Delphine de Vigan, "D'après une histoire vraie", prix Renaudot 2015, éditions Jean-Claude Lattès, 484 pages, août 2015
« Que le roman soit certifié réel ou non ne le rend pas meilleur. »
Qu'écrire après avoir dit l'essentiel (semble-t-il) et avoir connu le succès avec son roman (autobiographique) "Rien ne s'oppose à la nuit",
paru en 2011 ? Rien d'exceptionnel pourrait-on dire dans ce blues de
l'écrivain seul en face de sa page blanche et déstabilisé après un
succès littéraire. Jean Carrière, prix Goncourt 1972, [1] nous avait aussi en son temps raconté comment il avait mis de nombreuses années à s'en remettre.
« J’ai pensé une seconde lui citer la fameuse phrase de Jules Renard ( "dès qu’une vérité dépasse cinq lignes, c’est du roman") mais je me suis arrêtée. »
La réplique suivante de "L", [2] la "femme gourou" qui manipule l'auteure, donne toute la mesure d'abord, des préoccupations littéraires de Delphine de Vigan, ensuite de l'engagement nécessaire auquel elle se doit dans la traduction stylistique de ses convictions : «
L’écriture doit être une recherce de vérité, sinon elle n’est rien. Si à
travers l’écriture tu ne cherches pas à te connaître, à fouiller ce qui
t’habite, ce qui te constitue, à rouvrir tes blessures, à gratter,
creuser avec les mains, si tu ne mets pas en question ta personne, ton
origine, ton milieu, cela n’a pas de sens. »
Les lecteurs semblent lui donne raison, prenant la mesure de son constat
: "Voilà ce que les gens attendaient, le réel garanti par un label
tamponné sur les films et sur les livres comme le label rouge ou bio sur
les produits alimentaires, un certificat d'authenticité. Je croyais que
les gens avaient seulement besoin que les histoires les intéressent,
les bouleversent, les passionnent. Mais je m'étais trompée. Les gens
voulaient que cela ait lieu, quelque part, que cela puisse se vérifier.
Ils voulaient du vécu".
Syndrome
de la page blanche qui a fragilisé l'auteur, mais aussi changement de
vie marqué par un compagnon alors peu présent et des enfants adultes
quittant la maison. Vide affectif et vide professionnel créent un vide
existentiel et se conjuguent pour que Delphine de Vigan soit la proie de cette espèce de prédatrice qui a décidé de prendre le contrôle de sa vie.
"L" (ou "elle") incarne le personnage idéal que voudrait être Delphine,
une véritable amie, à l'écoute et aux petits soins pour elle, prompte à
deviner ses désirs et ses pensées, et avec qui elle ait de nombreux
points communs.
C'est dans un tel état d'esprit qu'elle rencontre cette fameuse "L", "nègre littéraire" de son état, qui s'incruste rapidement dans son existence, la harcèle de questions et finit par s'installer chez elle. Delphine de Vigan
se sent d’autant plus perturbée qu’elle reçoit des lettres anonymes
pleines d'insultes et de haine, dénonçant les expositions indécentes
dont elle se serait rendue coupable dans son roman autobiographique Rien ne s’oppose à la nuit. Elle
baisse alors les bras, incapable d’écrire le moindre texte puis est
prise d'une violente nausée qui la laisse physiquement sans forces.
Sur l'aspect autobiographique de son roman, dont on a beaucoup parlé, Delphine de Vigan a confié se servir de sa propre expérience pour écrire ses romans. Ainsi, la jeune fille anorexique de Jours sans faim se retrouve largement dans le journal intime qu’elle a tenu à l’hôpital lorsque, à l'âge de 17-18 ans, elle souffrait de cette maladie. De la même façon, Rien ne s’oppose à la nuit relate la vie intime de sa mère, la sublime Lucile, si fragile, souffrant d'une maladie maniaco-dépressive et qui a fini par mettre fin à ses jours. «
C’est moi qui l’ai retrouvée morte, c’est d’une violence inouïe. C’est
ce qui m’a donné la force d’écrire. Ce livre est un hommage sincère à ma
mère », a-t-elle dit en 2012 au magazine Marie France.
Concernant ce roman, elle s'en est expliqué dans une interview au journal Le Monde, ayant ressenti le succès de Rien ne s’oppose à la nuit comme une cause de souffrance et d’angoisse, «
j’ai été prise dans un tourbillon médiatique. C’était fabuleux, mais je
n’arrêtais pas de me demander quand ça allait me tomber dessus »,
se souvient-elle. Elle précise aussi, de la même façon que son
personnage, avoir reçu des lettres anonymes après la parution de Rien ne s’oppose à la nuit.
Ce qui ne signifie pas que l'écrivaine n'aime pas brouiller les cartes et on peut se demander si « "L" existe vraiment, si elle n’est pas un double de la narratrice. Il est possible que Delphine souffre de bipolarité, comme ma mère Lucile », a-t-elle confié en guise de clin d'œil dans un entretien accordé à France Culture.
Notes et références
[1] Voir aussi mon article sur le roman de Jean Carrière La caverne des pestiférés[2] "L"
est une femme qui rappelle un personnage de Misery de Stephen King où
l'on y trouve des emprunts comme certains exergues de chapitres.
Commentaires
« Tous les ingrédients d'un thriller, donc, mais réellement vécus par l'auteur, ce qui fait encore plus froid dans le dos », Metronews.
« Delphine de Vigan rappelle qu'il y a de la fiction dans le réel et donc du réel dans la fiction », JDD.
« D’après une histoire vraie est un livre brillant sur le vide, que les lecteurs apprécieront à sa juste valeur stylistique », Toute la culture.
« Un grand roman de la manipulation » Le Point
« Delphine de Vigan signe un roman hitchcockien », France tv Info
*Bibliographie
* Jours sans faim, éditions Grasset, 2001
* Un soir de décembre, éditions Jean-Claude Lattès, 2005
* No et moi, éditions Jean-Claude Lattès, 2007, Hatier, 2013, prix des libraires 2009
* Les heures souterraines, éditions Jean-Claude Lattès, 209
* Rien ne s’oppose à la nuit, éditions Jean-Claude Lattès, 2011, prix du roman France Télévisions, prix Renaudot des lycéens
<<< Christian Broussas – De Vigan, 18 novembre 2015 - << © • cjb • © >>>
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