« L’artiste est celui qui distingue, au milieu du confus, se sépare pour se mieux réunir. » [1]
Curieux dialogue que cette confrontation entre Faust et Méphistophélès. Certes, Faust a vendu son âme au Diable contre cette immortalité, ce rêve de jeunesse qui n’est qu’une résurgence idéalisée du passé, alors qu’il considère que « l’accompli d’aujourd’hui, demain est incertitude, » alors que pour lui le temps est linéaire, qu’il n’y a « ni passé, ni présent, ni avenir, mais une seule et même image reproduite dans le temps et que nous incarnons. » Mais il se rend compte que dans ce marché, il est « un recommencement qui comptabilise les possibles qui lui furent une fois accordés. »
Qu’en est-il alors de ce marchandage où le Diable semblait gagnant et qui ressemble de plus en plus à un marché de dupes dans lequel personne ne se retrouve. Faust et Méphistophélès sont en tout cas d’accord sur un point, cette espèce d’usure du temps quand Faust se demande « à quoi servirait de vivre ? … à une progressive restriction qui finit par n’être plus que le contenant de ce qui, jadis, a contenu » et que Méphistophélès lui répond négligemment « A partir d’un certain âge, on ne change plus. »
Il y a dans Faust une joie de vivre qui déplaît fort au Diable, doublée d’une distanciation de soi, un renoncement quand il confesse « je n’attends rien, je suis. Je ne veux qu’être, » voulant simplement être lui-même car « la force pure, c’est de ne se comparer à rien, » homme parmi les hommes, il se considère comme « ordinaire », aspirant seulement à améliorer l’homme. Et Méphisto surenchérit en rabaissant les ‘grands hommes’, « il ne faut jamais chercher à rencontrer les grands hommes, ils sont toujours inférieurs à l’image qu’on se fait d’eux. »
Cette joie de vivre que Faust professe, c’est d’abord une réaction contre la dégradation de la vieillesse, « Sais-tu ce qu’est la vieillesse ? s’écrit-il. Insignifiance. Mise à l’écart. Punition du désir. » Il la formule par cette question : « Oui ou non l’homme est-il conçu pour appréhender ce qui du monde lui est proposé, en profiter, en user, en jouir. » Il en tire une véritable profession de foi qui n’est pas du goût de Méphisto : « Vivre, c’est prendre, piller, capturer, ravir ! Vivre, c’est appétit, absorption, rassasiement ! Vivre, c’est se projeter. »
C'est aussi l'amour, malgré tout, malgré l'amour-rêvé et l'amour-réalité. [2]
Pour Faust, l’homme a une fâcheuse tendance à se dévaloriser, à manquer de confiance en lui, « il y a dans l’homme un malheur » constate-t-il, alors que sa nature devrait lui permettre d’être tourné vers la bonheur et la liberté.
Notes et références
* Référence : Louis Calaferte, "Maître Faust", éditions L'Arpenteur/Gallimard, 2000
[1] Pour les différentes citations qui émaillent la présentation, voir dans l'ordre pages 101, 156, 160, 51, 62, 64, 65, 73, 88, 75 et 149-150
[2] Voir la relation-monologue entre Faust et marguerite pages 131-132
Sélection bibliographique
* Requiem des innocents et Partage des vivants, éditions Julliard, 1952-53
* septentrion, éditions Tchou 1963, rééditions Denoël 1984 et Folio 1996
* la mécanique des femmes, éditions L'Arpenteur/Gallimard, 1992, Folio 1994
* Entretiens avec Patrick Amine, "Une vie, une déflagration", Denoël, 1995, avec Jean-Pierre Pauty, "L'aventure intérieure", Julliard, 1994, avec Pierre Drachline, "Choses dites", Le Cherche midi, 1994
Voir aussi ma fiche L'écrivain Louis Calaferte
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