« L’écriture était l’organisation la plus productive de ma nature »
Franz Kafka à Prague: sa statue et son buste
Franz Kafka, l’homme qui écrivait pour lui. Si son nom est aujourd’hui reconnu, on le doit à son ami Max Brod qui n’a pas respecté ses dernières volontés de détruire ce qui n’avait pas été édité -c’est-à-dire l'essentiel- et a publié en 1937 à Prague une biographie de son ami. [1]
Franz Kafka naît le 3 juillet 1883 à Prague, dans la Bohème qui appartient alors à l’Autriche-Hongrie. Sa situation familiale sera toujours très compliquée : aîné de quatre enfants, il est surtout l’unique garçon survivant de deux autres frères morts en bas âge. Sa mère, Julie Kafka Löwy, vient d’une famille aisée de Juifs allemands et son père Hermann Kafka d’origine plus modeste, mènera une vie difficile à son fils, reportant son ambition vers ce fils qui ne se hissera jamais à la hauteur des espérances paternelles. Il décrira leurs relations tumultueuses dans la « Lettre au père » qu’il ne lui enverra jamais.
Franz Kafka est pourtant alors un jeune homme soumis, fréquentant à partir de 1893 le lycée d’État de langue allemande implanté dans la Vieille Ville de Prague puis, sur les instances de son père, des études de droit à l’université de la ville. Rejetant son père, violent et si différent de lui, il se tourne vers son oncle Siegfried Löwy, demi-frère de sa mère, médecin de campagne à Triesch, un homme d’une grande culture qui influence le jeune homme timide et inexpérimenté. Il termine ses études par un diplôme de docteur en droit et commence, sans grande conviction, une carrière juridique dans des sociétés d’assurance. Parallèlement, il commence à écrire son Journal, des textes autobiographiques sur l’univers bureaucratique qui l’inspirera plus tard et fréquente le Klub mladych d’inspiration socialiste.
Kafka et Prague : la maison natale u veze, la maison Minuta
Il aura toujours un rapport passionnel avec sa ville natale, où il est né dans la maison « U veze » (qui signifie « à la tour ») dans le quartier ancien, près de l’église Saint-Nicolas, écrivant dès 1902 à son ami Oscar Pollak : « Prague ne vous lâche pas. […]Il nous faudrait l’enflammer des deux côtés, à Vysehrad et à Hradcany, alors il serait possible de nous en débarrasser. »
Dans une lettre à Felice de Kafka, il décrit ainsi ce qu’il a sous les yeux : « Juste devant ma fenêtre (…) j’ai la grande coupole de l’Église russe (Saint Nicolas – Nikolaikirkan), avec ses deux clochers et, entre les clochers et l’immeuble voisin, j’aperçois un petit pan triangulaire découpé dans le Mont Saint Laurent (Laurenzberg/Petrin), avec une toute petite église au loin. A gauche, je vois l’Hôtel de ville et sa tour monter à pic, dans une perspective que personne n’a peut-être encore jamais vue. »
La maison où est installé actuellement le musée Kafka et où est apposé un relief de Kafka par le sculpteur Hladik, date en fait de 1902 puisque l’originale a été détruite par un incendie en 1897. A Prague, la famille change plusieurs fois de domicile, s’installe en particulier dans une maison médiévale appelée « Minuta » (A la minute) au 2 place de la Vieille Ville pendant sept ans et c’est ici que naîtront ses trois sœurs Elli, Valli et Ottla entre 1889 et 1892, puis jusqu’au début de la Première guerre mondiale au 36 de la rue Mikulaska, aujourd’hui rue Parizska (avenue de Paris). [2]
La maison de la ruelle d'or
Les amours de Kafka ne sont pas non plus à la hauteur de ses espoirs. Sa brève rencontre avec Felice Bauer, une parente de Max Brod, lors d’un séjour à Paris puis leur longue correspondance, sont insuffisantes pour que la belle-famille donne son accord au mariage. La rupture définitive interviendra en décembre 1917 après la publication de deux œuvres importantes, « La Métamorphose », celle de Grégoire Samsa en cloporte, puis, « Le Verdict » qui paraît en volume l’année suivante. Nouvelle rencontre sans lendemain avec Julie Wohryzek alors qu’il se trouve en convalescence à Zurau dans les monts Tatra près de sa sœur préférée Ottla, à la suite de sa première crise de la tuberculose pulmonaire qui allait rapidement l’emporter.
