mardi 13 octobre 2015

Toni Morrison Délivrances

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Toni Morrison, "Délivrances", traduction de Christine Laferrière, édition Christian Bourgois, 197 pages

Toni Morrison ressent cette pression du temps, cette urgence d’écrire que lui dicte son âge, a-t-elle dit dans une interview. [1] D’où des romans assez courts mais denses, d’où son souci de dire l’essentiel en peu de mots, de resserrer son écriture pour la "dégraisser" de tout l’accessoire. « Il faut que je fasse vite, donc que j'écrive court  » a-t-elle ajouté.

Son dernier roman "Délivrances" n’échappe par à cette règle non écrite qu’elle s’est imposée. Elle y dresse le portrait de Lulla Ann Bridewell, fille de « mulâtres au teint blond », que sa mère n’aime pas parce qu’elle la trouve beaucoup trop noire. Un texte ramassé qui traite comme souvent chez Morrison d'enfances foulées au pied que seul l’amour peut sauver.

Et en effet, Lulla Ann Bridewell a une peau très noire, ce que ses parents, ces « mulâtres à peau claire », ont très mal supporté. Le père est parti et la mère se force à élever cette fille qu’elle rejette. Mais elle va se sentir fière d’elle quand Lulla interviendra dans une histoire d'agression sexuelle sur des enfants, où elle fait un faux témoignage contre son institutrice.

Quinze ans ont passé.  Maintenant, elle se fait appeler Bride et ne passe pas inaperçue avec ses tenues blanches sur sa peau noire. Elle a pris de l’assurance, sort avec Booker et dirige une entreprise de cosmétiques prospère "Toi, ma belle". Elle représente apparemment un exemple de réussite sociale marquée par des signes extérieurs comme être au volant de sa superbe jaguar. Comme l'écrit Laurent Raphaël dans Focus, « Bride est le produit phare d'une société qui semble avoir digéré la diversité. » [2]

Mais on peut se demander ce que cache cette belle assurance car sa vie va basculer le jour où Booker, marqué par la mort de son frère, disparaît et où elle décide de revoir l’institutrice qu'elle a envoyée en prison d'où elle vient de sortir.

Le roman bascule aussi dans la métaphore quand Bride constate une mutation de son corps qui rétrécit jusqu’à ce qu’elle redevienne petite fille. Elle entreprend alors une espèce de voyage initiatique, rencontrant Rain, la petite fille adoptée, Queen, la tante de Booker, une femme si rassurante, se débarrassant des oripeaux de sa propre vie pour lui permettre de tourner la page, de commencer une nouvelle vie.

« Il est important que mon œuvre soit afro-américaine », a-t-elle déclaré au New York Times.  On y trouve bien en effet la marque des contes africains conjuguée à une peinture réaliste et minutieuse de la société américaine contemporaine.

On retrouve dans "Délivrances" ses thèmes favoris comme l'enfance, la famille et le racisme qu’elle a douloureusement vécus et qui l’ont marquée profondément, la soumission, la violence, la rédemption par l'amour. Cette fois, elle traite ces thèmes dans l’Amérique d’aujourd’hui, les diverses formes de racisme, la difficulté de vivre dans cette société violente qui méprise les noirs et les pauvres, où il est si compliqué d’être soi-même et de se réaliser pleinement.

La narration se répartit entre ses différents personnages : Sweetness la mère, Brooklin son amie, Sofia l'institutrice, Booker son copain, Rain, la petite fille que rencontre Bride pendant son périple… Les courts chapitres forment une espèce de partition à plusieurs voix qui culmine dans un chant d'amour pour sauver toutes ces enfances piétinées qui produisent des adultes blessés qui peinent à avoir une image positive d'eux-mêmes.


Notes et références

[1] « Je travaille consciemment et énormément à cela : écrire moins et dire davantage. Ne pas écrire deux pages quand une phrase peut tout contenir. C'est bien plus difficile que de s'étaler. Et c'est ce que je veux désormais. C'est à la fois une envie et une nécessité — j'ai 81 ans, il faut que je fasse vite, donc que j'écrive court ! » (entretien à Télérama en 2012)

[2] « Toni Morrison sonde depuis 1970 et L'OEil le plus bleu les effets intimes du racisme et de l'injustice sur de jeunes filles mal dans leur peau sombre, le plus souvent à l'époque maudite de l'esclavage. Signe de l'état d'urgence, l'écrivaine déplace l'épicentre de son nouveau roman, Délivrances, à nos jours, comme pour souligner l'actualité brûlante des questions qui la taraudent. »Laurent Raphaël, Focus

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