Cécile Allegra, « Le salaire des enfants », collection Essais-Documents, éditions Stock, 224 pages, mars 2016
[Cécile Allegra : Grand reporter, réalisatrice et documentariste. Elle réalise des documentaires et des grands reportages principalement pour France Télévision, Arte et Canal+. Avec deux centres d’intérêt spécifiques: la condition des hommes et des femmes sur les théâtres bouleversés par la guerre, et l’évolution des mafias, en particulier en Italie et en Europe.]
« Le salaire des enfants : Une enfance au travail en Europe, un scandale ignoré » annonce l’auteure en sous-titre.
C’était en Italie mais ça aurait pu être ailleurs en Europe : un gosse de 13 ans passait de table en table avec un plateau trop lourd pour lui « sur son visage, encore le sourire de l’enfance mais déjà une pâleur et des cernes noirs qui racontaient une autre vie. » Le salaire des enfants devenu indispensable à la survie de la famille.
Et quel salaire : entre 5 et 10 euros pour huit heures de travail !
Début 2012, Cécile Allegra réalise "Le salaire des enfants"’ (sélectionné au Figra 2013), une enquête sur le retour du travail des enfants en Italie qu’elle poursuit avec "Une enfance au travail", un film documentaire pour France 3. Ce film lui donne l’occasion d’une grande enquête pour le journal Le Monde, en deux parties "Une enfance au travail" puis "Ces enfants sont durs à la tâche", qui obtient le grand prix du festival Le Réel en vue. Le film a aussi servi à lancer une grande enquête nationale avec Save The Children en Italie.
Cécile Allegra (à gauche) recevant le prix Albert-Londres
Cécile Allegra a baladé sa curiosité dans cette Europe qui se défait, de Naples à la région des Rhodopes en Bulgarie ou dans la banlieue anglaise de Doncaster ou même… en France. De Giovanni, 13 ans, serveur à Naples, de Michael, 15 ans, livreur en Angleterre, ou de Léna, 15 ans, jeune Française exploitée pendant son apprentissage. Ce cas rappelle le beau roman de Bernard Clavel La Maison des autres, l’histoire d’un apprenti pâtissier à la fin des années trente. Aurait-on régressé et le paupérisme cher aux marxistes serait-il de retour dans cette Europe que le tiers-monde guigne toujours avec envie ?
Cécile Allegra a choisi pour illustrer son propos ce poème de Victor Hugo "Melancholia" tiré des Contemplations :
Le phénomène touche aussi la France et concerne surtout les apprentis. « Cela resurgit avec l'intention française de valoriser l'apprentissage, de le favoriser un peu plus tôt, à partir de 13 ans. Le problème, c'est qu'il y a trop peu de gardes-fous » précise-t-elle dans une interview à Europe 1. Du coup, poursuit-elle, « ces gamins vont souvent remplacer une femme de ménage, et notamment dans les métiers de la cuisine. » Elle cite le cas d'un jeune prénommé Jordan, décédé en tombant dans le pétrin de la boulangerie où il était en stage. « En France, l'apprentissage se transforme un peu en permis d'exploiter », regrette-t-elle.
C’est en tout cas ce que déclare Cécile Allegra dans une interview au magazine "Elle" : « Le phénomène avait disparu, c’était un des grands acquis de l’après-guerre que d’envoyer les enfants à l’école. Mais la crise de 2009 a été si violente qu’elle a fragilisé trois piliers de notre société : l’école, la protection sociale et l’inspection du travail. Résultat, on voit des mineurs travailler parce que leurs parents sont trop pauvres. Le phénomène touche surtout l’Europe du Sud et de l’Est, mais la classe moyenne française n’est pas épargnée. »
Exemples symptomatiques : ces situations pointent du doigt le positionnement de nos sociétés face à la crise socio-économique qu’elles traversent, le manque de volonté politique de nombreux pays, la lente dégradation des conditions de vie d’une frange de la population, mouvement qui atteint peu à peu les classes moyennes, l’extension du travail au noir considéré comme planche de salut et le dangereux relâchement du lien entre les citoyens et l'État.
