« La science est grossière, la vie est subtile, et c’est pour corriger cette distance que la littérature nous importe. » Leçon, "Roland Barthes par Roland Barthes"
Roland
Barthes, centenaire de sa naissance le 12 novembre 1915 mais aussi
35 ans après son décès accidentel, qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Pour ceux de sa génération, Roland Barthes est une voix, celle de ses émissions radiophoniques puis de ses cours au Collège de France. C’est aussi et toujours une langue, « un objet social par définition » écrit-il dans Le degré zéro de l’écriture. Il y explique que l’œuvre prime l’auteur, sa biographe ne pouvant qu’éclairer son œuvre.
Pour ceux de sa génération, Roland Barthes est une voix, celle de ses émissions radiophoniques puis de ses cours au Collège de France. C’est aussi et toujours une langue, « un objet social par définition » écrit-il dans Le degré zéro de l’écriture. Il y explique que l’œuvre prime l’auteur, sa biographe ne pouvant qu’éclairer son œuvre.
Inclassable sans doute
car comme l’écrivit son éditeur Eric
Marty, « Barthes a toujours eu
le souci d’être un individu multiple. » Il se méfie du langage qui
peut signifier bruit inutile ou volonté d’imposer sa loi. Moi écrit-il, « c’est le frisson de sens que
j’interroge en écoutant le bruissement du langage qui est ma Nature à moi,
homme moderne. »
«
Écrire la littérature révolutionnaire d’un monde qui ne l’est plus »
La polémique s’est amorcée quand ce "béotien" a
osé commettre un essai intitulé Sur
Racine. Lui qui n’avait pas pu suivre ses études pour cause de tuberculose
dérangeait les usages d’universitaires comme Raymond Picard qui dirigea la fronde contre Barthes et le traita d’imposteur dans un pamphlet publié en 1965. En
fait, Roland Barthes est considéré
comme "illégitime" pour porter une analyse sur un classique comme Racine. D’autant plus qu’il récidive
avec un nouveau texte Essais critiques consacré à Brecht, La Bruyère et Voltaire.
Il répondra aussi aux attaques avec un autre texte Critique et vérité,
annonçant en couverture « Faut-il
brûler Barthes ? »
Si l’on a pu dire que son œuvre c’est la vie, c’est par
paraphrase car très tôt il a été confronté à la maladie et à la mort. Son père
d’abord, disparu en mer pendant la Grande guerre en 1915. Au sortir de
l’adolescence, il perd son ami, son premier amour, un garçon de son âge atteint
de tuberculose. Lui-même en est aussi victime, ce qui l’affectera durablement. Sa
mère, sa très chère mère, mourut peu de temps avant lui et il lui rendra un
vibrant hommage dans un volume posthume intitulé Journal de deuil.
Au-delà de la mort, il recherchera les principes de vie.
Dans son livre sur Michelet, il définit l’historien comme celui « qui a renversé le temps, qui revient
en arrière, à la place des morts et recommence leur vie. […] Il tisse ensemble
les fils de toutes les vies, il noue la grande fraternité des morts. »
« Le
langage, qui transmet la vérité, en est aussi le masque. »
Marc Lambron
Marc Lambron
Roland
Barthes est attiré par des écrivains comme Albert Camus et Alain
Robbe-Grillet, ce qui n’empêche nullement entre eux des échanges sans
concessions. Dans une étude sur L’Étranger, il voit « un livre qui n’a pas de style mais
est bien écrit. » Paradoxe. « C’est
une voix blanche », manière de prendre ses distances vis-à-vis des
principes du roman classique. Il aime cette originalité, il y goûte « toute la chaleur, le lyrisme qu’on y
découvre. » Il pense pouvoir jeter un regard NEUTRE sur le
monde, refuse l’idée que l’homme puisse « remonter
le long de son passé » et estime qu’il part « d’une sorte d’état zéro qui saisit le temps et l’espace »
idée qui préfigure ce que sera son œuvre la plus connue "Le
degré zéro de l’écriture".
Comme par défi, il écrit son autobiographie (à sa manière) Roland
Barthes par Roland Barthes dont il dit par paradoxe « Tout ceci doit être considéré comme
dit par un personnage de roman », passant de l’autobiographie à
l’autofiction.
