samedi 5 septembre 2015

Roland Barthes Centenaire 2015

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« La science est grossière, la vie est subtile, et c’est pour corriger cette distance que la littérature nous importe. » Leçon, "Roland Barthes par Roland Barthes" 

Roland Barthes, centenaire de sa naissance le 12 novembre 1915 mais aussi 35 ans après son décès accidentel, qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Pour ceux de sa génération, Roland Barthes est une voix, celle de ses émissions radiophoniques puis de ses cours au Collège de France. C’est aussi et toujours une langue, « un objet social par définition » écrit-il dans Le degré zéro de l’écriture. Il y explique que l’œuvre prime l’auteur, sa biographe ne pouvant qu’éclairer son œuvre. 

Inclassable sans doute car comme l’écrivit son éditeur Eric Marty, « Barthes a toujours eu le souci d’être un individu multiple. » Il se méfie du langage qui peut signifier bruit inutile ou volonté d’imposer sa loi. Moi écrit-il, « c’est le frisson de sens que j’interroge en écoutant le bruissement du langage qui est ma Nature à moi, homme moderne. »

« Écrire la littérature révolutionnaire d’un monde qui ne l’est plus »

La polémique s’est amorcée quand ce "béotien" a osé commettre un essai intitulé Sur Racine. Lui qui n’avait pas pu suivre ses études pour cause de tuberculose dérangeait les usages d’universitaires comme Raymond Picard qui dirigea la fronde contre Barthes et le traita d’imposteur dans un pamphlet publié en 1965. En fait, Roland Barthes est considéré comme "illégitime" pour porter une analyse sur un classique comme Racine. D’autant plus qu’il récidive avec un nouveau texte Essais critiques consacré à Brecht, La Bruyère et Voltaire. Il répondra aussi aux attaques avec un autre texte Critique et vérité, annonçant en couverture « Faut-il brûler Barthes ? »

Si l’on a pu dire que son œuvre c’est la vie, c’est par paraphrase car très tôt il a été confronté à la maladie et à la mort. Son père d’abord, disparu en mer pendant la Grande guerre en 1915. Au sortir de l’adolescence, il perd son ami, son premier amour, un garçon de son âge atteint de tuberculose. Lui-même en est aussi victime, ce qui l’affectera durablement. Sa mère, sa très chère mère, mourut peu de temps avant lui et il lui rendra un vibrant hommage dans un volume posthume intitulé Journal de deuil.

Au-delà de la mort, il recherchera les principes de vie. Dans son livre sur Michelet, il définit l’historien comme celui « qui a renversé le temps, qui revient en arrière, à la place des morts et recommence leur vie. […] Il tisse ensemble les fils de toutes les vies, il noue la grande fraternité des morts. »

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« Le langage, qui transmet la vérité, en est aussi le masque. »
   Marc Lambron


Roland Barthes est attiré par des écrivains comme Albert Camus et Alain Robbe-Grillet, ce qui n’empêche nullement entre eux des échanges sans concessions. Dans une étude sur L’Étranger, il voit « un livre qui n’a pas de style mais est bien écrit. » Paradoxe. « C’est une voix blanche », manière de prendre ses distances vis-à-vis des principes du roman classique. Il aime cette originalité, il y goûte « toute la chaleur, le lyrisme qu’on y découvre. » Il pense pouvoir jeter un regard NEUTRE sur le monde, refuse l’idée que l’homme puisse « remonter le long de son passé » et estime qu’il part « d’une sorte d’état zéro qui saisit le temps et l’espace » idée qui préfigure ce que sera son œuvre la plus connue "Le degré zéro de l’écriture".

Comme par défi, il écrit son autobiographie (à sa manière) Roland Barthes par Roland Barthes dont il dit par paradoxe « Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman », passant de l’autobiographie à l’autofiction. 

Un homme multiple certes, qui se voulait comme tel. Tour à tour philosophe, sémiologue, sociologue… pratiquant la musique et la peinture. Briser les catégories et déchirer les étiquettes. Avec ses amis de la French Touch, Lacan, Deleuze et Foucault, il refuse de se couler dans une seule fonction. Son éditeur Éric Marty dira : « La principale caractéristique de la modernité de Barthes, c’est de se déplacer sans arrêt, de ne pas tomber dans une nouvelle métaphysique, de ne pas figer une pensée. »  

S’il n’aime pas l’activisme sartrien ou les tracts trop faciles, sa dénonciation de l’ordre universitaire (son De Racine en particulier) a eu un fort impact sur le monde étudiant. Il est aussi impliqué dans le théâtre défendant ses conceptions dans des éditoriaux de la revue Théâtre populaire, soutenant le TNP et l’œuvre de Brecht.

