samedi 29 août 2015

Vaclav Havel, Lettres à Olga

Référence : Vaclav Havel, Lettres à Olga, traduction Jan Rubes, collection Regards croisés, éditions de l’Aube, 1990 (édition originale 1985), isbn 2 87678 048 8 

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« L’homme est un éternel révolté » Franz Kafka (cité page 49)

Vaclav Havel, né à Prague en 1936, dramaturge tchèque et ancien président de la république (après la chute du communisme) a longtemps été un dissident qui a connu les prisons communistes à plusieurs reprises. Leader des démocrates tchèques, porte-parole de la Charte 77, c’est aussi l’un des maîtres du théâtre de l’absurde, des pièces parmi lesquelles Interrogatoire à distance ou L’amour et la vérité doivent triompher de la haine et du mensonge.

Condamné à 4 ans et demi de prison (de 1979 à 1983) pour "menées anticommunistes", Vaclav Havel a patiemment assemblé des notes pour envoyer  à sa femme Olga sa « lettre hebdomadaire de quatre feuillets sans rature » autorisée par l’administration pénitentiaire.

Ce livre rassemble cette correspondance qui, malgré la censure, parle de la prison, de l’enfermement, ses difficultés, ses besoins et ses problèmes de santé, ses problèmes pour écrire, sa vision du monde à travers cette épreuve. Si les soucis et les notations personnelles dominent, ces lettres sont aussi l’occasion pour lui d’une réflexion sur sa conception du monde et du théâtre. Le théâtre, toujours présent dans son esprit, il imagine sa prochaine pièce avec « trois personnages qui ne diront que des banalités –tout devrait donc se trouver dans les sous-entendus. » (p. 68)  

Elles sont aussi un portrait en creux de l’auteur qui est, envers et contre tout, ouvert au monde et aux autres, gardant un optimisme qui l’étonne lui-même, écrivant « Je ne spéculais pas sans arrêt sur ce que je suis… j’avais beaucoup plus de certitudes internes harmonieuses. » Il aborde parfois ses impressions, disant : « En préventive, je me trouvais dans une sorte de "non univers", dans un espace vide. Maintenant, le contraste est plus brutal… »   

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« Ce qui m’intéresse, c’est le lien avant tout "poétique". »

De sa prison, il dit « Je vis dans un monde tout à fait différent du vôtre » (le monde extérieur) et se trouve déstabilisé quand Olga vient le voir au parloir. Il reste cependant constamment attentif au monde extérieur, demandant à sa femme des nouvelles de tous leurs amis, de lui parler d’elle et  de ses journées, même si elle a horreur d’écrire.

À propos de sa pièce L’hôtel de montagne, il dit que « la désagrégation de l’identité humaine équivaut à la rupture de la continuité existentielle et donc à la désagrégation du temps… » Le temps et l’espace deviennent relatifs, hasardeux, indépendants… » L’hôtel de montagne, ajoute-t-il, « est une pièce-en-soi », vide de personnages et de trame narrative « où le sujet en est la structure, la construction mathématique… » Si en tant que texte la pièce n’a pas de sens, elle peut en prendre par le jeu d’acteurs et la mise en scène.

Généralisant sur son travail d’écrivain, il dit que « j’ai toujours vu le sens de mon travail dans la possibilité de "jeter le spectateur dans sa propre situation", de "l’ouvrir" face aux réflexions sur sa pièce et de le pousser à une compréhension plus profonde. »
 
« Le mystère de l’homme est le mystère de sa responsabilité. »

C’est la lecture de L’Étranger d’Albert Camus qui lui permet de revenir sur cette notion de responsabilité.  « L’Étranger, écrit-il,  n’est pas un homme sans responsabilités mais un homme qui refuse de se soumettre à un ordre conventionnel… qui n’accepte que les devoirs qui sont l’expression authentique de sa responsabilité propre […]  L’Étranger n’a pas été exécuté pour avoir fait ce qu’il a fait mais pour avoir refusé de se soumettre. »
Les problèmes de l’existence humaine se centrent autour des aspects de l’identité, « la clef du problème de l’identité résidant dans la responsabilité. » (page 168)  

