Référence : Denis Kambouchner, "Descartes n’a pas dit", éditions Les Belles lettres, 240 pages, novembre 2015


« Descartes, dans l’histoire de la pensée, ce sera toujours ce cavalier français qui partit d’un si bon pas » disait Charles Péguy.

Denis Kambouchner revenant sur la genèse de son ouvrage Descartes n’a pas dit expliquait la nécessité, pour certains auteurs, de pratiquer une « histoire négative » de la philosophie pour mieux l’enseigner. Son sous-titre est explicite qui présente  « un répertoire de fausses idées sur l’auteur du Discours de la méthode, avec les éléments utiles et une esquisse d’apologie. » Denis Kambouchner a choisi de proposer au lecteur un ouvrage à tiroirs, où chacun des éléments tourne autour d’une idée reçue ou en tout cas une idée bateau quelque peu exagérée sur la philosophie cartésienne.

Ce qui paraît aller de soi aujourd'hui, sa méthode - « bien conduire sa raison » -, et le doute radical - « douter de toute chose » -, fut combattu par un sceptique comme Montaigne par exemple, avant d'être reconnu au XXe siècle par des penseurs comme Bergson ou Sartre, comme un apport essentiel à la pensée philosophique.

C'est aussi une réflexion abordée avec bienveillance et générosité, à l'image de Descartes qui disait : « Le généreux, n’estime pas les hommes pour une raison différente de celle qui fait qu’il s’estime lui-même, pour cette bonne volonté dont il crédite généreusement chacun des autres hommes ».  

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Une "histoire négative" de la philosophie ?
Denis Kambouchner a également décidé d’écrire un livre assez court et pédagogique, comme le titre le suggère, à l’écriture assez alerte pour ne pas heurter les lecteurs avec le langage abscons de beaucoup de philosophes. Il mêle ainsi les exposés à des présentations moins théoriques sous forme d’enquêtes ou de dialogues.

Cette « histoire négative » de la philosophie est examinée à l’aune de Descartes, c’est-à-dire un philosophe dont l’essentiel de l’œuvre puisse assez facilement être ramené à une suite d’idées reçues que l’auteur peut alors rétablir dans leur véritable sens et replacer dans la dialectique cartésienne.

René Descartes comme exemple type
les approximations et les simplifications à son sujet n’ont pu que fleurir au fil des années, au fur  et à mesure que son œuvre était reconnue, diffusée et vulgarisée. Contrepartie du succès dont il fallait au moins retenir quelques idées générales, quelques vérités faciles à mémoriser mais qui finissent par appauvrir la pensée d’origine, voire en fausser le sens profond que voulait lui donner l’auteur. C’est en somme le destin inévitable de ces personnages mythiques qui parsèment l’histoire de France. Pour y remédier, il faut impérativement revenir au texte initial, aux réflexions et aux échanges qu’a pu avoir Descartes à telle ou telle occasion ou dans sa correspondance.


Outre les causes externes, cet important « coefficient d’adultération » trouve peut-être son origine dans la philosophie cartésienne elle-même, qui, voulant proposer des principes aussi clairs que peu nombreux (pensons notamment à la Lettre-préface des Principes de la philosophie), a parfois pu donner l’illusion que la pensée de Descartes pouvait facilement se résumer, se ramener à quelques formules simples, tenant sur une simple feuille. Ces moments de récapitulation ont certainement contribué à masquer les nuances de sa pensée, aussi bien que celles de son écriture.

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Alors, qu’est-ce que René a dit et n’a pas dit ?

