Alain Badiou,  Gilles Haéri, « Éloge des mathématiques », éditions Flammarion, collection Café Voltaire, 124 pages, septembre 2015

    Alain Badiou en 2012

Alain Badiou présente cette particularité d’être à la fois un philosophe connu –l’un des dernier grands de la « French theory » des années 60-70 et un homme qui possède une solide formation en mathématiques. Le livre se présente comme une introduction aux rapports entre les mathématiques et la philosophie. Les mathématiques et la logique représentent véritablement des guides pour se défaire des opinions dominantes et rendre possible un accès aux vérités à travers l’étude du réel. [1]
 
Cette approche –créer un pont entre mathématiques et philosophie- n’est pas nouvelle chez Alain Badiou. Déjà, dans son essai L’Être et l’Événement paru en 1988 et suivi en 2006 de Logiques des mondes, L’Être et l’Événement 2, il partait de l’idée que l'ontologie (théorie de l'être) peut être identifiée aux mathématiques, plus précisément à la théorie des ensembles, et que la phénoménologie (étude de  l’expérience vécue et des contenus de conscience) correspond à la logique.  

Dans son schéma, la philosophie se fonde sur quatre piliers: l'amour, la politique, les sciences et l'art. Il a déjà publié deux éloges sur l'amour et le théâtre ; avec celui-ci, ne manque plus que la politique. Son objectif est de démontrer que son éloge des mathématiques cadre avec son idée que « toute philosophie est avant tout une métaphysique du bonheur. » [2] Il existerait ainsi un lien, une osmose entre mathématiques et bonheur. C’est précisément l’objet de ce livre qui est une introduction à ce que sont les mathématiques et leur profonde influence sur les plus grands philosophes. Loin d'être un pensum, les mathématiques et la logique sont le chemin le plus sûr qui mène sur la voie du bonheur, de pourchasser une vérité qui soit absolue. [3]
Voilà qui change de l’approche philosophique traditionnelle qui a tendance à rejeter les mathématiques dans une espèce de ghetto.

                 

Ce n’est pas tous les jours qu’un philosophe prend la plume pour se poser en défenseur inconditionnel de l’enseignement des mathématiques et de son décloisonnement. L’écart qui existe aujourd’hui entre disciplines littéraires et scientifiques ne fait que se creuser et les mathématiques, malgré les efforts de personnalités comme Cédric Villani, restent confinée dans les cénacles de l’enseignement. 

C’est bien pourquoi Badiou a décidé d’écrire ce traité pour faire comme le titre l’indique « L’Éloge des mathématiques ». [4] Si Alain Badiou est un philosophe, apprécié et parfois fort contesté, il est aussi un débatteur et un conférencier soucieux de pédagogie, tourné vers la jeunesse et son devenir.

         
 « les maths sont devenues un opérateur ennuyeux de sélection sociale. »


Et justement, il ne conçoit pas de philosophie sans pédagogie, rejetant toute approche rhétorique ou cantonnée dans des domaines ciblés sur la télévision, sur le sport… Il termine sur les difficultés de la situation actuelle et cette proposition à méditer : « La philosophie reste une discipline menacée dans les classes terminales, et les mathématiques un opérateur ennuyeux de sélection sociale. Eh bien moi, je propose la dernière année de maternelle pour les deux : les gamins de cinq ans sauront assurément faire bon usage de la métaphysique de l’infini [5] comme de la théorie des ensembles » ! ».

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L’enjeu est d’établir des liens entre les disciplines et de chercher à intéresser les élèves par tous les moyens pédagogiques disponibles. Renouer avec la satisfaction de parvenir à la solution, de s’exercer à la pratique de la démonstration et de la preuve. Dans notre pays, fait-il remarquer, les mathématiques « ne font pas partie de la culture ordinaire », exclues de la culture générale parce que jugées trop spécifiques, alors qu’elles devraient rejoindre les préoccupations de la vie réelle, complémentaires des possibilités réflexives de la philosophie. Le rôle des maths, essentiel dans la formation de la pensée, ne devrait se concevoir sans la quête existentielle inhérente à la philosophique.