Pour lui, « le théâtre n’est pas seulement un jeu, un metteur en scène, des acteurs, des spectateurs et une salle, il représente beaucoup plus… une forme de prise de conscience insérée de façon unique dans l’espace et le temps concrets. » (page 142) Touts ses pièces sont des variations sur le thème de l’identité, plus précisément la décomposition de l’intégrité de l’homme et la perte de la signification profonde de l’existence humaine.

« La prison est (entre autres) une grande école de maîtrise de soi. »

Cette maîtrise signifie capacité de se dominer, de ne plus envier, de rester calme, de garder espoir, de ne pas s’apitoyer sur soi-même et accepter les conséquences de son comportement…

En prison, son émotivité est particulièrement élevée –peut-être la rançon de l’écrivain- « je vis plus intensément que les autres et, dans un sens, je paie plus cher pour tout. » La censure, tatillonne et incompréhensible, est toujours pesante. Lui si sensible et dont correspondre est vital, voit certains courriers confisqués, d’autres caviardés, les lettres reprises par l’administration après lecteur. Autant de brimades aussi insupportables que le plus souvent inutiles. Lui-même est contraint à une grande prudence pour éviter que ses lettres soient refusées.

Pouvoir vivre en prison, c’est se créer une discipline, une espèce de refondation du moi –« son programme d’autotraitement »- qui concerne aussi bien les petites que les grandes choses. Exemple du rituel du thé qui lui permet d’exprimer sa liberté, seul moment de liberté qu’il ressent comme telle, combiné à un autre ressenti, celui d’un temps libre, celui de la vie extravertie et sociale.  

« Le phénomène de perte de liberté est plus difficile à saisir dans sa structure et dans ses conséquences et plus mystérieuse qu’il ne pourrait sembler à ceux qui vivent dehors. » L’emprisonnement fait que "la vie d’avant" entre lentement dans un flou qui s’épaissit, qui apparaît comme un "paradis perdu", mais en même temps, le phénomène prend du sens, permet de rester dans le concret, centré sur le présent, qu’il nomme « un mécanisme d’autodéfense existentielle. »

« Écris sur moi-même » (p 199)

« J’ai appris à prévoir pour que ce milieu (la prison) cesse d’être énigmatique, obscur et incertain, comme au début. » (page 194)
Havel émet quelques doutes sur l’introspection, « comment en se regardant, se défaire du jugement que l’on porte sur soi tout en restant soi-même ? » Il dresse cependant la liste des côtés positifs et négatifs de ses sentiments. 

Des sentiments négatifs, il liste : la mélancolie, la mauvaise humeur et l’angoisse provenant de l’incertitude ressentie, l’inertie et l’apathie qui mènent à l’indifférence, le doute de soi et de ses capacités, l’angoisse de l’emploi de son temps libre, les réactions colériques et l’aliénation/absurdité dans l’absence de sens.

Cette analyse l’amène à penser à son enfance, le sentiment d’infériorité qui l’habitait alors, lui le gros, le fils de riche ; d’où le sentiment d’exclusion, de culpabilité qui l’anime alors et l’oblige à justifier des actes. L’aspect positif est que cet état d’esprit l’oblige aussi à se remettre en question. La volonté de surmonter toutes les difficultés auxquelles il est confronté fortifie sa capacité à réagir.


Son « rapport problématique à l’ordre » peut paradoxalement mener à la dépression ou l’aider à recréer de l’ordre, ce qui peut l’entraîner dans des situations ingérables. Le milieu carcéral finit par envahir tout sa vie, y compris sa vie intérieure, ses pensées et ses rêves. En ce sens, c’est un milieu totalitaire.