On trouve dans l’ouvrage, confrontées au texte initial et aux précisions qu’a pu apporter l’auteur ou ses exégètes, 21 formules qui ne recouvrent que partiellement sa pensée : des formules à l’emporte-pièce comme "Rien n'est vrai sinon ce qui est clair et distinct", "L'esprit humain n'a pas besoin de corps pour penser", "La physique n'a guère besoin d'expériences"…

Un exemple parmi d’autres, celui de la séparation entre l’âme et le corps (que l’âme pourrait penser indépendamment du corps). Or, pour Descartes, les pensées que l’âme peut avoir sans aucune contribution du corps se rapportent à des notions « purement intellectuelles », qui sont finalement assez peu nombreuses. Il faut également discriminer entre une idée spécifique, bien définie et un processus de pensée  car Descartes n’a jamais dit ni même suggéré qu’un processus de pensée, obligatoirement discursif, sans continuité rigoureuse de la pensée, soit possible sans que le corps n’y soit partie prenante d’une façon ou d’une autre. Pour fonctionner, la pensée a besoin de signes, qui ont une existence physique.

Autre exemple : Descartes aurait dit : « Dans les écoles, on n’apprend rien d’utile ». Il l’aurait dit par réaction envers les jésuites, par haine de ses années de collège, par réaction contre la culture scolaire. Faux, rectifie Kambouchner. Si Descartes confesse son peu de savoir à l’issue de ses études, il n’en rend pas moins hommage dans ses lettres aux enseignants qui l’ont aidé à l’époque.

Dernier exemple : Le  mécanisme cartésien pour lequel le philosophe imagine un dialogue entre lui et un détracteur pour démontrer qu’il est selon lui  impossible d’affirmer que le corps humain serait une pure machine. Il considère la réalité comme étant répartie entre la matière et l’esprit. La nature n’est constituée que de matière et de mouvement, objets de la mécanique. Le corps chez l’être humain est ainsi constitué de la même façon : sa physiologie à laquelle Descartes fut l’un des premiers à s’intéresser, procède d’une physique appliquée. Descartes était également fou de dissection. Contrairement à l’humain pourvu d’une âme et d’un corps, l’animal est limité à un corps.

Dans la conception cartésienne, le corps est assimilé à une machine, même si elle est particulièrement complexe. Et comme corps et âme sont indissociables dans l’humain, « il est sans doute inévitable que la distinction entre ce qui, dans le cerveau, relève d’un pur mécanisme et ce qui dépend de la pensée ne puisse pas être en tous points vérifiée ».  

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Critiques et commentaires
* « Son gracieux mémento éclaire finalement toute l'œuvre de Descartes, cette "aube naissante" sur l'horizon de la pensée moderne. » (Antoine Peillon La Croix avril 2015)
* « ... un répertoire des fausses idées sur Descartes, suivi d'une esquisse d'apologie, dans un petit livre magnifique (d'apparence et de contenu) qu'il est conseillé de lire tranquillement, sans a priori. » (Philippe Petit Marianne.net avril 2015

* « Saluons dans ce livre un Descartes rendu à lui-même. » (Alain Rubens Lire février 2015)
* « Stimulant et utile. » (C. G. Le Point Références mars 2015)
* « Denis Kambouchner a consacré sa vie d'étude à Descartes: il était le mieux placé - dans ce petit livre de "salubrité philosophique" - pour dresser le "tableau des méprises". » (R. M. Libération avril 2015)
* « Denis Kambouchner nous remet les idées en place. » (Challenges avril 2015)
* « ... Denis Kambouchner fait le ménage dans les a priori, de la morale à la métaphysique. En creux, c'est la vie de Descartes qui apparaît avec une philosophie ouverte qui invite à la discussion. » (Laurent Lemire Livres Hebdo décembre 2014)
* « Le ton est enjoué, le style allègre, certains chapitres se présentent comme des dialogues et ne manquent pas de vivacité... » (Roger-Pol Droit Le Monde des Livres janvier 2015)

                          
Vocabulaire de Descartes           Lecture de Descartes


Denis Kambouchner et Descartes
Spécialiste de Descartes, il lui a consacré 4 ouvrages :

·  Le Vocabulaire de Descartes, avec Frédéric de Buzon, Ellipses, 2002
· Les Méditations métaphysiques de Descartes I, PUF, 2005
·  Descartes et la Philosophie morale, Hermann, 2008
· Descartes a dit, Les belles lettres, 2015

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