L'écrivain Louis Guilloux, 1899-1980
« Guilloux songe presque toujours à la douleur chez les autres, et c’est pourquoi il est, avant tout, le romancier de la douleur. » Albert Camus
Louis Guilloux n'est rien sans sa ville natale de Saint-Brieuc où il a passé une bonne partie de sa vie et dont toute l'œuvre est imprégnée. Ses parents Louis Marie Guilloux et Philomène Marmier ont déjà deux filles Marie et Charlotte quand Louis naît le 15 janvier 1899. [1] Fils de cordonnier, Louis Guilloux travaillera comme pion pour payer ses études et évoquera son enfance pauvre dans son roman « Le pain des rêves ».
Au début de la guerre, après un séjour estival en Angleterre, il rejoint le lycée Anatole Le Braz où l’on a installé un hôpital militaire. Pendant la guerre, il va faire deux rencontres importantes qui l'ont beaucoup influencé. Refusant d’être à la charge de ses parents, il renonce à sa bourse, devient surveillant d’internat au lycée et rencontre le professeur et philosophe Georges Palante. [2] Grande amitié qui sera complétée l'année suivante par une autre rencontre avec un autre philosophe Jean Grenier, futur professeur de philo d’Albert Camus à Alger... et naîtra aussi beaucoup plus tard en 1945 une amitié indéfectible entre Guilloux et Camus jusqu'à sa mort en 1960. [3]
Louis Guilloux va alors pendant plusieurs années faire des allers-retours entre Paris et Saint-Brieuc. L'écriture lui vient semble-il, lors d'un séjour à Lannion chez des amis de ses parents, Georges et Emilienne Robert où il griffonne quelques contes et nouvelles. Il écrira ce texte qui constitue son acte de foi : « Je suis souvent parti, je suis toujours revenu, je n'ai jamais oublié ma ville. La plupart de mes ouvrages , je les ai rêvés et je les ai écrits ici. C'est de cette terre et de ce ciel que j'ai tiré leur substance ».
Maisons d'écrivains : Georges Palante à La Grandville à Hillion et Louis Guilloux à Saint-Brieuc
Dans les années vingt, deux événements vont alors marquer sa vie. L'ami Georges Palante sur lequel il avait déjà produit une étude, se suicide dans sa maison d'Hillion dans la baie de Saint-Brieuc.
Traumatisme qu'il surmonte avec l'aide de Renée Tricoire qu'il a épousé l'été précédent à Toulouse. L'année suivante, il fera une nouvelle rencontre décisive avec Daniel Halévy qui dirige la collection Les Cahiers verts chez Grasset.
Vue de la place Louis Guilloux à Saint-Brieuc
Après son adhésion au groupe des "vorticistes" [4] avec Jean Grenier [5] et Henri Petit, il baigne dans le milieu littéraire, se lie d'amitié avec André Chamson et surtout Max Jacob. Suivra une période féconde dans les années 30 où il publie un roman presque chaque année, [6] dont Le Sang noir qui manquera de très peu le prix Goncourt. [7] Pour le moment, 1927 marque la publication de La Maison du peuple, récit plein de tendresse des luttes syndicales de son père où Jean Guéhenno, autre fils de cordonnier, y «lit sa propre histoire», et signe un nouveau départ vers Angers où il est nommé professeur.
Louis Guilloux (photo DR) Louis Guilloux avec sa fille Yvonne
C'est en 1932 qu'avec sa femme, il revient s'installer à Saint-Brieuc 13 rue Lavoisier dans la maison qu’ils viennent de faire construire et leur fille Yvonne y naît le 2 octobre. Autour de leur petite maison en pierre, il n'y a à l'époque que des champs. Louis n'est pas vraiment connu alors et c'est avec le salaire de sa professeur de femme qu'ils ont pu faire bâtir la maison. Sous les combles, pas de chauffage. « L'écrivain écrit emmitouflé dans une couverture, les pieds dans un coffrage garni de moumoute. Le bureau ? Du simple contreplaqué » [8]
Parallèlement à son travail d'écrivain, il participe aux luttes bretonnes contre les saisies-ventes, aux actions en faveur des chômeurs puis devient responsable du "Secours rouge" qui aide les chômeurs et les réfugiés espagnols. [9] A l'été 1936, André Gide l'emmène dans son voyage en URSS d'où il rapportera un livre très critique [10] dont Guilloux confirmera la teneur et sera alors licencié par Aragon de son poste de critique littéraire au journal Ce Soir.
Dans toutes ses œuvres, il montre la détresse des êtres soumis à l’injustice, à la guerre, la solitude, au mal de vivre. S’il peint le caractère tragique ou dérisoire de la condition humaine, il en souligne aussi la grandeur. A propos du sentiment absurde de la vie, il écrira « J’aime mon travail. Le monde est peut-être absurde, on le dit, mais vouloir le peindre ou l’interpréter ne l’est pas. C’est peut-être même la seule manière de s’équilibrer à l’absurde. » Dans son bureau-musée, on trouve toujours « près de la porte, l'affiche représentant la victoire du "Soldat de la Révolution", à Valmy en 1792, annonçant la couleur : "Ici, commence le pays de la liberté"... et donc celui de l'écriture. » [8]
La dimension humaine de son œuvre se reflète bien dans le Prix Louis Guilloux créé en 1983 par le Conseil général des Côtes-d'Armor, couronnant une œuvre de langue française ayant une « dimension humaine d'une pensée généreuse, refusant tout manichéisme, tout sacrifice de l'individu au profit d'abstractions idéologiques. »
Ultime consolation : sa maison de Saint-Brieuc, rachetée par la commune, est devenue maison d'écrivains, reçoit maintenant des écrivains et organise des ateliers d'écriture. Sa maison est ainsi quelque part devenue "La Maison du peuple" dont il avait tant rêvé !
