaboration avec Élisabeth Vailland, parue en 1973 aux Éditions Seghers.
Dans l'apport de René Ballet à l'œuvre de Vailland, il faut aussi mentionner son rôle décisif dans deux domaines :
  • la parution des 'Écrits journalistiques de Roger Vailland, édités en 1985 à l'occasion du vingtième anniversaire de sa mort sous le titre :
    • Chronique des années folles à la Libération, 1928-1945, tome I : préface de René Ballet
    • Chronique d'Hiroshima à Goldfinger, 1945-1965, tome II : préface de René Ballet
  • la présentation de l'œuvre romanesque de Roger Vailland au Livre club Diderot en 1974.
Il anime des colloques et des tables rondes avec Christian Petret Jean Sénégas le cadre de l'Association des Amis Roger Vailland et collabore régulièrement au site Roger Vailland dirigé par Alain Georges Leduc et Élizabeth Legros.

2- Le journalisme comme œuvre de fiction
 
Ce texte de René Ballet, paru dans Lecture de Roger Vailland aux éditions Klincksiek, traite de la relation paradoxale entre Roger Vailland et le journalisme. Paradoxe du journaliste Vailland pris entre passions et nécessités du quotidien ; car il faut bien vivre. En 1928, il est embauché - pour peu de temps pense-t-il - par le groupe "Prouvost" des Lainières de Roubaix au journal Paris-Midi, qui fusionnera plus tard avec Paris-Soir. Il note dans ses Écrits intimes : « En 1932, j'étais jeune journaliste dans un grand quotidien : je me rappelle très bien certaines conférences de rédaction, on nous disait : Hitler, Mussolini, la crise américaine, les affaires soviétiques, notre public en a par-dessus la tête; ce qu'il veut savoir de New-York : qu'est-ce que les Américaines font de leurs frigidaires ?... »
 
Au même moment, il se lance dans des expériences surréalistes, écrit dans la revue Le Grand Jeu des articles enflammés qui fustigent le pouvoir et promet « que les peuples des colonies massacreront un jour les colons, soldats et missionnaires et viendront à leur tour opprimer l'Europe. » Il espère dépasser la réalité d'une vie qui lui échappe, ne plus être cet individu fractionné qui prend des pseudonymes pour masquer sa double personnalité entre jour et nuit. Un monde en noir et blanc.
Le piège va se refermer sur lui au bar du Château le 15 septembre 1928 à propos d'un article 'anodin' sur le préfet Jean Chiappe. Il est mis en accusation, humilié par certains surréalistes, André Breton en tête. La rupture est consommée. Il dira un peu plus tard « l'impression qu'il y a quelque chose qu'on appelle la jeunesse et qui est finie pour moi. » Désormais, il n'a plus d'échappatoire, perdant sa vie à la gagner. Les nuits de bringue et la drogue n'y changeront rien. Il se fait une idée tellement haute de la littérature qu'il détruit tout ses écrits. Il détruit et se détruit en "brûlant sa vie par les deux bouts."
 
D'après René Ballet, l'idée de Vailland est d'arriver à faire du journalisme une œuvre de fiction: « en bien parlant de n'importe quoi, on dit tout », écrira-t-il. Ainsi le journaliste créerait l'information à son image, n'informant jamais que de sa propre image. À l'appui de sa thèse, René Ballet cite Roger Vailland qui, à propos de l'historien Suétone [2], s'étonne de ses contradictions puis finit par comprendre : « Vivant sous la tyrannie du quatorzième César, il s'effraie de dévoiler le mécanisme du pouvoir des douze premiers... Suétone brouille donc les cartes... Suétone « est un redoutable et un merveilleux hypocrite... il révèle, il dévoile, il démasque. »
Robert Brasillach, son ancien condisciple d'hypokhâgne, renchérit : « Lorsque Roger Vailland... écrit pour Paris-Soir des reportages peut-être ironiques, je reconnais Fulgur. » [3] Double jeu, double langage à la manière de Suétone. Écrire un article est pour lui écrire une œuvre de fiction publiée au jour le jour où tout est pesé, l'approche du sujet, la construction, le ton et le langage.
René Ballet y voit une longue filiation où les portraits de « femmes de Montparnasse » en 1929, ceux de ses romans-reportages Leïla et La Visorava en 1932-33 ou l'enquête sur La Stavisky du Périgord [4] annoncent le personnage de Frédérique, l'héroïne de La Truite, le dernier roman de Vailland.
 
La France ouvrière, René Ballet, Maurice Moissonnier 


 3- Ce cher métier d'écrivain
 
Cet article de René Ballet, consacré au processus d'écriture chez Roger Vailland, est paru dan l'ouvrage Entretiens, Roger Vailland aux éditions Subervie.
 
Roger Vailland parlait rarement de la façon dont se passait son métier d'écrivain mais un jour à Lyon, il se confia à son ami René Ballet qui l'accompagnait [5]: « Quand je tiens une scène... je m'étends et je rêve éveillé; je me la représente, je plante les décors. Par exemple, si la scène se passe dans une salle meublée d'une table et d'une chaise, je vois cette table et cette chaise à une place bien déterminée. Il se peut que cette indication ne se retrouve pas dans le récit écrit mais elle y est intimement mêlée. Si le déroulement de la scène exige le déplacement d'un de ces meubles, je suis gêné. » Voilà Roger Vailland plongé dans la création, avec ses phases de rédaction et de 'rêverie active'.
 
Autre témoignage pendant un voyage : Vailland est alors en Italie dans les Pouilles quand lui prend l'envie d'écrire; il plie bagages et rentre immédiatement chez lui à Meillonnas [6]. Pour écrire, il a besoin d'une ambiance, d'un cadre strictement défini [7]. D'où son retour précipité chez lui. « À Meillonnas, tout était fait pour faciliter l'observation de la règle » précise René Ballet. La maison « est à l'extrémité du village... protégée par de hauts murs. » Et sa femme Élisabeth veille, protège sa retraite, gère la situation.
 