Il entame une longue relation épistolaire avec sa traductrice tchèque Milena Jesenska-Pollak et lui confie en 1921, une partie de son « Journal ». Alors que sa santé se détériore, il noue de nouveaux liens avec Dora Diamant avec qui il voyage plusieurs mois sur les cotes de la Baltique et à Berlin. Mais décidément, la maladie fait son œuvre et à 41 ans, il décède au sanatorium de Kierling, près de Vienne.
Complément sur Kafka et son œuvre
Dans « Le Procès », sans doute son œuvre la plus connue, il décrit une bureaucratie policière qui rappelle certains régimes communistes de l’Europe de l’est, comme il évoquera l’épreuve des camps « Dans la Colonie pénitentiaire ».
L’angoisse qui émane de certains de ses personnages, celle de Joseph K. par exemple qui se sent paumé dans un monde qui lui apparaît comme absurde, rappelle d’autres personnages comme celui d’Antoine Roquentin le héros de « La Nausée » de Jean-Paul Sartre ou de Meursault, celui de « L’Étranger » d’Albert Camus. A partir de là, du lourd climat qui traverse nombre de ses romans, on parlera de monde « kafkaïen » pour décrire un univers à l’atmosphère oppressante dans lequel les personnages se débattent dans un monde incompréhensible qui les déstabilisent et les écrasent.
Il avait l’espoir qu’il puisse se produire « une sublime osmose » entre l’auteur et le lecteur, une haute idée de l’art littéraire dont il disait « On ne devrait lire que des livres qui nous piquent et nous mordent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? »
Notes et références
[1] En 1922, Kafka envoie à son ami Max Brod, un document considéré comme son testament, où il lui demande de détruire ses textes non publiés, des récits achevés, des ébauches et des brouillons, des textes qu’il avait réfutés ou restés inachevés.
[2] Puis il résidera entre autres rue Bilkova et rue Dlouha, au 2 Ruelle d’or, une petite maison rue des alchimistes au Château de Prague, un deux-pièces palais Schönborn dans le quartier de Mala Strana, enfin la maison Oppelt près de l’immeuble où il naquit.
Voir aussi ma fiche intitulée L'univers de Kafka
<<<< Christian Broussas - Feyzin, 12 avril 2014 - << © • cjb • © >>>>
Franz Kafka à Prague: sa statue et son buste
Franz Kafka, l’homme qui écrivait pour lui. Si son nom est aujourd’hui reconnu, on le doit à son ami Max Brod qui n’a pas respecté ses dernières volontés de détruire ce qui n’avait pas été édité -c’est-à-dire l'essentiel- et a publié en 1937 à Prague une biographie de son ami. [1]
Franz Kafka naît le 3 juillet 1883 à Prague, dans la Bohème qui appartient alors à l’Autriche-Hongrie. Sa situation familiale sera toujours très compliquée : aîné de quatre enfants, il est surtout l’unique garçon survivant de deux autres frères morts en bas âge. Sa mère, Julie Kafka Löwy, vient d’une famille aisée de Juifs allemands et son père Hermann Kafka d’origine plus modeste, mènera une vie difficile à son fils, reportant son ambition vers ce fils qui ne se hissera jamais à la hauteur des espérances paternelles. Il décrira leurs relations tumultueuses dans la « Lettre au père » qu’il ne lui enverra jamais.
Franz Kafka est pourtant alors un jeune homme soumis, fréquentant à partir de 1893 le lycée d’État de langue allemande implanté dans la Vieille Ville de Prague puis, sur les instances de son père, des études de droit à l’université de la ville. Rejetant son père, violent et si différent de lui, il se tourne vers son oncle Siegfried Löwy, demi-frère de sa mère, médecin de campagne à Triesch, un homme d’une grande culture qui influence le jeune homme timide et inexpérimenté. Il termine ses études par un diplôme de docteur en droit et commence, sans grande conviction, une carrière juridique dans des sociétés d’assurance. Parallèlement, il commence à écrire son Journal, des textes autobiographiques sur l’univers bureaucratique qui l’inspirera plus tard et fréquente le Klub mladych d’inspiration socialiste.