Louis Guilloux et Albert Camus
Maurice Nadeau raconte
Dans cette maison de Saint-Brieuc qui a vu naître des chefs d’œuvre comme Le Sang noir et Le Pain des rêves ,
le rez-de-chaussée abrite maintenant des expositions, des ateliers
d’écriture et un jardin de lectures. J’entends encore dans les escaliers
et les chambres les pas et les voix, entre autres, d’Albert Camus qui préfaça sa célèbre Maison du peuple, celles d’André Malraux, d’André Chamson, de Jean Guéhenno, de Max Jacob qui venait en voisin de Quimper et d’Eugène Dabit avec qui il fit, en compagnie d’André Gide, le voyage en URSS.Maurice Nadeau dit aussi dans Grâces leurs soient rendues comment Guilloux l’avait entraîné dans Saint-Brieuc où sont aujourd’hui signalés les lieux et les rues évoqués dans ses livres. Comme celle du "Chapitre" – quelle belle coïncidence pour un écrivain — où il poussa son premier cri. Ce jour-là, ils iront également sur la Place aux Ours du Jeu de patience (Prix Renaudot, 1949), admireront la Cathédrale, avant de parcourir la rue Saint-Guillaume où l’on vendait des dentelles bretonnes et des crevettes. Ils croiseront des personnages particuliers, des Parisiens, des touristes avant de franchir la porte du cimetière Saint-Michel où dort aujourd’hui Guilloux qui fit découvrir à son ami Camus la tombe de son père inhumé dans le carré militaire avec des Tirailleurs algériens et vietnamiens. Dans Le Premier homme , son roman posthume, le chemin, un peu mélancolique, qui y conduit à partir de la gare est toujours le même, lui aussi en pente.
En bas dans le petit jardin, en cet automne briochin de 1998, un cerisier frissonne alors que ses hautes branches s’encadrent dans la fenêtre où j’imagine encore Guilloux, debout, tirant sur sa pipe, écouter le vent qui fait en passant « comme un bruit de mer paisible ».
Quelques dates de référence
- Naissance le 15 janvier 1899 rue du Chapître à Saint-Brieuc;
- Installation à Paris en 1918 -- Allers-retours entre Paris et Saint-Brieuc -- Retour à Saint-Brieuc en 1930 dans sa maison du 13 rue Lavoisier;
- Séjours à Paris : il loge parfois chez André Malraux dans les années 30 puis chez les Gallimard, dans une chambre de la rue Sébastien Bottin ou dans leur hôtel particulier du 17 rue de l’Université. Plus tard, il s’installera rue Servandoni dans le quartier de Saint-Sulpice puis au 42 de la rue du Dragon.
Son bureau de la maison de Saint-Brieuc
Notes et références
[1] Jean Grenier,dans ses Carnets 1944-1971, ( Paris, Seghers, 1991) reprend certaines confidences de Louis Guilloux sur ses relations familiales
[2] Cripure, son héros du Sang noir, dont il tirera une pièce au titre éponyme, emprunte beaucoup au personnage de Georges Palante
[3] Voir mon article sur la correspondance entre Camus et Guilloux parue en 2013 chez Gallimard à l'occasion du centenaire de la naissance d'Albert Camus
[4] C'est André Chanson qui fonda le groupe des « Vorticistes », dominé, disait-il, par l’esprit de liberté et de curiosité,faisant sans doute référence à un mouvement venu d'Angleterre et dominé pat l'écrivain Erza Pound.
[5] Jean Grenier décrit son ami Louis Guilloux sous les traits de Michel dans son roman autobiographique Les Grèves.
[6] Surtout dans les premières années où il publie Dossier confidentiel en 1930, Compagnons et Souvenirs sur Georges Palante en 1931, Hyménée et Le Lecteur écrit en 1932, Angélina en 1934 et Le sang noir en 1935.
[7] Il obtiendra le Prix Populiste pour Le Pain des rêves en 1942, le Prix Renaudot pour Le Jeu de patience en 1949 ainsi que le Grand prix national des Lettres en 1967 et le Grand prix de l'Académie française en 1973
[8] Extrait tiré de l'article "Sant-Brieuc, Les trésors de Louis Guilloux", Tourisme & loisirs en Bretagne
[9] Il signera par exemple la pétition en avril 1927 contre la loi sur l’organisation générale de la nation en temps de guerre qui supprime toute liberté d’opinion et d'expression ou participera en 1935 au 1er congrès mondial des écrivains antifascistes.
[10] Après son retour, André Gide publiera Retour de l'U.R.S.S. sévère critique du régime soviétique puis Retouches à mon Retour de l'U.R.S.S., encore plus critique.
Guilloux par Eugène Dabit 1935
Maison ancienne sur la place Louis Guilloux à Saint-Brieuc
Références bibliographiques
* Pour une présentation bibliographiques, voir Les amis de Louis Guilloux
* Sylvie Golvet, "Louis Guilloux. Devenir romancier", Presses universitaires de Rennes
* Jean Guéhenno - Louis Guilloux (1927-1967) - Correspondance, éditions La Part Commune
* Correspondance Louis Guilloux, Georges, Emilienne et Lucie Robert 1920-1970, publié dans Spécial Confrontations n°19
<<<< Christian Broussas - Feyzin - 14 janvier 2014 - <<<< © • cjb • © >>>>
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