À 19 heures 30 précises, il descendait et prenait un premier whisky. Après un repas frugale, il lisait son nouveau texte à Élisabeth et mettait à jour son célèbre graphique : nombre de pages en ordonnées, nombre de jours en abscisses. La règle spécifiait aussi : pas plus de 4 whiskys et se coucher tôt. Mais « toute règle comporte ses indulgences » commente René Ballet. Son bureau est une vaste pièce à 2 fenêtres avec entre elles, une longue table de ferme. « Roger s'asseyait au centre de la table, le dos tourné aux fenêtres, le dos tourné à la ruelle. Rien dans la pièce ne distrayait son attention. » Pièce dépouillée : un divan devant lui, à droite une toile de son ami Pierre Soulages, « aux larges aplats sombres », à gauche le graphique d'avancement du livre.
 
Après le repas de midi, il se remettait en condition pour écrire, scène qu'il a reprise dans son roman "La Fête" : sieste, café avec cachet, lecture jusqu'au moment de 'l'éveil actif'. Ensuite, il lui fallait encore griffonner des dessins, « manière d'attendre écrit-il, ... une manière de retarder l'épreuve. » [8] Fin de la première étape : « Le premier jet est 'mou » concédait-il. Il travaillait alors "en dur",  phases de lecture-correction jusqu'à ce qu'il atteigne la précision et la concision voulue. « Il faut trouver ce qui convient... pour annuler toute liberté, pour arriver à l'objet achevé, parfait. » [9]
 
René BALLET : BOURGES UNE AFFAIRE DE COEUR  Bourges, une affaire de cœur, de René Ballet

4- Deux hommes dans le tournant
 
Dans cet article publié dans Les Cahiers Roger Vailland, [10] René Ballet tente d'expliquer l'évolution radicalement différente de Roger Vailland et de Drieu la Rochelle faits a-priori pour s'entendre. Ce sont deux hommes décalés dans les années 30, en marge d'une société que globalement ils rejettent, en phase avec cette déclaration d'Aragon : « Je n'ai jamais cherché autre chose que le scandale et je l'ai cherché pour lui-même. »
 
Ils traînent leur ennui de vivre, comme Jacques Rigaud qui se suicidera en 1930 mais disait six ans plus tôt : « La vie ne vaut pas qu'on se donne la peine de la quitter. » Ils ont suivi des voies parallèles, Drieu La Rochelle écrit dans ses Carnets : « Il n'y a plus rien à attendre de la bourgeoisie » tandis que Vailland accepte encore « de prendre une position sans trop y attacher d'importance. » Conquis par le surréalisme, ils proclament avec lui : « Mangez de la poudre d'étoiles, vous serez poètes, » mais en en seront assez vite déçus, Vailland écœuré écrivant à sa famille : « La vie est saloperie... c'est une atmosphère irrespirable. »
 
Leurs routes vont pourtant rapidement diverger car Drieu La Rochelle est un homme désabusé qui se sent comme un 'agent double' qui trahit puis revendique ses actes, du nom de la nouvelle qu'il publie en 1935. Vailland a choisi mais il joue la duplicité, tantôt avec les surréalistes du Grand Jeu, « tantôt avec les plus tristes imbéciles et fripouilles du monde. » Pourtant, tous deux connaissent la peur, celle d'adolescents pas très costauds, Drieu La Rochelle voudrait « peser dix kilos de plus, » Vailland rencontre la peur dans les meetings lors de heurts avec la police.
 
Cette force qu'ils recherchent en compensation, éloigne Drieu La Rochelle du peuple, il est très attiré par les forces de l'ordre, « c'est écrasant de beauté » écrit-il à une amie en parlant de défilés nazis. Par contre, Roger Vailland admire la force de ces hommes que -dans son récit historique Un homme du peuple sous la Révolution- il présente comme massifs, impassibles « pas un muscle de leur visage ne bougeait » et décidés, « ils ferment leurs doigts calleux habitués à manier l'outil. » Ce sont ces hommes qui après la guerre deviendront pour lui ces bolcheviks qu'il prendra comme modèles.
 
Détails sur le produitEssai sur Roger Vailland


5- Notes et Références 
  1. ↑ Parmi ces préfaces, on peut citer : La Visirova, L'épopée du Martin-Siemens, N'aimer que ce qui n'a pas de prix, 'Marat-Marat, Le conservateur des hypothèques, Le soleil fou, De l'amateur et Le Saint-Empire.
  2. ↑ Voir l'analyse de Roger Vailland dans son livre Les pages immortelles de Suétone publié en 1962
  3. ↑ Fulgur : feuilleton écrit par Vailland, Brasillach et d'autres qui parut dans le journal L'Yonne Républicaine
  4. ↑ Voir le tome I des Chroniques et l'édition de 1986 pour La Visirova parue aux éditions Messidor
  5. ↑ Interview reprise dans La République de Lyon le 20/11/1955
  6. ↑ C'est ainsi qu'a démarré l'écriture de son roman La Loi
  7. ↑ « La règle est la condition de la liberté » écrit-il dans Sur la clôture, la règle et la discipline. (texte repris dans son essai Le Regard froid
  8. ↑ Sur ce processus, voir aussi son article Comment travaille Pierre Soulages publié en 1961
  9. ↑ Voir cette conception reprise dans son article sur Les sculptures de Coulentianos en 1962
  10. article publié dans Les Cahiers Roger Vailland
       <<<<<<< Christian.Broussas - Feyzin - 27/01/2012- <<<<< ©• cjb •© >>>>>>> 

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