Philippe Djian Sotos

 « Pourquoi crois-tu que je m'emmerde à écrire... Parce que la vie est sinistre. Parce que la seule réalité acceptable est dans ton esprit . » (page 42)

Référence :  Philippe Djian, "Sotos", éditions Gallimard, 1993

Pour Philippe Djian, Les Sotos, ce sont ces petits démons qui son tapis entre le bois et l'écorce et qui émettent une espèce de son quand les troncs gémissent parfois quand tombe le jour, vibrent sous la force des orages. Les tensions qui dominent les individus se déchaînent alors dans les pulsions et les passions qui les animent et ne leur laisseront pas de répit. Ces sotos, ajoute-t-il dans une interview, [1] « j'ignore s'ils sont bons ou mauvais. Pour moi, ils symbolisent le côté magique, mystérieux de la forêt. »

La vraie richesse de cette famille de grands propriétaires terriens, est leur pouvoir sur l'espace qu'ils possèdent et les gens qui y vivent. Pas seulement une simple richesse financière mais l'enracinement viscérale, la relation jalouse à cette terre, tout ce qui fait son unicité. Tout ce qui fait aussi  sa beauté changeante selon les saisons ou simplement les instants de la journée, en contraste avec la pérennité ancestrale de cette terre si rude et âpre.Contrairement à son habitude, Sotos se déroule dans des paysages qui doivent se situer tous entre les Landes et l'Andalousie ,même si "les Maleyones" n'existent pas.

       

Sotos est construit en trois parties intitulées "tertio", ce qui semble se déférer aux trois temps de la corrida... mais  Philippe Djian a « le sentiment qu'entrer dans la vie, c'est entrer dans l'arène. »  La jeunesse tout feu tout flamme ne peut imaginer que vienne le temps des châtiments, « comme le taureau reçoit les piques, puis les banderilles... »

Ces trois périodes de la corrida pourraient s'analyser comme la métaphore des trois âges de la vie, incarnés dans le roman par trois générations d'hommes : Victor Sarramanga, le grand-père qui règne sur le domaine avec son homme de main Anton, son petit-fils Mani avec la fougue de ses (presque) dix-huit ans, [2] Vito qui affronte la quarantaine et vient de se marier avec Ethel la mère de Mani . Ce grand-père terrible dont Mani dit que « en général, Victor Sarramanga, mon grand-père, avait les yeux bleus. S’ils viraient au gris, je m’arrangeais pour ne pas être dans les parages, » Mani qui s'en veut aussi, ajoutant « j'étais stupéfait de constater que l'on pouvait se trahir soi-même, ça me rendait malade. » (page 336)
Les femmes ne sont pas mieux traitées,  instables comme Ethel et sa fille Lisa mariée un écrivain cyclothymique Robert Wangrow dit Bob ou fragiles comme les amies de Mani, Jessica ou Olivia et Chantal Mannakenis.

L'auteur décrit aussi la violence des individus -violence qui finira par se retourner contre Victor Sarramanga- conjuguée à la violence de la société, à la violence de ceux qui disposent du pouvoir, Stavros Mannakenis et Victor Sarramenga bien sûr :  « Ici, ce n'étaient pas seulement des politiciens, des juges, des banquiers ou la police qu'il avait à sa botte... » (page 380) Une violence sociale que l'auteur traite par petites touches comme cette enseignante dont les parents ont été ruinés par les magouilles de Victor Sarramenga ou les enfants des élites qui obtiennent le droit de repasser l'examen qu'ils avaient raté...

Philippe Djian précise qu'il s'agit d'un roman initiatique au sens où tous ses personnages « y font - durement - leur apprentissage de la vie. Ils découvrent que ce qu'ils désirent de toutes leurs forces ne peut pas se faire parce que c'est trop tôt ou trop tard. » Comme tous les jeunes, Mani se cherche et cherche une direction à sa vie, Vito voudrait bien revenir en arrière, dans les pas qu'il s'était tracés. Bob, l'écrivain en panne d'écriture, attend que l'inspiration revienne... En fait, tous recherchent quelque chose, insatisfait, qu'ils trouveront ou non selon le cas et selon les aléas de la vie quotidienne.

             
 « Il commençait à ne plus considérer la vie comme  une lente ascension mais comme un parcours brisé. » (page 205)
 
Philippe Djian et la corrida [3] :

Pour moi, il est évident que la corrida est à la fois représentation des âges de la vie et de la manière dont on peut avoir une vision de la vie en général. Il y avait longtemps que j’avais envie de bâtir un livre là-dessus. Donc, par le fait de raccorder les tercios aux âges de la vie — parce que dans mon livre il y a un jeune, un homme d’âge mûr, et un vieux — par la manière qu’ont les personnages de voir la vie, on entre dans l’arène et on croit que tout va bien se passer, on est plein de force et de fougue. Puis on reçoit le premier châtiment... J’ai l’impression que la vie se passe un peu comme cela. Ça correspondait donc pour moi à une espèce de représentation un peu allégorique de la vie. Le côté littéraire a fait seulement que les tercios sont dans le désordre.

J’ai du mal à parler sexualité sans parler de mort. C’est intimement mêlé mais d’une manière aussi incompréhensible que la corrida peut être incompréhensible. On peut avoir différentes approches de la corrida. On peut avoir une approche mystique... C’est très lié, le sang, et puis ce rapport entre le toro et le torero qui se rapprochent de plus en plus au fur et à mesure que la corrida évolue. Le torero s’avance si près qu’il va peut-être être mouillé du sang... S’il n’y a pas quelque chose de sexuel là-dedans !... Et la fin, c’est la pénétration complète. La beauté du costume, c’est aussi pour plaire à la bête. C’est presque un costume de marié, il va chercher son épouse. Mais ça, c’est peut-être seulement une vision d’écrivain... C’est pour cela peut-être que la corrida gêne beaucoup de gens. Ce n’est peut-être pas la mise à mort qui les gêne, mais tout ce côté inconscient de ce rapport un peu trouble entre l’homme et la bête. Ce qui me paraît très fort dans la corrida, c’est ce côté d’un torero qui a besoin de plaire. Il est bien habillé, il y a une cérémonie de l’habillage... 

Je pense à un mariage, une envie de plaire à l’autre, une affaire de séduction. Mais ça ne veut pas dire que j’aime la corrida. J’ai aussi voulu me démarquer de nombreux parisiens qui, après une course, clament qu’ils sont fous de corrida. A Nîmes notamment... C’est pour cela d’ailleurs que je n’y ai jamais mis les pieds. On ne va pas à la foire, lorsqu’on va à la corrida. Ce n’est pas non plus un défilé de mode, c’est pas la scène du Bataclan. Ce qui m’attire aussi dans la corrida, c’est cette sorte de métissage, de mélange des gens. Des gens qui communient ensemble, à ce moment-là. On ne voit pas cela à Roland-Garros. Pour moi, cela veut dire que la corrida est un spectacle important.

Notes et références
[1] Interview chez son éditeur à l'occasion de la parution de son roman
[2]  « J'allais avoir 18 ans dans deux mois, dit Manu, et venais de prendre de fermes résolutions : m'installer dans le canot de sauvetage et regarder sombrer le navire qui allait tous les engloutir. » (page 311)
[3] Interview de M. Darrieumerlou, Planétaires, 22/07/1993

Voir mes autres fiches sur Philippe Djian :
- Philippe Djian, "Impuretés" -- Philippe Djian, "Oh" (prix Interallié 2012) -- 
- Philippe Djian, Chéri-Chéri --

                   

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