Un homme multiple certes, qui se voulait comme tel. Tour à
tour philosophe, sémiologue, sociologue… pratiquant la musique et la peinture. Briser
les catégories et déchirer les étiquettes. Avec ses amis de la French
Touch, Lacan, Deleuze et Foucault, il refuse de se couler dans une seule fonction. Son
éditeur Éric Marty dira : « La principale caractéristique de la
modernité de Barthes, c’est de se
déplacer sans arrêt, de ne pas tomber dans une nouvelle métaphysique, de ne pas
figer une pensée. »
S’il n’aime pas l’activisme sartrien ou les tracts trop
faciles, sa dénonciation de l’ordre universitaire (son De Racine en particulier) a eu un fort impact sur le monde
étudiant. Il est aussi impliqué dans le théâtre défendant ses conceptions dans
des éditoriaux de la revue Théâtre populaire, soutenant le TNP et l’œuvre de Brecht.
Roland
Barthes par Philippe Sollers
Sollers et Barthes en Chine |
Selon Sollers, la
prise de conscience politique de Barthes,
date de la manifestation de l’extrême-droite le 6 février 1934. Il réagit
en fondant un groupe antifasciste avec ses amis du lycée. Il a 19 ans et part
de cette expérience pour analyser la façon dont la société se représente. En ce
sens, il est un pionnier dans la description de la société du spectacle.
Barthes n’a
jamais été tenté de choisir entre communisme et fascisme ; il intitulera
un de ses cours au Collège de France Le Neutre.
Il ne supportait pas la langue de bois de la société –lui à qui le langage
importait tant- et le bavardage médiatique, ce qu’il appelait le "babil".
Pour Sollers, deux hommes savaient ce que parler veut dire : Barthes et Lacan. Il n’ y a rien entre la société du spectacle et du fric et l’acculturation accentuée des masses générant une certaine mégalomanie, ce qu’il nomme « l’arrogance des paumés. » Il pensait qu’on était entré depuis des années dans une société de surveillance, ce qui rappelle le « Surveiller et punir » cher à Michel Foucault. La question de la mort qui le hanta toujours se noua lors du décès de sa mère, phase douloureuse qu’il relata avec une poignante émotion dans Le journal de deuil.
Pour Sollers, deux hommes savaient ce que parler veut dire : Barthes et Lacan. Il n’ y a rien entre la société du spectacle et du fric et l’acculturation accentuée des masses générant une certaine mégalomanie, ce qu’il nomme « l’arrogance des paumés. » Il pensait qu’on était entré depuis des années dans une société de surveillance, ce qui rappelle le « Surveiller et punir » cher à Michel Foucault. La question de la mort qui le hanta toujours se noua lors du décès de sa mère, phase douloureuse qu’il relata avec une poignante émotion dans Le journal de deuil.
Dans son essai en forme d’autobiographie, Roland
Barthes par Roland Barthes, il fait un pêle-mêle de « J’aime,
je n’aime pas. » Il aime des tas de choses comme « le coude de l’Adour vu de la maison du docteur L », il déteste aussi
beaucoup de choses comme « les
soirées avec des gens que je ne connais pas ». En fait, de ses goûts,
personne ne s’en soucie, et pourtant, ceci marque aussi sa différence, son
altérité. Le couple goûts-dégoûts est à la fois intime et sans signification,
obligeant chacun à accepter, sans pression, « à
rester silencieux et courtois devant des jouissances et des refus »
que l’Autre ne partage pas.
« L’incohérence
est préférable à l’ordre qui déforme. » Roland
Barthes par Roland Barthes
Roland
Barthes fut également un voyageur ouvert sur d’autres cultures.
Avec son ami Jacques Veil, qui sera
assassiné par la Gestapo à Marseille en 1944, il voyage en Grèce
durant l’été 1938. Mais jusqu’à la Libération, il multipliera les
séjours en sanatoriums après une grave rechute de sa tuberculose. Sa santé
recouvrée, il part en poste à l’Institut français de Bucarest, à Alexandrie en Égypte puis en 1969 à
l’université de Rabat au Maroc.
