« Quand j'écris je dis tout, quand je parle je suis lâche »


Référence : Édouard Louis, "Histoire de la violence", éditions Le Seuil, 240 pages, 2016

Édouard Louis, [1] l’auteur de En finir avec Eddy Bellegueule publie un nouveau roman Histoire de la violence sur les relations particulières entre deux hommes, Édouard et Reda, deux homos confrontés à la violence, omniprésente dans  ce texte. Ils se rencontrent pendant la nuit de Noël 2012 sur la place de la République à Paris quand il rentre chez lui après un réveillon avec ses amis Didier et Geoffroy. [2] Simple relation amoureuse qui se termine mal parce que Reda, après avoir volé Édouard, le menace et finit par le violer avant de s'enfuir.

Édouard décide alors de se rendre à l'hôpital Saint-Louis pour recevoir des soins puis au commissariat pour porter plainte. Mais tout ceci pèse à Édouard qui ressent chaque événement comme une nouvelle violence qui lui est faite, le temps lui paraît avoir changé de rythme, si lent désormais et une espèce de peur l’envahit qui lui fait considérer les autres comme un menace.

Récit autobiographique qui a conduit l’auteur à réfléchir sur le phénomène de la violence dans nos sociétés, comme il le confirme ainsi : « En revenant sur mon enfance, mais aussi sur la vie de Reda et celle de son père, en réfléchissant à l’émigration, au racisme, à la misère, au désir ou aux effets du traumatisme, je voudrais à mon tour comprendre ce qui s’est passé cette nuit-là. Et par là, esquisser une histoire de la violence. »

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Son intention s’exprime sans doute dans cette citation qu’il a placée en épilogue, extraite du livre Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas du Prix Nobel de littérature Imre Kertész : « Il s'avéra qu'en écrivant, je cherchais la souffrance la plus aiguë possible, à la limite de l'insupportable, vraisemblablement parce que la souffrance est la vérité, quant à savoir ce qu'est la vérité, écrivis-je, la réponse est simple : la vérité est ce qui me consume. »
« Scène archaïque de tragédie antique autour de laquelle va s'enrouler tout le roman » écrit Télérama, et effectivement Édouard Louis va revenir inlassablement sur cette nuit dramatique tout au long des 240 pages de son roman.

Car, à côté de ses souvenirs de ce qui s'est passé cette nuit-là, se superpose aussi la façon de voir les choses de sa soeur Clara racontant à son mari les confidences de son jeune frère réfugié chez elle après la terrible nuit qu'il a vécue, couché derrière la porte où elle parle à haute voix. 

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Comme dans En finir avec Eddy Bellegueule, Édouard Louis joue sur deux niveaux de langage. Une langue plus intello qu'Édouard partage avec ses amis sociologues Didier et Geoffroy, et la langue de sa soeur Clara, populaire, directe, gouailleuse, qui lui évoque son passé [3]. Mais le langage reste malgré tout mensonger, figeant la réalité dans des expressions, choisies ou à l'emporte-pièce qui trahissent ses sentiments profonds.

Comme son maître Pierre Bourdieu [4], il pense que la violence s'invite dans les relations sociales et les investit, les modifient, que c'est en pénétrant ses mécanismes que se fera jour une certaine réalité, une certaine vérité de notre société sur laquelle on pourra agir.
Finalement, même si ça paraît paradoxal, Édouard a tendance à comprendre son violeur Reda, un homme un peu paumé qui est le produit de tous les traumatismes historiques subis par le peuple kabyle dont il est issu. Édouard lui-même, avant de "s'en sortir", n'a-t-il pas été voleur ? 

Finalement, victime et bourreau se ressemblent par leur parcours cabossé. C'est pourquoi Édouard éprouve tant de regrets après avoir porté plainte au commissariat et se sent raciste, mal dans sa peau.

Entre l'autofiction et l'autobiographie, ce récit-témoignage est aussi une réflexion, une expression de la révolte d'un homme contre le racisme et l'homophobie, dénonçant les problèmes relationnels de nos sociétés.

Commentaires et critiques
« Mes parents étaient traversés par des discours contradictoires. Ils avaient des rêves de grandeur pour moi. Quand je me suis inscrit en théâtre, ils me voyaient devenir le prochain Brad Pitt. Mais leurs rêves coexistaient aussi avec l'envie de m'écraser et de réduire mes élans en miettes. En fin de compte, c'est la volonté pure qui m'a poussé à m'insurger contre eux et à tracer ma propre voie. Les possibilités que j'ai en moi, je crois les avoir acquises contre mon milieu, pas grâce à lui .» Interview à La Presse, mai 2014

« La quête de vérité d'un artiste condamné au mensonge. » Fabienne Pascaud, Télérama, 01/2016

Notes et références
[1] Son pseudonyme Louis, provient d'un personnage
d'une pièce qui l'a bouleversé, Juste la fin du monde du dramaturge Jean-Luc Lagarce, mort en 1995.
[2] Prénoms de ses deux amis : Didier (Eribon) et Geoffroy (de Lagasnerie).
[3] Voir son roman autobiographique "En finir avec Eddy Bellegueule"
[4] En 2013, il dirige un ouvrage collectif intitulé "Pierre Bourdieu. L'insoumission en héritage" aux éditions PUF centré sur la pensée critique et l'émancipation selon Bourdieu.


Bibliographie
* Édouard Louis à La Grande Librairie --
* Edouard Louis en a-t-il fini avec « Eddy Bellegueule » ?, 20 minutes, janvier 2016
* Édouard Louis et le mauvais garçon, Raphaëlle Leyris, Le Monde.fr,‎ 6 janvier 2016
* Edouard Louis : En toute complaisance, Marianne, 7/01/2016
* Babélio : critiques et analyses --


< Christian Broussas – Louis, violence, 8 février 2016 -© • cjb • © >