Kafka et Prague : la maison natale u veze, la maison Minuta
Il aura toujours un rapport passionnel avec sa ville natale, où il est né dans la maison « U veze » (qui signifie « à la tour ») dans le quartier ancien, près de l’église Saint-Nicolas, écrivant dès 1902 à son ami Oscar Pollak : « Prague ne vous lâche pas. […]Il nous faudrait l’enflammer des deux côtés, à Vysehrad et à Hradcany, alors il serait possible de nous en débarrasser. »
Dans une lettre à Felice de Kafka, il décrit ainsi ce qu’il a sous les yeux : « Juste devant ma fenêtre (…) j’ai la grande coupole de l’Église russe (Saint Nicolas – Nikolaikirkan), avec ses deux clochers et, entre les clochers et l’immeuble voisin, j’aperçois un petit pan triangulaire découpé dans le Mont Saint Laurent (Laurenzberg/Petrin), avec une toute petite église au loin. A gauche, je vois l’Hôtel de ville et sa tour monter à pic, dans une perspective que personne n’a peut-être encore jamais vue. »
La maison où est installé actuellement le musée Kafka et où est apposé un relief de Kafka par le sculpteur Hladik, date en fait de 1902 puisque l’originale a été détruite par un incendie en 1897. A Prague, la famille change plusieurs fois de domicile, s’installe en particulier dans une maison médiévale appelée « Minuta » (A la minute) au 2 place de la Vieille Ville pendant sept ans et c’est ici que naîtront ses trois sœurs Elli, Valli et Ottla entre 1889 et 1892, puis jusqu’au début de la Première guerre mondiale au 36 de la rue Mikulaska, aujourd’hui rue Parizska (avenue de Paris). [2]
La maison de la ruelle d'or
Les amours de Kafka ne sont pas non plus à la hauteur de ses espoirs. Sa brève rencontre avec Felice Bauer, une parente de Max Brod, lors d’un séjour à Paris puis leur longue correspondance, sont insuffisantes pour que la belle-famille donne son accord au mariage. La rupture définitive interviendra en décembre 1917 après la publication de deux œuvres importantes, « La Métamorphose », celle de Grégoire Samsa en cloporte, puis, « Le Verdict » qui paraît en volume l’année suivante. Nouvelle rencontre sans lendemain avec Julie Wohryzek alors qu’il se trouve en convalescence à Zurau dans les monts Tatra près de sa sœur préférée Ottla, à la suite de sa première crise de la tuberculose pulmonaire qui allait rapidement l’emporter.
Il entame une longue relation épistolaire avec sa traductrice tchèque Milena Jesenska-Pollak et lui confie en 1921, une partie de son « Journal ». Alors que sa santé se détériore, il noue de nouveaux liens avec Dora Diamant avec qui il voyage plusieurs mois sur les cotes de la Baltique et à Berlin. Mais décidément, la maladie fait son œuvre et à 41 ans, il décède au sanatorium de Kierling, près de Vienne.
Complément sur Kafka et son œuvre
Dans « Le Procès », sans doute son œuvre la plus connue, il décrit une bureaucratie policière qui rappelle certains régimes communistes de l’Europe de l’est, comme il évoquera l’épreuve des camps « Dans la Colonie pénitentiaire ».
L’angoisse qui émane de certains de ses personnages, celle de Joseph K. par exemple qui se sent paumé dans un monde qui lui apparaît comme absurde, rappelle d’autres personnages comme celui d’Antoine Roquentin le héros de « La Nausée » de Jean-Paul Sartre ou de Meursault, celui de « L’Étranger » d’Albert Camus. A partir de là, du lourd climat qui traverse nombre de ses romans, on parlera de monde « kafkaïen » pour décrire un univers à l’atmosphère oppressante dans lequel les personnages se débattent dans un monde incompréhensible qui les déstabilisent et les écrasent.
Il avait l’espoir qu’il puisse se produire « une sublime osmose » entre l’auteur et le lecteur, une haute idée de l’art littéraire dont il disait « On ne devrait lire que des livres qui nous piquent et nous mordent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? »
Franz Kafka, qui compose souvent avec son hypersensibilité, avait des rapports complexes avec Prague qui
apparaît dans ses œuvres autant par son atmosphère que par ses rues,
ses places ou ses vieux ponts. Il y ressent aussi une espèce de fatalité
dans une société où chaque groupe est replié sur lui-même, une
distanciation du juif dans un pays antisémite, de l’Allemand qu’il reste
aux yeux des tchèques bien qu’avec les autres Allemands de Bohême, il ne se sente guère d’affinités, séparés d’eux aussi bien par leurs préjugés raciaux que par l’isolement du ghetto.
Notes et références
[1] En 1922, Kafka envoie à son ami Max Brod, un document considéré comme son testament, où il lui demande de détruire ses textes non publiés, des récits achevés, des ébauches et des brouillons, des textes qu’il avait réfutés ou restés inachevés.
[2] Puis il résidera entre autres rue Bilkova et rue Dlouha, au 2 Ruelle d’or, une petite maison rue des alchimistes au Château de Prague, un deux-pièces palais Schönborn dans le quartier de Mala Strana, enfin la maison Oppelt près de l’immeuble où il naquit.
Voir aussi ma fiche intitulée L'univers de Kafka
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