Roland Barthes par Philippe Sollers

Sollers et Barthes en Chine
« Ce qui est intéressant dans le cas de Barthes, c’est que sa critique n’est jamais idéologique, nourrie d’un quelconque espoir en vue de l’avenir. Ça c’est le rôle de Sartre. » Sollers 

Selon Sollers, la prise de conscience politique de Barthes, date de la manifestation de l’extrême-droite le 6 février 1934. Il réagit en fondant un groupe antifasciste avec ses amis du lycée. Il a 19 ans et part de cette expérience pour analyser la façon dont la société se représente. En ce sens, il est un pionnier dans la description de la société du spectacle.

Barthes n’a jamais été tenté de choisir entre communisme et fascisme ; il intitulera un de ses cours au Collège de France Le Neutre. Il ne supportait pas la langue de bois de la société –lui à qui le langage importait tant- et le bavardage médiatique, ce qu’il appelait le "babil". 

Pour Sollers, deux hommes savaient ce que parler veut  dire : Barthes et Lacan. Il n’ y a rien entre la société du spectacle et du fric et l’acculturation accentuée des masses générant une certaine mégalomanie, ce qu’il nomme « l’arrogance des paumés. » Il pensait qu’on était entré depuis des années dans une société de surveillance, ce qui rappelle le « Surveiller et punir » cher à Michel Foucault. La question de la mort qui le hanta toujours se noua lors du décès de sa mère, phase douloureuse qu’il relata avec une poignante émotion dans Le journal de deuil

Dans son essai en forme d’autobiographie, Roland Barthes par Roland Barthes, il fait un pêle-mêle de « J’aime, je n’aime pas. » Il aime des tas de choses comme « le coude de l’Adour vu de la maison du docteur L », il déteste aussi beaucoup de choses comme « les soirées avec des gens que je ne connais pas ». En fait, de ses goûts, personne ne s’en soucie, et pourtant, ceci marque aussi sa différence, son altérité. Le couple goûts-dégoûts est à la fois intime et sans signification, obligeant chacun à accepter, sans pression, « à rester silencieux et courtois devant des jouissances et des refus » que l’Autre ne partage pas.

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« L’incohérence est préférable à l’ordre qui déforme. » Roland Barthes par Roland Barthes

Roland Barthes fut également un voyageur ouvert sur d’autres cultures. Avec son ami Jacques Veil, qui sera assassiné par la Gestapo à Marseille en 1944, il voyage en Grèce durant l’été 1938. Mais jusqu’à la Libération, il multipliera les séjours en sanatoriums après une grave rechute de sa tuberculose. Sa santé recouvrée, il part en poste à l’Institut français de Bucarest, à Alexandrie en Égypte puis en 1969 à l’université de Rabat au Maroc.

Ses voyages le conduiront jusqu’au Japon à trois reprises dans les années soixante, qu’il transcrira dans son essai L’Empire des signes, et à deux reprises aux États-Unis où il enseignera aussi à Baltimore.  C’est au cours d’un séjour en Italie qu’il rencontrera les deux écrivains Alberto Moravia et Italo Calvino. En 1974, c’est la Chine avec ses amis Philippe Sollers et Julia Kristeva, publiant après son retour dans Le Monde un article intitulé Alors, la Chine.

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« L’écriture commence là où la parole devient impossible. » Œuvres complètes III page 887

Les deux dernières années de sa vie, il développe un cours au Collège de France sur La préparation du roman, prenant la fiction pour sujet, il tente comme l’écrivit Éric Marty, « d’inventer des formes indirectes capables de produire du roman. »
Le 25 février 1980, peu après la parution de La Chambre claire, devant son cher Collège de France, il est renversé par une camionnette et décède le mois suivant à l’hôpital de La Salpêtrière. Il repose dans le village d’Urt près de Bayonne où il a passé sa jeunesse et où il avait sa maison.


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Ouvrages de Barthes cités dans cet article
* Le degré zéro de l’écriture, 1953, éditions Points, 2014
* Michelet, 1954, nouvelle édition Michelet par lui-même, Le Seuil, 188 pages, 1995
* Sur Racine, 1963, nouvelle édition, Points Essais, 169 pages, 2014
* Essais critiques, 1964, Points, 288 pages, 2015
* Critique et vérité, 1966, Points Essais, 85 pages, 2015
* L’empire des signes, 1970, Le Seuil, 160 pages, 2015
* Roland Barthes par Roland Barthes, 1975, Points Essais, 256 pages, 2014
* La chambre claire, Le Seuil/Gallimard, Cahiers de cinéma, 200 pages,  1980
* Journal de deuil, texte annoté par Nathalie Léger, Points, 268 pages, 2002
* Le Neutre, cours au Collège de France, sous la direction d’Éric Marty, Le Seuil, collection Traces écrites, 265 pages, 2002


Ouvrages sur Roland Barthes
* Louis Jean Calvet, Roland Barthes 1915-1980, Flammarion, 1990, réédition 2014, 339 pages
* Chantal Thomas, Pour Roland Barthes, Le Seuil, 64 pages, 2015
* Fanny Lorent, Barthes et Robbe-Grillet, un dialogue critique, Les impressions nouvelles, 233 pages, 2015
* Philippe Sollers, L’amitié de Roland Barthes, Le Seuil, 2015


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