samedi 14 février 2015

Alfonsina Storni et la poésie

<<<<<<<<<<<<< Poétesse et femme engagée •  >>>>>>>>>>>>

Issue d'un milieu bourgeois,  -fille d'un industriel-brasseur argentin- cette argentine d'origine italienne née en Suisse près de Lugano, [1] va avoir une courte vie bien remplie marquée par le théâtre et la poésie.
En 1912, enceinte et contrainte de se réfugier dans l'anonymat, elle se retrouvera enseignante à Buenos Aires, travaillant également avec un groupe de théâtre de jeunes.

À vingt-quatre ans, elle publie en 1920 un premier recueil de poèmes intitulé Écrits pour ne pas mourir… qu'elle dédie « à tous ceux qui, comme moi, n’ont jamais réalisé un seul de leurs rêves ».

      
                                               Timbre argentin à son effigie

Elle va rapidement s'engager, devenant institutrice pour enfants attardés, femme en vue des bibliothèques populaires du Partido Socialista de Buenos Aires, puis journaliste. Les milieux intellectuels de Buenos Aires la reçoivent bientôt comme une diva. Elle intègre d’abord le groupe de La Pena, dans cet aréopage d'écrivains comptant entre autres Jorge Luis Borges, Luigi  Pirandello, Marinetti, qui se réunissait au café Tortoni puis rejoint ensuite le groupe Signós qui lui, se réunissait à l'hôtel Castelar, où elle rencontre Ramon Gomez de la Serna et Federico García Lorca.
 
Le ton romantique de ses premiers poèmes, où elle exprime avec sensualité toute la tension et toute la passion des rapports ambivalents entre l'homme et la femme, laisse place vers la fin de sa vie à une poésie assez noire dans l'ensemble, axée sur deux thèmes majeurs : la mer et la mort. Thèmes récurrentes dans son œuvre où les flots ont tendance à tout submerger, de ses premiers écrits des années d'après-guerre comme Frente al mar et Un cementerio que mira al mar jusqu'à Alta mar en 1934 et à son "testament", rêve prémonitoire intitulé Moi au fond de la Mer. Ses derniers textes sont plus travaillés mais moins spontanés, moins marqués par la sensibilité de ses débuts. [2]


Entre ses deux périodes dominées par la poésie, elle s'est consacrée à l'écriture d'articles journalistiques et de comédies comme El amo del mundo en 1927 et Dos farsas pirotécnicas en 1932.

Est-ce vraiment prémonition ou volonté clairement mûrie, toujours est-il qu'Alfonsina Storni atteinte d'un cancer du sein depuis 1935 et se sentant diminuée, part s'installer dans un hôtel de Mar del Plata en octobre 1938 et se suicide comme dans son poème, entrant dans la mer jusqu'à progressivement s'y engloutir. Peut-être se remémore-t-elle le premier distique de son poème Dolor écrit 12 ans plus tôt :

« Je voudrais en cette soirée divine d'octobre
Longer la mer au-delà du rivage... »

Il se peut aussi que l'annonce en 1937 du suicide de son ami Horacio Quiroga, [3] ait joué un rôle dans sa décision, Horacio pour qui elle  écrira : 

« Mourir comme toi, Horacio, pleinement
Et comme dans tes nouvelles, voilà qui est bien;
Une détonation bienvenue et le spectacle est terminé …

Laissons-les dire... »

Cette tragique disparition à l'age de 46 ans, si romantique de la part d'une poétesse, va inspirer d'autres artistes, en particulier la chanson Alfonsina y el mar, composée par Ariel Ramírez et Félix Luna, [4] chantée par de nombreux interprètes comme, pour les Français, Nana MouskouriMaurane, Nicole Rieu ou Bernard Lavilliers qui la reprit en 2010 sous le titre Possession dans son album Causes perdues et musiques tropicales.

Alfonsina Storni est parvenue à conquérir le milieu artistique de Buenos Aires, milieu qui est alors l'apanage des hommes. Elle est tout ce qu'une femme n'est pas : poétesse, avant-gardiste, journaliste et mère célibataire, refusant les conventions. Elle combattra toujours pour que la place des femmes soit reconnue dans la société argentine et pour qu'elles puissent librement décider de leur vie.