Références bibliographiques
* Cécile Allegra, prix Albert Londres 2015, article du Monde --
* Cécile Allegra, Voyage en barbarie --
* Vidéo : interview de Cécile Allegra --
« < • Christian Broussas – C. Allegra - 25 avril 2016 -© • cjb • © > »
[Cécile Allegra : Grand reporter, réalisatrice et documentariste. Elle réalise des documentaires et des grands reportages principalement pour France Télévision, Arte et Canal+. Avec deux centres d’intérêt spécifiques: la condition des hommes et des femmes sur les théâtres bouleversés par la guerre, et l’évolution des mafias, en particulier en Italie et en Europe.]
« Le salaire des enfants : Une enfance au travail en Europe, un scandale ignoré » annonce l’auteure en sous-titre.
C’était en Italie mais ça aurait pu être ailleurs en Europe : un gosse de 13 ans passait de table en table avec un plateau trop lourd pour lui « sur son visage, encore le sourire de l’enfance mais déjà une pâleur et des cernes noirs qui racontaient une autre vie. » Le salaire des enfants devenu indispensable à la survie de la famille.
Et quel salaire : entre 5 et 10 euros pour huit heures de travail !
Début 2012, Cécile Allegra réalise "Le salaire des enfants"’ (sélectionné au Figra 2013), une enquête sur le retour du travail des enfants en Italie qu’elle poursuit avec "Une enfance au travail", un film documentaire pour France 3. Ce film lui donne l’occasion d’une grande enquête pour le journal Le Monde, en deux parties "Une enfance au travail" puis "Ces enfants sont durs à la tâche", qui obtient le grand prix du festival Le Réel en vue. Le film a aussi servi à lancer une grande enquête nationale avec Save The Children en Italie.
Cécile Allegra (à gauche) recevant le prix Albert-Londres
Cécile Allegra a baladé sa curiosité dans cette Europe qui se défait, de Naples à la région des Rhodopes en Bulgarie ou dans la banlieue anglaise de Doncaster ou même… en France. De Giovanni, 13 ans, serveur à Naples, de Michael, 15 ans, livreur en Angleterre, ou de Léna, 15 ans, jeune Française exploitée pendant son apprentissage. Ce cas rappelle le beau roman de Bernard Clavel La Maison des autres, l’histoire d’un apprenti pâtissier à la fin des années trente. Aurait-on régressé et le paupérisme cher aux marxistes serait-il de retour dans cette Europe que le tiers-monde guigne toujours avec envie ?
Cécile Allegra a choisi pour illustrer son propos ce poème de Victor Hugo "Melancholia" tiré des Contemplations :
« Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ? […]
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement. […]
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. »
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ? […]
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement. […]
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. »
Le phénomène touche aussi la France et concerne surtout les apprentis. « Cela resurgit avec l'intention française de valoriser l'apprentissage, de le favoriser un peu plus tôt, à partir de 13 ans. Le problème, c'est qu'il y a trop peu de gardes-fous » précise-t-elle dans une interview à Europe 1. Du coup, poursuit-elle, « ces gamins vont souvent remplacer une femme de ménage, et notamment dans les métiers de la cuisine. » Elle cite le cas d'un jeune prénommé Jordan, décédé en tombant dans le pétrin de la boulangerie où il était en stage. « En France, l'apprentissage se transforme un peu en permis d'exploiter », regrette-t-elle.
C’est en tout cas ce que déclare Cécile Allegra dans une interview au magazine "Elle" : « Le phénomène avait disparu, c’était un des grands acquis de l’après-guerre que d’envoyer les enfants à l’école. Mais la crise de 2009 a été si violente qu’elle a fragilisé trois piliers de notre société : l’école, la protection sociale et l’inspection du travail. Résultat, on voit des mineurs travailler parce que leurs parents sont trop pauvres. Le phénomène touche surtout l’Europe du Sud et de l’Est, mais la classe moyenne française n’est pas épargnée. »
Exemples symptomatiques : ces situations pointent du doigt le positionnement de nos sociétés face à la crise socio-économique qu’elles traversent, le manque de volonté politique de nombreux pays, la lente dégradation des conditions de vie d’une frange de la population, mouvement qui atteint peu à peu les classes moyennes, l’extension du travail au noir considéré comme planche de salut et le dangereux relâchement du lien entre les citoyens et l'État.
Références bibliographiques
* Cécile Allegra, prix Albert Londres 2015, article du Monde --
* Cécile Allegra, Voyage en barbarie --
* Vidéo : interview de Cécile Allegra --
« < • Christian Broussas – C. Allegra - 25 avril 2016 -© • cjb • © > »
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