Ce n'est pas un hasard s'il commence par l’esthétique d’un théorème, celui de la droite d’Euler, sur les difficultés d'approche puis l'émerveillement de la découverte et de la compréhension. Comme le rappelle Gilles Haéri, le co auteur de cet essai, Alain Badiou, diplômé en mathé­matiques,est  l’un des « rares philosophes contemporains à prendre les mathématiques au sérieux ».

    
Son essai sur Deleuze


Complément : citations
« Les mathématiques n'ont pas été créées pour que Kant puisse poser la question critique de la provenance de l'universalité rationnelle, elles ont été créées par hasard... comme si c'était une esthétique contingente. Mais cette contingence crée la possibilité de la question critique, qui définit l'entreprise philosophique. »

 « Je retiendrai le concept de l'infini, son histoire, l'état contemporain de la question et ses conséquences. Rien que sur ce point, dans les cinquante dernières années, se sont déployées dans les mathématiques des recherches saisissantes de nouveauté, de profondeur. Si vous les ignorez, il se produit ceci que, lorsque vous prononcez le mot "infini", vous ne savez pas de quoi vous parlez. »

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La "bio" de Jacques Henric           Badiou avec Michel Onfray

Mes fiches sur Alain Badiou :
* Alain Badiou, biographie --
* Alain Badiou et Bernard-Henri Lévy --
* Alain Badiou et Gilles Deleuze --
* Alain Badiou, La république de Platon
* Alain Badiou, Éloge des mathématiques --

Notes et références
[1] Voir son livre "À la recherche du réel perdu", Fayard, collection "Ouvertures", 2015
[2] Voir son livre "Métaphysique du bonheur réel", PUF (collection MétaphysiqueS), 28 janvier 2015
[3] Le concept de vérité a pour Badiou un contenu différent en philosophie et en mathématiques. « En mathématiques, une preuve est une preuve. En philosophie, une preuve est une proposition permettant de donner une explication vraisemblable » dit-il dans une interview à Libération. En quelque sorte, la différence entre valeur absolue et valeur relative.
[4] « Platon, Leibniz ou Descartes étaient des mathématiciens de haut niveau. Kant ou Spinoza affirment que la philosophie en tant que science qui se veut rationnelle a un lien étroit aux maths. Or je constate que ce lien se trouve distendu » précise-t-il.
[5] Voir son livre "Le fini et l'infini", éditions Bayard, 2010


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« Il y a des révolutions mathématiques : de temps en temps, le point de vue change. Un triangle reste un triangle... mais on remet en cause la perception, l’organisation. Au fond, c’est de la métaphysique.»

Bibliographie : Badiou et les maths

* Le Nombre et les Nombres, Paris, éd. Seuil (collection des Travaux), 1990
* Mathématiques du transcendantal, 1998 et L'Etre-là : mathématique et transcendantal, 2000
* Le Fini et l'Infini, Bayard, Les petites conférences, 2010
* Éloge des mathématiques, Café Voltaire, Flammarion, 2015

Bibliographie sur les maths
Pierre Cartier, J. Dhombres, G. Heinzmann et C. Villani, "Mathématiques en liberté",  éditions La ville brûle, 2012.
Richard Courant, "Qu'est-ce que les mathématiques ?", éditions Cassini, 580 pages, 2015
Dany-Jack Mercier, "Le raisonnement mathématiques ?", éditions CIPP, 140 pages, 2014
Philippe Douroux, "Alexandre Grothendieck", éditions Allary, 272 pages, 2016


Ouvrage sur Alain Badiou
- Fabien Tarby, "La Philosophie d’Alain Badiou", éditions L’Harmattan, 2005
- Fabien Tarby, "Matérialismes d’aujourd’hui : de Deleuze à Badiou", éd. L’Harmattan, 2005
- Kostas Mavrakis, "De quoi Badiou est-il le nom ?",éd. L’Harmattan, 2009
- Jacques Henric, "Alain Badiou",  éditions Art press, janvier 2016

< Christian Broussas – Badiou, Maths - 18 avril 2016 -© • cjb • © >