Référence : Philippe Sollers, Mystérieux Mozart, éditions Plon, 242 pages, octobre 2001
« J'espère simplement mettre ensemble des notes qui s'aiment. » Mozart

Philippe Sollers est certes un spécialise de Mozart, [1] un amateur éclairé en tout cas, il le "fréquente" depuis fort longtemps, mais que peut-on écrire sur le grand compositeur qu’on ne connaisse déjà ?

Avec son Mystérieux Mozart, il contourne la question avec un parti pris de "faire contemporain", d’utiliser un style "décontract", grand public, avec quelques complaisances à propos de L'enlèvement au sérail ou les scènes sexuelles pour le dernier acte des Noces de Figaro, cetopéra qui obtiendra un sucès considérable, surtout à Prague : « On ne parle que de "Figaro", on ne joue, ne sonne, ne chante, ne siffle que "Figaro". »

Philippe Sollers, Mystérieux Mozart, Folio n°3845       Philippe-Sollers 2008.jpg
« Quant aux disques, il y a des choses que je réécoute très souvent : des Cantates de Bach, le Quintette pour clarinette de Mozart... »


Question contenu, on peut faire confiance à Sollers qui s’appuie sur les travaux de Hocquard, de Massin ainsi que sa volumineuse correspondance. [2] On retrouve le Mozart que le public connaît mieux depuis le film de Forman  Amadeus, un homme plein de charme qui brûla sa vie par les deux bouts, se mit à dos pas mal de protecteurs, toujours à court d’argent, à la recherche du plaisir, ce qui ne l’empêcha nullement de composer et d’être autre chose que le petit génie qu’on exhibait dans les salons de musique. Il dira par exemple à propos de son opéra « Idoménée » : « J'ai la tête et les mains si pleines du troisième acte qu'il ne serait pas impossible que je me transforme moi-même en troisième acte. »

Vienne le boude et boude ses manières, sa façon de vivre qui l'entraînera dans un besoin d'argent toujours renouvelé. Les lettres à son ami Puchberg (qui l'aide financièrement) sont pathétiques, surtout quand avec Constance, il connaissent des ennuis de santé; il se dit « écrasé de tourmente et de soucis ». « Je n'ai pu, de douleur, fermer l'œil de la nuit, » lui écrit-il. Les sommes qu'il lui emprunte en quatre ans sont énormes.

                           
                     La famille Mozart                             Mozart par Lange, 1789 

« Parmi mes grands souvenirs d'opéra: le Don Giovanni à la Fenice »
 

Sollers nous invite à revisiter ses œuvres préférées, les opéras et leur résonance autobiographique, à goûter ce mystère qui tient sans doute à sa façon de prendre la vie à pleins bras comme il s’est donné à fond à sa musique.

Le mystère du génial et précoce compositeur n'est pas tant dans sa vie que dans son oeuvre. Certains disent que ce fut un mélodiste hors pair qui colle particulièrement bien à l'époque actuelle où une simple petite ligne mélodique est gage de succès, certains pensent qu'il était habité par la musique et que tout le reste était accessoire, d'autres que c'était sa façon de transcender la vie... autant de spécialistes, autant de visions. Philippe Sollers en reste à ce mystère qui sans le définir en fait toute la richesse, un mystère qui tient aussi bien à cette énergie vitale qui l'animait, surtout  à la fin de sa vie qu'à cet esprit de liberté qui traversait sa musique comme un pied de nez à la mort.
Cette mort qui le terrassa si jeune.


Andrade dans Don Giovanni
On peut déceler dans les œuvres de Mozart l'influence d'une vie mouvementée, la traduction musicale de ses états d'âme, sans qu'il existe nécessairement un lien entre ses émotions intimes et ses émotions musicales. A la mort de son père Léopold, il préfère rester à Vienne où on joue son Don Giovanni, écrivant à sa sœur à propos de la succession. « Froideur apparente, débordement maîtrisé de la musique de chambre : c'est le système MozartIl suffit d'écouter les deux superbes quintettes pour cordes en ut et sol mineur. Ébranlement, angoisse, interrogations, joies. Le violoncelle résonne  sur fond de cercueil » écrit Sollers.