Sa biographie
 La poésie d'Alfonsina Storni
Je vais dormir (Voy a dormir, 1938) [5]

Dents de fleurs, coiffe de rosée,
mains d’herbe, toi ma douce nourrice,
prépare les draps de terre
et l’édredon sarclé de mousse.
Je vais dormir, ma nourrice, berce-moi.
Pose une lampe à mon chevet;
une constellation, celle qui te plaît;
elles sont toutes belles : baisse-la un peu.

Laisse-moi seule : écoute se rompre les bourgeons…
un pied céleste te berce de tout là-haut
et un oiseau esquisse quelques voltes
pour que tu puisses oublier… Merci. Ah, une dernière chose :
s’il venait à me téléphoner
dis-lui qu’il n’insiste pas et que je suis sortie…


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Les barques
Penser que pourraient, ces fragiles barques
S’engloutir sous les flots, sans un soupir
Voir s’approcher, la gorge à l’air
L’Homme, le plus beau, sans désir d’amour
perdre la vue, distraitement
la perdre sans jamais la retrouver
Et, visage tendu entre ciel et plage
me sentir dans l’oubli éternel de la mer 

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Si cette nuit un baiser se pose sur tes yeux, voyageur,
Si un tendre soupir frissonne entre les branches,
Si une main délicate presse tes doigts
Te tient et te lâche, t'étreint et s'en va,

Si tu ne vois cette main, ni cette bouche qui embrasse,
Si c'est l'air qui tisse ce baiser de rêve,
Ô voyageur dont les yeux sont comme le ciel,
Dans le souffle du vent, me reconnaîtras-tu ?
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Affiche du film
Moi au fond de la mer
Au fond de la mer
il y a une maison de cristal.

Sur une avenue
de madrépores,
elle donne.
Un grand poisson d’or
à cinq heures
vient me saluer.
Il m’apporte
un bouquet rouge
de fleurs de corail.
Je dors dans un lit
un peu plus bleu
que la mer.
Son monument à Mar del Plata
Un poulpe
me fait des clins d’œil

à travers le cristal.
Dans le bois vert
qui m’entoure
-"din don din dan"-
se balancent et chantent
les sirènes
de nacre vert océan.
Et dessus ma tête
brûlent, dans le crépuscule,
les pointes hérissées de la mer.

Notes et références

[1] Elle est née le 29 mai 1892 à Sala Capriasca près de Lugano en Suisse, immigrant en Argentine à l'âge de 4 ans et décédée le 25 octobre 1938 à La Playa de la Perla, Mar del Plata en Argentine
[2] Souvent rattachée au courant du postmodernisme, elle a plutôt été influencée par Jorge Luis Borges et le poète nicaraguayen Ruben Dario.
[3] Horacio Quiroga est un écrivain uruguayen né en 1878 et mort à Buenos Aires en 1937
[4] Félix Luna a écrit Alfonsina y el mar en reprenant quelques vers de son dernier poème, sur une musique-boléro d'Ariel Ramirez
[5] Alfonsina Storni a écrit ce poème-testament 3 jours avant son suicide le 25 octobre 1938 en se noyant dans la mer à Mar del Plata en Argentine  

Bibliographie
* Recueil de poésies
 L'inquiétude du jardin des roses (La inquietud del rosal), 1916  --  La douce blessure (El dulce daño), 1918  --  Ocre (Ocre), 1925  --  Le monde des sept sources (El mundo de siete pozos), 1934  --  Mascarilla y trebol, 1938
* Pièces de théâtre

L'âme du monde (El amo del mundo), 1927  --  Dos farsas pirotecnicas, 1932

Références complémentaires
* Josephina Delgado, "Alfonsina Storni. L'essence d'une vie" (Una biografia esencial), 2001, réédition 2010
* "Alfonsina", film de Christoph Kühn avec Elda Guidinetti, Hernan Musaluppi... sur la vie et la carrière d'Alfonsina Storni, au-delà du mythe qu'elle représente.
* "Obra poetica completa", son oeuvre poétique, 1961
* "Nosotras y la piel", sélection de ses essais, publiée en 1998

* Voir aussi 
*
Ma fiche sur Anne Wiazemsky, Tina Modotti --
* Mon site "Portraits de femmes"


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