Ses voyages le conduiront jusqu’au Japon à trois reprises dans les années soixante, qu’il transcrira
dans son essai L’Empire des signes, et à deux reprises aux États-Unis
où il enseignera aussi à Baltimore. C’est au cours d’un séjour en Italie qu’il rencontrera les deux
écrivains Alberto Moravia et Italo
Calvino. En 1974, c’est la Chine avec ses amis Philippe Sollers et Julia Kristeva, publiant après son
retour dans Le Monde un article intitulé Alors, la Chine.
« L’écriture
commence là où la parole devient impossible. » Œuvres
complètes III page 887
Les deux dernières années de sa vie, il développe un cours
au Collège
de France sur La préparation du roman, prenant la
fiction pour sujet, il tente comme l’écrivit Éric Marty, « d’inventer
des formes indirectes capables de produire du roman. »
Le 25 février 1980, peu après la parution de La Chambre claire, devant son cher Collège de France, il est renversé par une camionnette et décède le mois suivant à l’hôpital de La Salpêtrière. Il repose dans le village d’Urt près de Bayonne où il a passé sa jeunesse et où il avait sa maison.
Le 25 février 1980, peu après la parution de La Chambre claire, devant son cher Collège de France, il est renversé par une camionnette et décède le mois suivant à l’hôpital de La Salpêtrière. Il repose dans le village d’Urt près de Bayonne où il a passé sa jeunesse et où il avait sa maison.
Ouvrages
de Barthes cités dans cet article
* Le degré zéro de l’écriture, 1953, éditions Points, 2014
* Michelet, 1954, nouvelle édition Michelet par lui-même, Le Seuil, 188 pages, 1995
* Sur Racine, 1963, nouvelle édition, Points Essais, 169 pages, 2014
* Essais critiques, 1964, Points, 288 pages, 2015
* Critique et vérité, 1966, Points Essais, 85 pages, 2015
* L’empire des signes, 1970, Le Seuil, 160 pages, 2015
* Roland Barthes par Roland Barthes, 1975, Points Essais, 256 pages, 2014
* La chambre claire, Le Seuil/Gallimard, Cahiers de cinéma, 200 pages, 1980
* Journal de deuil, texte annoté par Nathalie Léger, Points, 268 pages, 2002
* Le Neutre, cours au Collège de France, sous la direction d’Éric Marty, Le Seuil, collection Traces écrites, 265 pages, 2002
* Le degré zéro de l’écriture, 1953, éditions Points, 2014
* Michelet, 1954, nouvelle édition Michelet par lui-même, Le Seuil, 188 pages, 1995
* Sur Racine, 1963, nouvelle édition, Points Essais, 169 pages, 2014
* Essais critiques, 1964, Points, 288 pages, 2015
* Critique et vérité, 1966, Points Essais, 85 pages, 2015
* L’empire des signes, 1970, Le Seuil, 160 pages, 2015
* Roland Barthes par Roland Barthes, 1975, Points Essais, 256 pages, 2014
* La chambre claire, Le Seuil/Gallimard, Cahiers de cinéma, 200 pages, 1980
* Journal de deuil, texte annoté par Nathalie Léger, Points, 268 pages, 2002
* Le Neutre, cours au Collège de France, sous la direction d’Éric Marty, Le Seuil, collection Traces écrites, 265 pages, 2002
Ouvrages
sur Roland Barthes
* Louis Jean Calvet, Roland Barthes 1915-1980, Flammarion, 1990, réédition 2014, 339 pages
* Chantal Thomas, Pour Roland Barthes, Le Seuil, 64 pages, 2015
* Fanny Lorent, Barthes et Robbe-Grillet, un dialogue critique, Les impressions nouvelles, 233 pages, 2015
* Philippe Sollers, L’amitié de Roland Barthes, Le Seuil, 2015
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* Pierre Bourdieu, le retour --
Les leaders de la "French Touch"
Derrida, Barthes, Lacan, Foucault, Deleuze et Lyotard
* Louis Jean Calvet, Roland Barthes 1915-1980, Flammarion, 1990, réédition 2014, 339 pages
* Chantal Thomas, Pour Roland Barthes, Le Seuil, 64 pages, 2015
* Fanny Lorent, Barthes et Robbe-Grillet, un dialogue critique, Les impressions nouvelles, 233 pages, 2015
* Philippe Sollers, L’amitié de Roland Barthes, Le Seuil, 2015
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