Mystérieux Mozart qui crée un Don Giovanni, « apologie à peine déguisée de la débauche » tout en faisant la leçon à son ami Emilian Godfried von Jacquin sur l'amour et la fidélité. Mystérieux Mozart qui, pris dans des difficultés financières inouïes, parvient à créer pendant l'été 1788 ses trois dernières symphonies "jupitériennes".



 Pourquoi cet essai ? Interview d'Alain Duault et Bertrand Dermoncourt
 « C’est une tentative d’éclaircissement. À travers la biographie et les œuvres, j’essaie de tisser les choses à ma manière, surtout en posant cette question : qu’est-ce que signifie pour Mozart sa situation historique ? Pourquoi la critique très sévère de la France, en 1778 ? Pourquoi était-il impossible de faire jouer, à l’époque, le moindre opéra de Mozart à Paris ?
L’essentiel de mon travail a porté sur l’écoute très attentive des sept derniers grands opéras, d’Idoménée jusqu’à La Clémence de Titus, pour montrer comment ces opéras sont liés les uns aux les autres. Il faut écouter avec le livret, plutôt dans la langue originale, et voir de quoi ça parle exactement, avec une grande précision.

Mozart est le seul compositeur à avoir si bien compris les femmes, avec une telle profondeur. Prenez ses opéras, prenez les rôles féminins (et travestis, bien sûr !) : tout y est... Qu’est-ce que cette amitié entre Haydn et Mozart - une amitié musicale comme celle-là, qui n’a pas connu d’antécédents, comment a-t-elle pu être possible ? Alors qui est ce Mozart, au milieu de son temps ? Il n’y a pas de Mozart sans Haydn (que j’adore, et écoute tout le temps) : c’est lui qui le dit, ce n’est pas moi ! Mais il y a les opéras de Mozart. Avant, il n’y en avait de pareils ; après, il n’y en a pas de pareils. Mystérieux Mozart, oui. »


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Patricia Petitbon dans Les noces de Figaro


Quelques citations
 * « Dix neuvième siècle, que de contre-sens voulus ont été commis en ton nom ? Mozart en vedette techno ou disc-jockey sorti du Danube bleu, l'aménagement des légendes suit son cours normalisateur.  » p. 31
* « On peut être et avoir été. C'est rare. » p. 51
* Mozart ne disait-il pas dans sa dernière œuvre, la "Petite cantate maçonnique", « la bienfaisance règne dans son éclat silencieux comme sont bannies à jamais l'envie, l'avarice et la calomnie. » p. 53


Voir aussi mes différentes fiches sur Sollers :
* Philippe Sollers et son oeuvre, inclus Portrait d'un joueur et Casanova
Philippe Sollers,
A propos de Machiavel,   Philippe Sollers L'éclaircie
Philippe Sollers Portraits de femmes,
Philippe Sollers, Médium,
* Philippe Sollers L'évangile selon Nietzsche,
* Philippe Sollers, Mystérieux Mozart --


Bibliographie
* Jean Blot, Mozart, éditions Gallimard, 2008
* Maurice Barthélémy, De Léolold à Constance, Wolfgang Amadeus, éditions Actes sud, 1993
* André Tubeuf, Mozart, chemin et chants, éditions Actes sud, 2005
* Pierre Petit, Mozart ou la musique instantanée, éditions Perrin, 1991
* Gérard de Cortanze, Philippe Sollers ou La volonté de bonheur, éditions Gallimard, 2001
* Didier Raymond, Mozart, une folie de l'allégresse, éditions Mercure de France, 1990
* Voir ma fiche : Ma vie avec Mozart par Éric-Emmanuel Schmit 


Références
[1] Voir l'article de Dominique Fernandez paru dans Le Monde du 12/10/2001 "Philippe Sollers, mozartien absolutiste"
[2]
Voir l'article de Philippe Sollers, Mozart vous écrit


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