L’intégrité de la personne (son Moi profond) est la résultante de la continuité de ses actes. Elle se trouve alors en accord avec l’espace et le temps alors que dans le cas contraire, ils se désagrègent et affectent plus ou moins la personnalité. « En ce sens, écrit-il, la responsabilité établit l’identité. 

« L’uniformité, c’est la mort »

« L’indifférence à la question du sens, l’uniformisation forcée… n’est qu’un reflet de la tendance de l’univers à la mort par entropie. »

Autre paradoxe : L’ordre n’est créateur que quand il est un moyen et peut renfermer les ferments d’un ordre supérieur (« les structures supérieures ») pour une remise en cause qui implique un nouveau sens intégré dans ce que Havel appelle « l’ordre de vie ». (pages 230-31)
L’espoir ne se réfugie pas dans le rêve, il y réside, le rêve représentant le vecteur favori de la projection vers l’extérieur et vers "l’après incarcération".

Les  bonnes résolutions, les visions idylliques de retour à la "vie civile" ne sont que « l’expression banale d’une banale psychose de prison » comme les résolutions jamais tenues des personnages de Tchekhov. Moins on n’a d’illusions idiotes en prison, plus la réintégration de la vie normale devrait en être facilitée.


Le prisonnier -"l’enfermé" comme on appelait Blanqui- se fait son cinéma, des scènes de vacances, de plages baignées de soleil et ombrées de cocotiers, des poncifs publicitaires, des spots idylliques où tout est éternellement beau. Mais ça ne dure pas. Après vient un sentiment de vide, tout espoir de se raccrocher à une image positive devient évanescent.

 Sa conception du théâtre

Sa "vocation" d’auteur dramatique est avant tout « une combinaison de circonstances ». Mais il sait qu’il continuera tant qu’il sera "excité" par une idée à exploiter.

Selon lui, une pièce doit d’abord surprendre le public. « Il y a dans le théâtre une perception collective qui est une forme de relation humaine. » L’homme exerce une réflexion sue lui-même, capable de "sortir de soi" et de s’observer. Il croit à l’importance des grandes conventions sur lesquelles le théâtre s’appuie et s’en affranchit par la suite, « plus le processus s’en affranchit et plus il peut devenir suggestif. » (P. 290) 

Il n’aime pas les mises en scène artificielles qui sont censés rapprocher le public (déplacer la scène, supprimer l’avant-scène), gênantes parce qu’elles déstructurent la relation acteurs-spectateurs. C’est d’abord le sens qui l’intéresse, « Toute œuvre de l’esprit est une réaffirmation du miracle de l’Être, une re-création du monde… »

Formation de la personnalité

Son expérience, en particulier les épisodes malheureux de sa vie qui l’ont finalement renforcé, l’a amené à différencier ce qui à partir de la "séparation originelle", lui ont permis d’affermir son Moi ou qu’il a mal vécus, mal négociés, comme cette réponse à des interrogatoires policiers dont il estime qu’elle l’a desservi et donner de lui une mauvaise image à l’extérieur, et qu’il rattache pour cette raison au Non-moi

Il tente ainsi, surtout dans la dernière partie de l’ouvrage, de s’expliquer sur son évolution et d’en donner une analyse métaphysique :  
« La vie consiste ainsi en un balancement ininterrompu entre l’inaccessibilité de l’être et l’existence, la recherche de ce qu’on ne peut jamais entièrement trouver : le mode de vie qui permet de satisfaire aux exigences de l’existence sans s’abandonner entièrement à cette existence. […] Car l’existence est la tentation de se laisser entraîner dans le monde des choses, du superficiel du narcissisme… S’abandonner à l’existence dans le monde est au fond s’abandonner au non-moi.

En tendant vers l’Être, on arrive à la quête fondamentale de l’existence, celle du sens. »
(pages 374-376)

<< Christian Broussas • Havel• ° Roissiat ° © CJB  °° • 05/09/2015 >>

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